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Il n’est plus possible de faire de la philosophie sans faire de la science-fiction

samedi 10 juin 2023 à 02:00

Il n’est plus possible de faire de la philosophie sans faire de la science-fiction

Au détour d’une conversation à Épinal, l’auteur et philosophe Xavier Mauméjean me glissa cette phrase curieuse : « Aujourd’hui, il n’est plus possible de faire de la philosophie sans faire de la science-fiction ».

Interpelé, je retournai des jours durant cette phrase dans mon esprit avant que l’évidence ne m’apparût.

Le présent a l’épaisseur mathématique d’une droite, la consistance d’un point. Il est insaisissable, mouvant. À ce titre, il n’existe pas de littérature du présent. L’humain ne peut écrire que sur deux sujets : le passé et le futur. Les deux étant complémentaires.

Lire sur le passé nous édifie sur la nature humaine, sur notre place dans le monde, dans la civilisation. Cela démystifie, et c’est essentiel, notre univers. Le passé nous enseigne les lois scientifiques.

Se projeter dans le futur nous fait réfléchir aux conséquences de nos actes, nous fait peser nos choix. Or il n’y a pas de littérature du futur sans imaginaire. Le futur n’est, par définition, qu’imagination. Un imaginaire qui obéit à des lois, les lois scientifiques susnommées. Réfléchir au futur, c’est donc faire de la science-fiction.

La science-fiction, sous toutes ses formes, est la clé de notre capacité d’influencer le monde, l’essence même de notre survie.

Mais attention aux étiquettes. Il serait tentant de penser qu’un livre se passant dans le passé parle du passé et un livre se passant dans le futur parle du futur. C’est bien entendu simpliste et trompeur. Tant de livres historiques nous emmènent à réfléchir à notre futur, à notre être et à notre devenir. Un livre peut se passer en l’an 3000 et ne brasser que du vent.

Malgré son importance vitale, la science-fiction a toujours mauvaise presse, est reléguée aux étagères les moins accessibles des librairies, est rejetée par les lecteurs.

Refuser l’étiquette « science-fiction » n’est-il pas le symptôme d’une peur de se projeter dans le futur ? D’affronter ce qui nous semble inéluctable ? Mais tant que nous aurons de l’imagination, rien ne sera inéluctable. Le futur n’a qu’une constante : il est la conséquence de nos actions.

Pour reprendre les mots de Vinay Gupta, le futur est un pays étranger. Un pays vers lequel nous nous contentons aujourd’hui d’envoyer nos déchets, un pays dont nous tentons de détruire les ressources, comme si nous étions en guerre. Un pays où vivent nos enfants.

Peut-être est-il temps de faire la paix avec le futur. D’entretenir de bonnes relations diplomatiques. Des relations épistolaires qui portent un nom : la science-fiction.

Mais peut-être ce nom est-il trompeur. Peut-être que la science-fiction n’existe pas. Peut-être que toute littérature est en soi, un ouvrage de science-fiction.

On ne peut écrire sans philosopher. On ne peut philosopher sans faire de la science-fiction. On ne peut être humain sans faire la paix avec le futur.

Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

La privatisation de nos sens

mercredi 7 juin 2023 à 02:00

La privatisation de nos sens

J’ai déjà glosé ad nauseam sur nos nuques penchées en permanence sur un petit rectangle en plastique, sur notre attention aspirée pour se cantonner à un minuscule écran ne nous montrant que ce que deux ou trois monopoles mondiaux veulent bien nous transmettre.

L’idée, explorée dans Printeurs, que ces monopoles se branchent directement dans nos cerveaux pour les influencer semble encore de la science-fiction.

Pourtant, la capture de nos sens a déjà commencé.

Avez-vous observé le nombre de personnes se baladant avec des écouteurs blancs dans les oreilles et ne les retirant pas pour converser voire même pour passer à la télévision ? Ces personnes vivent dans un environnement en « réalité augmentée ». Ils peuvent entendre un mélange des sons virtuels et des sons réels. Ce mélange étant contrôlé… par les monopoles qui vendent ces écouteurs.

Porter ce genre d’écouteur revient à littéralement vendre sa perception à des entreprises publicitaires (oui, Apple est une entreprise qui vit de la pub, même si c’est essentiellement de la pub pour elle-même). Un jour, vous vous réveillerez avec des publicités dans l’oreille. Ou bien vous ne comprendrez pas un discours, car certaines parties auront été censurées.

Ce n’est pas une potentialité éloignée, c’est l’objectif avoué de ces technologies.

Après l’audition, c’est au tour de la vue d’être attaquée à traves des lunettes de réalité augmentée.

Les publicités pour la nouvelle mouture Apple montrent des gens souriants, portant les lunettes pour participer à des vidéoconférences tout en semblant profiter de la vie. Fait amusant : personne d’autre dans ces conférences factices ne semble porter ce genre de lunettes.

Parce que ce n’est pas encore socialement accepté. Ne vous inquiétez pas, ils y travaillent. Il a fallu 20 ans pour que porter des écouteurs en public passe de psychopathe asocial à adolescent branché. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les lunettes Apple sont si chères : elles deviennent une marque de statut, un objet de luxe. Les premières personnes que vous verrez dans la rue les portant seront celles qui ont de l’argent à dépenser et tiennent à le faire savoir. Ce qui entrainera fatalement la popularisation des modèles meilleur marché.

Dans Tantzor, paru en 1991, Paul-Loup Sulitzer se moquait déjà de cet aspect en racontant la vie d’un entrepreneur russe qui vendait des faux écouteurs verts fluo bon marché aux gens qui ne savaient pas se payer un walkman. Pour pouvoir faire comme tout le monde, pour avoir l’air de posséder un walkman.

Porter un casque audio et visuel dans la rue deviendra un jour ou l’autre une norme acceptable. Ce qui ne serait pas un problème si la technologie n’était pas complètement contrôlée par ces morbides monopoles qui veulent transformer les humains en utilisateurs, en clients passifs.

Ils ont réussi à le faire en grande partie avec Internet. Ils sont désormais en train de s’attaquer à la grande pièce au plafond bleu en privatisant graduellement nos interactions avec le réel : le transport de nos corps à travers les voitures individuelles, les interactions humaines à travers les messageries propriétaires, l’espionnage de nos faits, paroles et gestes jusque dans nos maisons et désormais le contrôle direct de nos sens.

La technologie peut paraitre terrifiante à certains. Mais elle est merveilleuse quand on en est acteur. Elle n’est pas la cause.

Nous avons, à un moment, accepté que la technologie appartenait à une élite éthérée et que nous n’en étions que les utilisateurs. Que les outils pouvaient avoir un propriétaire différent de son utilisateur. Les luddites l’avaient bien compris dans leur chair. Marx en a eu l’intuition. Personne ne les a entendus.

Tant que nous restons soumis aux dictats du marketing, tant que nous acceptons la pression sociale provenant parfois de nos proches, nous sommes condamnés à rester des utilisateurs de la technologie, à devenir des utilisateurs de notre propre corps, de notre propre cerveau.

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La grenouille dans la bouilloire qui voulait que rien ne change

dimanche 4 juin 2023 à 02:00

La grenouille dans la bouilloire qui voulait que rien ne change

Nous imaginons, rêvons ou frissonnons à l’idée de changements brusques : le fameux « grand soir », les catastrophes naturelles ou politiques… Et nous oublions que les évolutions sont progressives, insidieuses.

L’extrême droite dure néonazie n’est que rarement entrée ouvertement au gouvernement en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais la plupart des gouvernements se veulent aujourd’hui des coalitions « centristes ». Au centre de quoi ? De cette extrême droite dure et de la droite libérale. Bref, ce qui aurait été considéré comme de l’extrême droite il y a une ou deux décennies.

Les médias d’extrême droite ne sont jamais devenus grand public. Mais Twitter, l’un des médias les plus influents du monde, est devenu un pur média d’extrême droite soutenu par tous ceux qui l’alimentent. Les médias nationaux, eux, appartiennent et obéissent dans une écrasante majorité à des milliardaires rarement connus pour être progressistes (on ne devient pas milliardaire sans être complètement psychopathe).

Même les plus écologistes parlent du futur, de la catastrophe qui arrive « si on ne fait rien ». Mais elle n’arrive pas la catastrophe. Nous sommes en plein dedans. La pollution de l’air tue, en Europe, chaque année des centaines de milliers de personnes. Au niveau mondial, si j’en crois des chiffres rapidement moyennés sur le web, la pollution de l’air est l’équivalent de deux pandémies de COVID. Chaque année ! Nos enfants sont asthmatiques. Ils souffrent. Les océans sont remplis de déchets. Nous sommes en plein cœur de la catastrophe. Mais nous l’attendons. C’est d’ailleurs pour ça que le nucléaire fait tellement débat : il nous promet une catastrophe ! Le charbon, lui, nous plonge en plein dedans et tout le monde s’en fout.

Dans le cultissime « Planète à gogos », Pohl et Kornbluth tentaient de nous alerter sur ce pseudolibéralisme débridé qui mène mécaniquement à un contrôle total de la société par quelques monopoles. C’est déjà le cas sur Internet ou la jeune génération ne connait qu’une unique alternative à Méta (Facebook,Instagram,Whatsapp) : Tiktok. Les milliards d’internautes n’ont aucune idée de comment tout cela fonctionne, ils obéissent aveuglément à quelques grandes sociétés. Les militants de tout poil ne connaissent plus qu’une manière de s’organiser : créer une page Facebook ou un groupe Whatsapp. De même pour les quelques petits magasins indépendants qui tentent de survivre à la taxe Visa/Mastercard qui leur est imposée, à la guerre au cash menée par les gouvernements, aux tarifs exorbitants imposés par des fournisseurs monopolistiques. Ils perdent pied et ne voient pas d’autres solutions que de… créer une page Facebook.

Facebook dont les algorithmes sont très similaires à Twitter, Facebook qui a permis l’ascension de Trump au pouvoir et qui est, il ne faut pas se le cacher, d’extrême droite et monopolistique. Par essence.

Toutes ces catastrophes ne sont pas hypothétiques. Elles sont actuelles, sous nos yeux. Elles sont liées. On ne peut pas militer pour le social sur Twitter. On ne peut pas être écologiste sur Facebook. On ne peut pas lutter contre les monopoles en fumant des clopes de chez Philip Morris. On ne traite pas un cancer généralisé en allant voir un spécialiste de l’estomac et en prétendant que les autres organes ne nous intéressent pas.

Mais personne n’est parfait. Nous avons tous nos contradictions. Nous avons tous nos obligations. Nous avons le droit d’être imparfaits. Nous ne pouvons pas être spécialistes en tout.

L’important pour moi est d’en être conscient. De ne pas nous autojustifier dans nos comportements morbides. Soyons responsables de nos actions, soyons honnêtes avec nous-mêmes. On a le droit de craquer (moi c’est le chocolat !). Mais on n’a pas le droit de prétendre qu’un craquage est « sain ». On a le droit d’avoir un compte Whatsapp. On n’a pas le droit de prendre pour acquis que tout le monde en a un.

Chaque année, je dis à mes étudiants qui vont sortir de polytechnique (donc avec d’excellentes perspectives d’emploi) : « Si vous qui n’avez aucun souci à vous faire pour trouver de l’emploi ne faites pas des choix moraux forts, qui les fera ? N’acceptez pas de contrevenir à votre propre morale ! ».

Et puis je me replonge dans les différentes révolutions historiques. Et je réalise que les changements viennent rarement de ceux qui avaient le choix, de ceux qui pouvaient se permettre. Ceux-là étaient, le plus souvent, corrompus par le système. Le changement vient de ceux qui n’ont pas le choix et le prennent quand même. De ceux qui risquent tout. Et le perdent.

Je réalise que je suis moi-même enfoncé dans un petit confort bourgeois. Que je protège égoïstement ma petite famille et mon petit confort. Qu’à part théoriser et gloser sur mon blog, ce qui me plait et valorise mon ego, je ne fais rien. Je sais même pas quoi faire.

Ça y’est, j’ai passé le cap. Nous sommes au milieu d’une catastrophe et j’ai tout intérêt à ce que rien ne change.

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Considérations sur le talent, le génie, le travail et un jeu vidéo que je vous recommande

vendredi 2 juin 2023 à 02:00

Considérations sur le talent, le génie, le travail et un jeu vidéo que je vous recommande

À Épinal, j’ai eu la grande chance d’échanger avec Denis Bajram, auteur de la BD culte Universal War 1. La conversation s’est très vite portée sur la notion de génie, un sujet sur lequel je méditais justement depuis longtemps.

Dans ma vision personnelle, le talent n’est finalement qu’une facilité, un état de départ. Prenez deux individus sans la moindre expérience et demandez-leur de chanter, dessiner, courir, jongler avec un ballon ou n’importe quoi. Il y’a de grandes chances que l’un soit plus doué que l’autre. Bajram me confiait qu’il était le meilleur en dessin de son lycée. Lorsqu’on a du talent, tout semble facile. Bernard Werber a d’ailleurs dit « Écrire, c’est facile, tout le monde peut le faire » avant qu’Henri Lœvenbruck ne le reprenne « C’est facile pour toi. Pour l’infime minorité de génies. Pour les autres, c’est du travail, beaucoup de travail ». Hemingway ne disait-il pas que « Écrire c’est s’asseoir devant sa machine et saigner » ?

Cependant, le talent n’est que la base et vient ensuite le travail, l’entrainement. Le jeune, aussi talentueux soit-il, sort de son microcosme et se voit soudain confronté aux meilleurs de son pays voire, grâce à Internet, de la planète. Il se rend compte qu’il n’est pas aussi talentueux que cela. Il doit travailler, s’améliorer. Souvent, il abandonne.

Au plus on travaille, au plus on acquiert de l’expérience et de la capacité à comprendre ce que l’on fait. À percevoir les défauts de ses propres réalisations. On comprend pourquoi certaines œuvres sont bien meilleures que ce que l’on fait. On en arrive même à un point où on comprend intellectuellement ce qui est nécessaire pour arriver à un résultat extraordinaire. Sans toujours être capable de le mettre réellement en pratique.

À titre personnel, j’ai énormément travaillé la structure du récit, la narration. L’histoire d’Universal War 1 est extraordinaire, prenante et complexe. Je ne sais pas si je pourrai un jour égaler ce niveau. Mais je comprends intellectuellement le processus mis en œuvre par Bajram pour y arriver. Je vois comment il s’y prend, comment il utilise son talent et sa capacité de travail. Je pourrais dire la même chose de celui qui est, à mes yeux, le meilleur scénariste de bande dessinée de sa génération : Alain Ayrolles, auteur de l’incroyable « De Capes et de Crocs ». Si la série est l’une de meilleures qui soit, je crois que je comprends les processus créatifs à l’œuvre. Et si je « comprends » UW1 et De capes et de Crocs, j’en reste néamoins muet d’admiration et les relis régulièrement.

Mais, parfois, arrive un génie. Contrairement au talent, le génie est incompréhensible. Le génie sort de toutes les normes, de toutes les cases. Même les meilleurs experts doivent avouer « Je ne sais pas comment il a fait ». En bande dessinée, c’est par exemple un Marc-Antoine Mathieu. Sa série « Julius Corentin Acquefaques, prisonnier des rêves » relève du pur génie. J’ai beau les lire te relire, je ne vois pas comment on peut produire ce genre de livres complètement hors-normes. Je rends d’ailleurs hommage à cette série dans ma nouvelle « Le Festival », cachée dans mon recueil « Stagiaire au spatioport Omega 3000 ».

Face à un génie, même les plus grands talents doutent. Dans l’extraordinaire film « Amadeus », de Milos Forman, le musicien Salieri, pourtant un des meilleurs de son époque, se retrouve confronté à Mozart, l’adore, le jalouse, l’admire et le déteste à la fois. C’est en y faisant référence que Bajram m’a parlé de ce qu’il appelle le syndrome « Salieri », cette confrontation au génie qui fait douter même les plus talentueux.

Ce doute de l’artiste, ce syndrome est intéressant, car, sur son blog, Bajram confie être déçu par les séances de signatures où les fans font la file sans même lui parler. Fans qui, pour certains, vont même jusqu’à se plaindre sur Facebook.

Les artistes sont des éponges émotionnelles et pour une critique négative sur Facebook ou Twitter, combien de fans intimidés qui n’ont même pas osé adresser la parole à leur idole ? D’ailleurs, si j’ai moi-même franchi ce pas, c’est parce que je m’étais préparé mentalement depuis une semaine : « si tu vois Bajram et/ou Mangin, tu vas vers eux et tu leur offres un livre ». En lisant le post de Bajram, j’ai envie de lui dire : « Ce ne sont pas les séances de signatures qu’il faut arrêter, c’est Facebook ! »

Régulièrement, des artistes, parfois très connus, parlent de mettre leur carrière en pause à cause du harcèlement continu qu’ils subissent en ligne. Mais ce n’est pas l’art ni la notoriété le problème, c’est bel et bien les plateformes qui exploitent les failles de la psyché humaine et nous font ressortir le négatif. Même sur Mastodon, je le vis assez régulièrement : un simple commentaire négatif peut me faire douter, voire m’énerver durant plusieurs heures (solution: allez relire les critiques positives sur Babelio ou sur les blogs, ça fait du bien, merci à ceux qui les postent !)

De plus en plus de professionnels se coupent des réseaux sociaux. C’est par exemple le cas du cycliste Remco Evenepoel que le staff isole totalement des réseaux sociaux pour être sûr qu’il soit concentré et moralement au top lors des courses.

Le talent et le jeu de Gee

Pourquoi vous parler de talent, de travail et de génie ? Parce que c’est justement une réflexion qui murit en moi depuis que j’ai joué à Superflu Riteurnz, le jeu de Gee.

Je suis Gee depuis qu’il a commencé à poster sur Framasoft. Et un truc qui m’a marqué depuis le début, c’est qu’il n’a pas un grand talent pour le dessin. Yep, je sais, ce n’est pas sympa. Mais faisant moi-même des crobards de temps à autre, je pense avoir au moins autant de talent que lui. Il me fait bien marrer Gee, il a un humour bien à lui, mais ce n’est pas un grand dessinateur.

Y’a juste une petite subtilité. C’est que lui il travaille. Il persévère. Il a créé un univers avec son dessin assez simpliste. Il a même auto-publié une BD de Superflu.

Et, soyons honnêtes, si la BD est sympathique, voire amusante, elle n’est pas transcendante.

Sauf que Gee ne s’est pas arrêté en chemin. Il a sorti le jeu. Qui est la suite de la BD, mais vous pouvez jouer sans avoir lu la BD.

Et là, l’incroyable travail de Gee m’a sauté aux yeux. L’univers Superflu s’est affiné. S’est enrichi du talent informatique de l’auteur. Les décors du jeu, les animations comme le vent dans les arbres où dans les cheveux m’ont bluffé. J’ai plongé avec Miniploumette (11 ans) et Miniploum (6ans). Ils ont adoré.

Je suis un énorme fan des point-n-click. Le premier jeu vidéo auquel je forme mes enfants est Monkey Island, mon jeu fétiche. De temps en temps, je réessaye un vieux jeu (je suis d’ailleurs bloqué depuis des mois dans Sherlock Holmes : Case of the Rose Tatoo, malgré toutes les soluces que j’ai pu lire en ligne, rien n’y fait). Superflu Riteurnz n’est pas seulement un hommage, c’est une véritable version moderne du principe. La jouabilité est excellente. Il y’a très peu de redondances ou de longueurs.

Le jeu innove également avec une mécanique très appréciable : la hotline pour obtenir des indices. Plutôt que d’aller chercher sur le web des soluces, le jeu vous les apporte sur un plateau. Est-ce de la triche ? Spontanément, mes enfants ne veulent pas utiliser la hotline sauf quand ça commence à les gonfler. Il n’y a pas de score, pas d’enjeu et pourtant ça fonctionne. Des enquêtes dans les bars crapuleux de Fochougny aux hauteurs vertigineuses du château d’eau en passant par les courses poursuites infernales. En tracteur.

Le seul reproche ? C’est trop court. Après l’avoir terminé, on veut une extension, une nouvelle aventure.

Mon conseil : si vous pouvez vous le permettre financièrement, achetez la BD et le jeu. Les deux sont complémentaires. Si la BD ne vous intéresse pas, pas de soucis, je l’ai lue après le jeu et le jeu fonctionne très bien sans.

Ce jeu démontre qu’avec un travail de fou au dessin (les décors du jeu sont vraiment superbes), à la programmation (et là, je m’y connais) voire à la musique, Gee produit une œuvre multifacette particulièrement intéressante, ludique, drôle, divertissante et intergénérationnelle. Politique et critique, aussi. Le final m’a ôté mes dernières hésitations. Le résultat est sans appel : le travail paie ! (du moins si vous achetez le jeu)

Peut-être qu’après toutes ces superproductions hollywoodiennes, les aventures de Superflu à Fochougny (dont la maire m’a fait éclater de rire) sont un retour bienvenu au confort de la proximité, du local. Peut-être qu’après toutes ces années à suivre le blog de Gee sans être fan de ses dessins, l’univers de Superflu, dont je trouvais le concept moyennement amusant, s’est enfin mis en place pour moi et sans doute pour beaucoup d’autres.

Allez à Fochougny, le voyage vaut le déplacement !

Et souvenez-vous que des débutants au plus grands artistes que vous admirez, tout le monde doute. Qu’un petit encouragement, un message sympa, un serrage de main, une poignée d’étoiles sur votre site de recommandation préféré sont le carburant qui produira le prochain livre, le prochain jeu, le prochain court-métrage ou la prochaine musique qui vous accompagnera dans un petit bout de vie. Ou qui vous inspirera.

Bonne découvertes, bonne créations !

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De la difficulté de classifier la littérature (et de l’occasion de se rencontrer aux Imaginales)

mercredi 24 mai 2023 à 02:00

De la difficulté de classifier la littérature (et de l’occasion de se rencontrer aux Imaginales)

La sérendipité de mon bibliotaphe m’a fait enchainer deux livres entre lesquels je n’ai pas pu m’empêcher de voir une grande similitude. « L’apothicaire » d’Henri Lœvenbruck et « Hoc Est Corpus » de Stéphane Paccaud.

Si l’un conte les aventures du très moderne Andreas Saint-Loup dans le Paris de Philippe le Bel, l’autre nous emmène dans la Jérusalem de Baudouin le Lépreux. Tous les deux sont des romans historiques extrêmement documentés, réalistes, immersifs et néanmoins mâtinés d’une subtile dose de fantastique. Fantastique qui ne l’est que pas le style et pourrait très bien se révéler une simple vue de l’esprit.

Dans les deux cas, l’écriture est parfaitement maitrisée, érudite tout en restant fluide et agréable. Lœvenbruck se plait à rajouter des tournures désuètes et du vocabulaire ancien, lançant des phrases et des répliques anachroniques pleines d’humour. Paccaud, de son côté, alterne rapidement les narrateurs, allant jusqu’à donner la parole aux murs chargés d’humidité ou au vent du désert.

Bref, j’ai adoré tant le style que l’histoire et je recommande chaudement ces deux lectures même si le final m’a chaque fois légèrement déçu, tuant toute ambiguïté de réalisme et rendant le fantastique inéluctablement explicite. J’aurais préféré garder le doute jusqu’au bout.

D’ailleurs, Henri Lœvenbruck, Stéphane Paccaud et moi-même serons ce week-end à Épinal pour les imaginales. N’hésitez pas à venir faire coucou et taper la causette. C’est la raison même de ce genre d’événements. (suivez-nous sur Mastodon pour nous trouver plus facilement).

De la classification de la littérature

S’il fallait les classer, ces deux livres devraient clairement se trouver côte à côte dans les rayons d’une bibliothèque. Des romans historiques avec des éléments fantastiques. D’ailleurs, Lœvenbruck m’a asséné : « Une histoire n’est pas fantastique. Elle comporte des éléments de fantastique ! » (citation approximative,).

Mais voilà. Henri Lœvenbruck est réputé comme un auteur de polars. Vous trouverez donc « L’Apothicaire » dans la section polar de votre librairie. Quand à « Hoc Est Corpus », il est paru dans la collection Ludomire chez PVH éditions, une collection (où je suis moi-même édité) spécialisée dans la « littérature de genre », à savoir la SFFF pour « Science-Fiction Fantasy Fantastique ».

Quelle importance, me demandez-vous ? On s’en fout de la classification.

Pas du tout !

Car, comme je l’ai appris à mes dépens, le lectorat grand public ne veut pas entendre parler de science-fiction ou de fantastique. Le simple fait de voir le mot sur la couverture fait fuir une immense quantité de lecteurs qui, pourtant, en lit régulièrement sous la forme de polars. La plupart des librairies générales cachent pudiquement sous une étagère quelques vieux Asimov qui prennent la poussière et ne veulent pas entendre parler de science-fiction moderne. Quelques échoppes tentent de faire exception, comme « La boîte à livre » à Tours, qui a un magnifique rayon ou le salon de thé/librairie « Nicole Maruani », près de la place d’Italie à Paris, qui m’a fait la surprise de mettre mon livre à l’honneur dans son étagère de SF (et qui fait du super bon brownie, allez-y de ma part !).

Mais Ploum, si le mot « science-fiction » est mal considéré, pourquoi ne pas mettre simplement ton roman dans la catégorie polar ? Après tout, Printeurs est clairement un thriller.

Parce que la niche des lecteurs de science-fiction est également étanche. Elle se rend dans des lieux comme « La Dimension Fantastique », près de la gare du Nord à Paris. Un endroit magique ! J’avais les yeux qui pétillaient en survolant les rayons et en écoutant l’érudition du libraire.

La SF est-elle condamnée à être cantonnée dans sa niche ? À la Dimension Fantastique, le libraire m’a confié qu’il espérait que le genre gagne ses lettres de noblesse, qu’il voyait une évolution ces dernières années.

Pour Bookynette, l’hyperactive présidente de l’April et directrice de la bibliothèque jeunesse « À livr’ouvert », le genre à la mode est le « Young Adult ». Et c’est vrai : dès que le protagoniste est un·e adolescent·e, soudainement le fantastique devient acceptable (Harry Potter) et la pure science-fiction dystopique devient branchée (Hunger Games).

Bref, la classification a son importance. Au point de décider dans quelle librairie vous allez être. Étant un geek de science-fiction, j’ai l’impression d’en écrire. Mais j’ai la prétention de penser que certains de mes textes vont au-delà de la SF, qu’ils pourraient parler à un public plus large et leur donner des clés pour comprendre un monde qui n’est pas très éloigné de la science-fiction d’il y a quelques décennies. Surtout les genres dystopiques. En pire.

La science-fiction ne parle pas et n’a jamais parlé du futur. Elle est un genre de littérature essentiel pour comprendre le présent. Peut-être doit-elle parfois se camoufler pour briser certains a priori ?

On se retrouve sur le stand PVH aux Imaginales pour discuter de tout ça ?

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