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Prohibition

vendredi 5 avril 2019 à 13:52

Inquiet, je jetai un regard à ma femme qui refermait doucement la porte de notre appartement.
— Alors ? Tu en as ?
— Moins fort ! me répondit-elle. Je ne tiens pas à ce que les voisins nous dénoncent.

Puis, d’un air conspirateur, elle me tendit un minuscule paquet qu’elle gardait serré dans son poing. Je m’en saisis immédiatement.
— C’est tout ? balbutiais-je.
— Laisse-m’en ! Il faut tenir jusqu’à la prochaine livraison.

Je divisai le paquet en deux parts égales avant de lui en tendre une. Mon maigre butin dans le creux de ma main, je me retirai dans notre toilette, la seule pièce sans fenêtre.
— N’utilise pas tout d’un coup ! chuchota ma femme.

Je ne répondis même pas. Je pensais à l’époque où la vente était libre. Où on se fournissait dans les grands magasins, comparant les marques, n’achetant que de la bonne qualité. Mais le lobby sanitaire s’était joint à l’hystérie écologiste. Aujourd’hui, nous étions des hors-la-loi.

Nous avions certes tenté de nous sevrer, tenant parfois près d’une semaine. Mais, à chaque fois, nous avions craqué, nous étions retombés dans notre addiction, allant jusqu’à plusieurs fois par jour.

Seul dans la toilette, j’ouvris la main et me mis à l’ouvrage. Les muscles de ma nuque se détendirent, mes paupières se fermèrent naturellement et je me mis à pousser des soupirs de jouissance tandis que le dangereux, le précieux coton-tige explorait mon canal auriculaire.

Oui, je connaissais les méfaits de mon acte. J’étais conscient du coût écologique de ces bouts de plastiques, du risque pour mon tympan. Mais rien ne pouvait remplacer cette extase, cet unique moment de jouissance.

Photo by Simone Scarano on Unsplash

Je suis @ploum, conférencier et écrivain électronique. Si vous avez apprécié ce texte, n'hésitez pas à me soutenir sur Tipeee, Patreon, Paypal, Liberapay ou en millibitcoins 34pp7LupBF7rkz797ovgBTbqcLevuze7LF. Vos soutiens réguliers, même symboliques, sont une réelle motivation et reconnaissance. Merci !

Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Printeurs 51, la fin.

vendredi 29 mars 2019 à 12:22

Ceci est le dernier épisode d’une aventure qui ce sera étalée sur plusieurs années. J’espère que vous avez apprécier la lecture, que vous la conseillerez à d’autres et que j’aurai l’occasion de la mettre en forme pour vous proposer un véritable livre, électronique ou sur papier. Merci pour votre fidélité à travers cette histoire !

Ce matin, le plus vieux est venu me chercher. Les bébés étaient calmes. J’étais confiant, mon pouvoir était revenu.

— Viens avec moi ! m’a dit le plus vieux. Je veux que tu racontes ton histoire à Mérissa. Je me refuse de croire qu’elle soit inhumaine à ce point là. Une future maman ne peut rester insensible, elle va comprendre, elle va agir.

Je n’ai rien dit, je l’ai suivi silencieusement à travers la ville jusque dans cette grande pièce avec une engrossée. Lorsque le plus jeune a soudainement surgit, avec une jeune femme nue, je me suis doucement mis en retrait. Je sais que mon pouvoir me permet de ne pas être remarqué, de ne pas attirer l’attention sur moi.

Ils ont parlé pendant une éternité. Mais j’ai appris la patience. Je les ai laissé. J’avais confiance. Le pouvoir me soufflerait lorsque serait venu le temps d’agir.

L’enfer s’est soudainement déchainé. Mes cauchemars sont devenus une nouvelle forme de réalité.

J’ai souris.

Elle était là, familière, présente, suintante. La peur ! Ma peur.

Sans forcer, sans colère, j’ai enfoncé la fine baguette de métal dans le dos du plus jeune. Puis du plus vieux. Une simple tige que j’avais arraché à un meuble de l’appartement dans lequel j’avais séjourné et que j’avais caché dans ma manche.

Les bébés hurlaient, dansaient mais cette fois, ce n’est pas moi qu’ils regardaient. L’engrossée regardait un écran et tentait de taper sur un clavier. La plus jeune la soutenait. Je lui ai enfoncé la baguette dans le cou.

Elle a porté ses mains à sa gorge avant de tourner vers moi un regard de surprise extrême. Ses lèvres ont articulé quelques mots.
— L’élément perturbateur, l’imprévu…
Elle s’est écroulée, renversant l’engrossée qui est tombée sur le sol en hurlant.

Je me suis approchée d’elle.

Elle gémissait, tentant de s’apaiser avec des petites respirations saccadées. J’avais déjà vu des travailleuse mettre bas, cela ne me faisait ni chaud ni froid.

D’un geste du doigt, elle me fit signe de me rapprocher. J’obtempérai.
— Comment… Comment t’appelles-tu ? haleta-t-elle.
— 689, répondis-je machinalement.

Malgré sa difficile situation, elle suintait l’autorité. Le pouvoir semblait littéralement jaillir de sa voix, de son visage. Je l’adorais, la vénérais.
— 689, murmura-t-elle, si tu appuies sur la plus grosse touche du clavier, tu détruiras le maitre du monde. La commande est tapée, il suffit de la confirmer.

Le pouvoir. L’immense pouvoir.

Lentement, je me redressai tout en contemplant le clavier, l’écran.

J’ai trouvé la touche. J’ai vu l’écran. J’ai levé le doigt. J’ai hésité.

Puis j’ai regardé la femme en train de hurler tout en se tenant le ventre. Une petite tête humide et visqueuse pointait entre ses cuisses. Les cris de la mère couvraient le cauchemar de la pièce.

— Appuie ! cria-t-elle. Appuie maintenant !

612 se tenait devant moi, le visage tordu par la douleur et le coup mais le regard pétillant de malice.

— L’un d’entre vous verra la Terre. Il la sauvera. L’Élu ! Appuie !

Ma vie se mit à défiler devant mes yeux. La douleur, l’humiliation, l’usine. Devenir G89. Tuer le vieux. Approcher le contremaître. Voir l’espace. La terre. Gagner la confiance du vieux et du jeune terrien. Tuer le jeune terrien qui était un peu trop perspicace. Rester caché dans l’appartement. Affronter mes cauchemars. Être témoin de la résurrection du plus jeune. Et puis devenir le maître du monde ?

— Accomplis ton destin ! m’ordonna le vieux 612. Appuie sur le clavier, sauve la Terre !

Au sol, la femme blonde haletait doucement, les yeux hagards, les jambes écartées. Un bébé silencieux se tortillait auprès d’elle tandis qu’un second crâne minuscule faisait son apparition dans l’enfer de la vie.

À mes pieds, ce qui avait été la maîtresse du monde se convulsait dans les affres de l’enfantement.

— Deviens… Deviens le maitre du monde ! bégaiait-elle. Appuie !
— Appuie ! me supplia 612.

Mais j’avais compris. Une mère est prête à tout pour ses enfants. Une mère ne me confierait jamais les rennes du monde.

Lentement, je m’assis devant le clavier et l’écran. Il état là, le véritable maître du monde. Celui que tout le monde craignait. Celui qui faisait suinter la peur dans les esprits, qui organisait la construction, l’achat, la destruction, la vente, infini cycle consumériste qui consumait lentement la planète.

Dans la pièce, le silence était revenu. Le cauchemar s’était tu. 612 avait disparu, chassé de mon esprit par ma nouvelle lucidité. Seuls restaient des cadavres, une parturiente agonisante et deux nouveaux-nés.

Je contemplai mon œuvre. La femme nue râla, porta la main à sa gorge et tenta de se relever. Sans succès.

Je souris.

Peur, ma fidèle conseillère, ma vieille amie. Je t’obéirai. Je suis ton humble serviteur.

Lentement, je m’éloignai du clavier et de la touche. Je vénérais l’écran, le véritable maître du monde. Mais il savait que, d’une simple pression, je pouvais l’éteindre. Le monde avait retrouvé l’équilibre. Je devais me mettre au service du maître du monde et de ma peur.

Une forme grise sauta sur le bureau, près de l’écran.
— Miaouw ! fit-elle.

Je sursautai.
— Miaouw ! insista-t-elle.

Elle retroussa ses babines, me montrant de minuscules dents blanches. Un feulement jaillit de ce petit corps poilus.
— Lancelot, murmura la femme qui accouchait. Mon petit Lancelot à sa mémère…

Incrédule, je détournai le regard. Mais, doucement, sans même avoir l’air d’y prêter attention, la bête se mit à marcher sur le bureaux. Sa patte enfonça la touche du clavier. Des lignes se mirent à défiler à toute vitesse sur l’écran avant de s’arrêter. Rien ne se passa. Était-ce un subterfuge de mon esprit où la lumière avait-elle clignoté un bref instant ?

Dans un profond borborygme, la femme nue parvint à se mettre à genoux, le corps couvert de sang.

Sur le sol, les deux bébés se mirent soudain à crier. Au dessus de moi, le plafond laissa soudain passer un voile de ciel d’un bleu trop clair, trop brillant.

Photo by Grant Durr on Unsplash

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Pourquoi les superhéros détruisent le monde

vendredi 15 mars 2019 à 12:16

Tout en prétendant le sauver. Et pourquoi ils sont le pire modèle possible pour nos enfants.

Je déteste les films de superhéros. Je conchie cette mode abjecte qui a dirigé la moitié des conversations d’Internet sur le thème DC ou Marvel, qui a créé une génération d’exégètes de bandes-annonces en attente du prochain « film événement » que va leur fournir l’implacable machine à guimauve et à navet hors de prix appelée Hollywood.

Premièrement à cause de cette éternelle caricature du bien contre le mal, cet épuisant manichéisme qu’on tente désormais de nous camoufler en montrant que le bon doit faire des choses mauvaises, qu’il doute ! Mais, heureusement, le spectateur lui, ne doute jamais. Il sait très bien qui est le bon (celui qui lutte contre le mauvais) et qui est le mauvais (celui qui cherche à faire le Mal, avec un M majuscule, mais sans aucune véritable autre motivation, rendant le personnage complètement absurde). Le bon n’en sort que meilleur, c’est effrayant de bêtise, de faiblesse scénaristique. C’est terrifiant sur l’implication dans nos sociétés. Ce qui est Bien est Bien, c’est évident, on ne peut le questionner. Le Mal, c’est l’autre, toujours.

Mais outre ce misérabilisme intellectuel engoncé sous pléthores d’explosions et d’effets spéciaux, ce qui m’attriste le plus dans cet univers global est le message de fond, l’odieuse idée sous-jacente qui transparait dans tout ce pan de la fiction.

Car la fiction est à la fois le reflet de notre société et le véhicule de nos valeurs, de nos envies, de nos pulsions. La fiction représente ce que nous sommes et nous façonne à la fois. Qui contrôle la fiction contrôle les rêves, les identités, les aspirations.

Les blockcbusters des années 90, d’Independance Day à Armaggedon en passant par Deep Impact, mettaient tous en scène une catastrophe planétaire, une menace totale pour l’espèce. Et, dans tous les cas, les humains s’en sortaient grâce à la coopération (une coopération généralement fortement dirigée par les États-Unis avec de nauséabonds relents de patriotisme, mais de la coopération tout de même). La particularité des héros des années 90 ? C’étaient tous des monsieurs et madames Tout-le-Monde. Bon, surtout des monsieurs. Et américains. Mais le scénario insistait à chaque fois lourdement sur sa normalité, sur le fait que ça pouvait être vous ou moi et qu’il était père de famille.

Le message était clair : les États-Unis vont unir le monde pour lutter contre les catastrophes, chaque individu est un héros et peut changer le monde.

Durant mon adolescence, les films de superhéros étaient complètement ringards. Il n’y avait pas l’ombre du moindre réalisme. Les costumes fluo étaient loin de remplir les salles et, surtout, n’occupaient pas les conversations.

Puis est arrivé Batman Begins, qui selon toutes les critiques de l’époque a changé la donne. À partir de là, les films de superhéros se sont voulus plus réalistes, plus humains, plus sombres, plus glauques. Le héros n’était plus lisse. 

Mais, par essence, un superhéros n’est pas humain ni réaliste. Il peut bien sûr être plus sombre si on change l’éclairage et qu’on remplace le costume fluo. Pour le reste, on va se contenter de l’apparence. Une pincée d’explications par un acteur en blouse blanche pour faire pseudo-scientifique apportera la touche de réalisme. Pour le côté humain, on montrera le superhéros face au doute et éprouvant des caricatures d’émotions : la colère, le désir de faire du mal au Mal, la peur d’échouer, une vague pulsion sexuelle s’apparentant à l’amour. Mais il restera un superhéros, le seul capable de sauver la planète.

Le spectateur n’a plus aucune prise sur l’histoire, sur la menace. Il fait désormais partie de cette foule anonyme qui se contente d’acclamer le superhéros, de l’attendre voire de servir, avec le sourire, de victime collatérale. Car le superhéros moderne fait souvent plus de dégâts que les aliens d’Independance Day. Ce n’est pas grave, c’est pour la sauvegarde du Bien.

Désormais, pour sauver le monde, il faut un super pouvoir. Ou bien il faut être super riche. Si tu n’as aucun des deux, tu n’es que de la chair à canon, dégage-toi du chemin, essaie de ne pas gêner.

C’est tout bonnement terrifiant.

Le monde que nous renvoient ces univers est un monde passif, d’acceptation où personne ne cherche à comprendre ce qu’il y’a au-delà des apparences.  Un monde où chacun attend benoîtement que le Super Bien vienne vaincre le Super Mal, le cul vissé sur la chaise de son petit boulot gris et terne.

La puissance évocatrice de ces univers est telle que les acteurs qui jouent les superhéros sont adulés, applaudis plus encore que leurs avatars, car, comble du Super Bien, ils enfilent leur costume pour aller passer quelques heures avec les enfants malades. Les héros de notre imaginaire sont des saltimbanques multimillionnaires qui, entre deux tournages de publicité pour nous laver le cerveau, acceptent de consacrer quelques heures aux enfants malades sous le regard des caméras !

À travers moults produits dérivés et costumes, nous renforçons cet imaginaire manichéens chez notre progéniture. Alors que notre plus grand espoir serait de former les jeunes à être eux-mêmes, à découvrir leurs propres pouvoirs, à apprendre à coopérer à large échelle, à cultiver les complémentarités et l’intérêt pour le bien commun, nous préférons nous vanter de leur avoir fabriqué un super beau costume de superhéros. Parce que ça fait super bien sur Instagram, parce qu’on devient, pour quelques likes, un super papa ou une super maman.

Le reste de la société est à l’encan. Ne collaborez plus mais devenez un superhéros de l’entrepreneuriat, un superhéros de l’environnement en triant vos déchets, une rockstar de la programmation !

C’est super pathétique…

Photo by TK Hammonds on Unsplash

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L’ascenseur

jeudi 14 mars 2019 à 09:43

La cabine individuelle du monorail me déposa à quelques mètres de l’entrée du bâtiment de la Compagnie. Les larges portes de verre s’écartèrent en enfilade pour me laisser le passage. Je savais que j’avais été reconnu, scanné, identifié. L’ère des badges était bel et bien révolue. Tout cela me paraissait normal. Ce ne devait être qu’une journée de travail comme les autres.

Le colossal patio grouillait d’individus qui, comme moi, arboraient l’uniforme non officiel de la compagnie. Un pantalon de couleur grise sur des baskets délacées, une paire de bretelles colorées, une chemise au col faussement ouvert dans une recherche très travaillée de paraître insouciant de l’aspect vestimentaire, une barbe fournie, des lunettes rondes. Improbables mirliflores jouisseurs, épigones de l’hypocrite productivisme moderne.

À travers les étendues vitrées du toit, la lumière se déversait à flots, donnant au gigantesque ensemble la sensation d’être une trop parfaite simulation présentée par un cabinet d’architecture. Régulièrement, des plantes et des arbres dans de gigantesques vasques d’un blanc luisant rompaient le flux des travailleurs grâce à une disposition qui ne devait rien au hasard. Les robots nettoyeurs et les immigrés engagés par le service d’entretien ne laissaient pas un papier par terre, pas un mégot. D’ailleurs, la Compagnie n’engageait plus de fumeurs depuis des années.

J’avisais les larges tours de verre des ascenseurs. Elles se dressaient à près d’un demi-kilomètre, adamantin fanal encalminé dans cet étrange cloître futuriste. J’ignorais délibérément une trottinette électrique qui, connaissant mon parcours habituel, vint me proposer ses services. J’avais envie de marcher un peu, de longer les vitrines des salles de réunion, des salles de sport où certains de mes collègues pédalaient déjà avec un enthousiasme matinal que j’avais toujours trouvé déplacé avant ma première tasse de kombusha de la journée.

Une voix douce se mit à parler au-dessus de ma tête, claire, intelligible, désincarnée, asexuée.

— En raison d’un problème technique aux ascenseurs, nous conseillons, dans la mesure du possible, de prendre l’escalier.

J’arrivai au pied des tours de verre et de métal. La voix insistait.

— En raison d’un problème technique, l’usage des ascenseurs est déconseillé, mais reste possible.

J’avais traversé le bâtiment à pied, je n’avais aucune envie de descendre une trentaine d’étages par l’escalier. Sans que je l’admette consciemment, une certaine curiosité morbide me poussait à constater de mes yeux quel problème pouvait bien rendre l’utilisation d’un ascenseur possible, mais déconseillée.

Je rentrai dans la spacieuse cabine en compagnie d’un type assez bedonnant en costume beige et comble du mauvais goût, en cravate, ainsi que d’une dame en tailleur bleu marine, aux lunettes larges et au chignon sévère. Nous ne nous adressâmes pas la parole, pénétrant ensemble dans cet espace clos comme si nous étions chacun seuls, comme si le moindre échange était une vulgarité profane.

Les parois brillantes resplendissaient d’une lumière artificielle parfaitement calibrée. Comme à l’accoutumée, je ne réalisai pas immédiatement que les portes s’étaient silencieusement refermées et que nous avions amorcé la descente.

Une légère musique tentait subtilement d’égayer l’atmosphère tandis que nous appliquions chacun une stratégie différente pour éviter à tout prix de croiser le regard de l’autre. L’homme maintenait un visage glabre aux sourcils épais complètement impassible, le regard obstinément fixé sur la paroi d’en face. La femme gardait les yeux rivés vers le sac en cuir qu’elle avait posé à ses pieds. Elle serrait un classeur contre son buste comme un naufragé se raccroche à sa bouée de sauvetage. De mon côté, je détaillais les arêtes du plafond comme si je les découvrais pour la première fois.

La lumière baissait sensiblement à mesure que nous descendions, comme pour nous rappeler que nous nous enfoncions dans les entrailles chtoniennes de la planète.

Lorsque nous fîmes halte au -34, l’homme en costume dû toussoter pour que je m’écarte à cause du léger rétrécissement de la cabine.

La plongée reprit. La baisse de luminosité et le rétrécissement devenaient très perceptibles. Au -78, l’étage de la dame, nous évoluions dans une pénombre grisâtre. En écartant les bras, j’aurais pu toucher les deux parois.

J’étais désormais seul, comme si l’ascenseur ne m’avait pas reconnu et ignorait ma présence. Une impulsion irrationnelle me décida d’aller aussi profond que possible. Simple accès de curiosité. Après tout, cela faisait des années que je travaillais pour la Compagnie et n’était jamais descendu aussi bas.

La lumière baissait de plus en plus, mais je m’aperçus que ma compagne de descente avait oublié son sac de cuir. Je peinais à distinguer les parois que je pouvais désormais toucher des doigts. Sur le compteur lumineux, qui était de plus en plus proche de moi, les étages défilaient de moins en moins vite.

Je sentis mes épaules frotter et je dus me mettre de profil pour ne pas être écrasé. Je plaçai le sac à hauteur de mon visage et pus très vite le lâcher, car il tenait par la simple force de pression que les parois exerçaient sur lui. La cabine m’enserrait désormais de tous côtés : les épaules, le dos et la poitrine. Ma respiration se faisait difficile alors survint le noir total. Les ténèbres m’enveloppèrent. Seul brillait encore faiblement le compteur qui se stabilisa sur -118.

Calmement, la certitude que j’allais mourir étouffé s’empara de moi. C’était certainement le problème dont m’avait averti la voix. Je ne l’avais pas écoutée, j’en payais le prix. C’était logique, il n’y avait rien à faire.

Dans un silence oppressant, je me rendis compte que la paroi à ma droite était un peu moins obscure. En me contorsionnant, je parvins à me glisser sous le sac qui était désormais à moitié écrasé. La porte était ouverte. Je fis quelques pas hors de la cabine dans une glauque et moite pénombre. Je distinguais des parois en feutre gris arrivant à mi-torse, délimitant des petits espaces où s’affairaient des collègues. Ils portaient des chemises que je percevais grises, des cravates et des gilets sans manches. La faible luminosité de vieux tubes cathodiques se reflétait dans leurs lunettes. Les discussions étaient douces, feutrées. J’avais l’impression d’être un étranger, personne ne faisait attention à moi.

Dans un coin, une vieille imprimante matricielle crachotait des pages de caractères sibyllins en émettant ses stridents chuintements.

Comme un somnambule, je déambulais, étranger à ce monde. Ou du moins, je l’espérais.

Après quelques hésitations, je repris ma place en me glissant avec quelques difficultés dans la cabine dont la porte ne s’était pas refermée, comme si elle m’attendait.

De nouveau, ce fut le noir. L’oppression. Mais pas pour longtemps. Je respirais. Les parois s’écartaient, je distinguais une légère lueur. Je remontais, je renaissais.

Les chiffres défilaient de plus en plus rapidement sur le compteur. Lorsqu’ils s’arrêtèrent sur 0, je défroissai ma chemise et, le sac en cuir dans une main, je me ruai dans les lumineux rayons du soleil filtré.

Au-dessus de ma tête, la voix désincarnée continuait sa péroraison.
— En raison d’un problème technique aux ascenseurs, nous conseillons, dans la mesure du possible, de prendre l’escalier.

Je me mis à courir en riant. Des balcons aux salles de sport, toutes les têtes se retournaient sur mon passage. Je n’y prêtais guère attention. Je riais, je courais à perdre haleine. Quelques remarques fusèrent, mais je ne les entendais pas.

Bousculant un garde, je franchis la série de doubles portes et sortis hors du bâtiment, hors de la Compagnie. Il pleuvait, le ciel était gris.

De toutes mes forces, je lançai la mallette de cuir. Elle s’ouvrit à son apogée, distribuant aux vents feuillets, fiches et autres notes qui vinrent dessiner une parodie d’automne sur le bitume noir de la route détrempée.

Je m’assis sur la margelle du trottoir, les yeux fermés, inspirant profondément les relents de petrichor tandis que des gouttes ruisselaient sur mon sourire.

Ottignies, 22 février 2019. Première nouvelle écrite sur le Freewrite, en moins de 2 jours. Rêve du 14 juillet 2008.Photo by Justin Main on Unsplash

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Désabonnez-moi !

mardi 12 mars 2019 à 13:23

Bonjour,

En vertu de la loi RGPD, pourriez-vous m’informer de la manière par laquelle vous avez obtenu mes coordonnées et effacer toutes données me concernant de vos différentes bases de données. Si vous les avez acquises, merci de me donner les coordonnées de votre fournisseur.

Bien à vous,

Il y’a 15 ans, le spam était un processus essentiellement automatisé qui consistait à repérer des adresses email sur le web et à envoyer massivement des publicités pour du Viagra. Les filtres intelligents sont finalement venus à bout de ce fléau, au prix de quelques mails parfaitement légitimes égarés. Ce qui a donné une excuse parfaite à toute une génération : « Quoi ? Je ne t’ai pas répondu sur le dossier Bifton ? Oh, ton mail était dans mes spams ! ».

Mais aujourd’hui, le spam s’est institutionnalisé. Il a gagné ses lettres de noblesse en se rebaptisant « newsletter » ou « mailing ». Les spammeurs se sont rebrandés sous le terme « email marketing » ou « cold mailing ». Désormais, il n’est pas une petite startup, une boucherie de quartier, un club de sport, une institution publique qui ne produise du spam.

Comme tout le monde le fait, tout le monde se sent obligé de le faire. À peine est-on inscrit à un service dont on a besoin, à peine vient-on de payer un abonnement à un club qu’il vient automatiquement avec sa kyrielle de newsletters. Ce qui est stupide, car on vient juste de payer. La moindre des choses quand on a un nouveau client, c’est de lui foutre la paix.

Le pire reste sans conteste le jour de votre anniversaire. Tous les services qui, d’une manière ou d’un autre, ont une date de naissance liée à votre adresse mail se sentent obligés de vous le rappeler. Le jour de son anniversaire, on reçoit déjà pas mal de messages des proches alors que, généralement, on est occupé. Normal, c’est la tradition, c’est chouette. Facebook nous envoie des dizaines voire des centaines de messages de gens moins proches voire d’inconnus perdus de vue. Passons, c’est le but de Facebook. Mais que chaque site où j’ai un jour commandé une pompe à vélo à 10€ ou un string léopard m’envoie un message d’anniversaire, c’est absurde ! Joyeux Spamniversaire !

Le problème avec ce genre de pourriel c’est que, contrairement au spam vintage type Viagra, il n’est pas toujours complètement hors de nos centres d’intérêt. On se dit que, en fait, pourquoi pas. On le lirait bien plus tard. La liste produira peut-être un jour un mail intéressant ou une offre commerciale pertinente. Surtout que se désabonner passe généralement par un message odieusement émotionnel de type « Vous allez nous manquer, vous êtes vraiment sûr ? ».  Quand il ne faut pas un mot de passe ou que le lien de désinscription n’est pas tout bonnement cassé. De toute façon, on ne se désinscrit que de « certaines catégories de mails ». Régulièrement, de nouvelles catégories sont ajoutées auxquelles on est abonné d’office. La palme revient à Facebook, qui m’envoie encore 2 ou 3 mails par semaine alors que, depuis plusieurs mois, je clique à chaque fois, je dis bien à chaque fois, sur les liens de désinscription.

Un magasin en ligne bio, écolo, ne vendant que des produits durables mais qui applique les techniques de marketing les plus anti-éthiques.

Si vous n’êtes pas aussi extrémiste que moi, il est probable que votre boîte mail soit bourrée jusqu’à la gorge, que votre inbox atteigne les 4 ou 5 chiffres. Mais de ces milliers de mails, combien sont importants ? 

Plus concrètement, combien de mails importants avez-vous perdus de vue parce que votre inbox a été saturé par ces mailings ? L’excuse est toujours valide, le mail de votre collègue est bien dans les spams. Tout votre inbox est devenu une gigantesque boîte à spams.

Ceux qui me suivent depuis longtemps savent que je suis un adepte de la méthode Inbox 0. Ma boîte mail est comme ma boîte aux lettres physiques : elle est vide la plupart du temps. Chaque mail est archivé le plus vite possible.

Au fil des années, j’ai découvert que la stratégie la plus importante pour atteindre régulièrement Inbox 0 est d’éviter de recevoir des mails dont je n’ai pas envie. Même s’ils sont potentiellement intéressants. Le simple fait de recevoir le mail, d’être distrait par lui, de le lire, d’étudier si le contenu vaut la peine nécessite un effort mental total qui n’est jamais compensé par un intérêt tout relatif et très aléatoire. En fait, les mails « intéressants » sont les pires, car ils font hésiter, douter.

Réfléchissons une seconde. Si des gens sont payés pour m’envoyer un mail que je n’ai pas demandé, c’est qu’à terme ils espèrent que je paie d’une manière ou d’une autre. Pour qu’une mailing liste soit réellement intéressante, il y’a un critère simple : il faut payer. Si vous ne payez pas le rédacteur de la newsletter vous-même, alors vous le paierez indirectement.

J’ai décidé d’attaquer le problème frontalement grâce à un merveilleux outil que nous offre l’Europe, la loi RGPD.

À chaque mail non sollicité que je reçois, je réponds le message que vous avez pu lire en entête de ce billet. Parfois, j’ai envie de juste archiver ou mettre dans les spams. Parfois je me dis que ça peut être intéressant. Mais je tiens bon : à chaque mail, je me désabonne ou je réponds (parfois les deux). Si une information est réellement pertinente, l’univers trouvera un moyen de me la communiquer.

Cela fait plusieurs mois que j’ai mis en place cette stratégie en utilisant un outil qui complète automatiquement le mail quand je tape une combinaison de lettres (j’utilise les snippets Alfred pour macOS). L’effet est proprement hallucinant.

Tout d’abord, cela m’a permis de remonter à la source de certaines bases de données revendues à grande échelle. Mais, surtout, cela m’a permis de me rendre compte que les apprenti-marketeux savent très bien ce qu’ils font. Ils se répandent en excuses, ils se justifient, ils me promettent que cela n’arrivera plus alors que mon mail n’est aucunement critique. La simple mention du RGPD les effraie. Bref, tout le monde le fait, mais tout le monde sait que ça emmerde le client et que c’est désormais à la limite de la légalité.

Et mon inbox dans tout ça ? Il n’en revient toujours pas. À force de me désinscrire de tout pendant plusieurs mois, il m’est même arrivé de passer 24h sans recevoir le moindre mail. Cela m’a permis de détecter que certains mails vraiment importants passaient parfois dans les spams vu que, étonné de ne rien recevoir, j’ai visité ce dossier.

Soyons honnêtes, c’était un cas exceptionnel. Mais je reçois moins de 10 mails par jour, généralement 4 ou 5, ce qui est tout à fait raisonnable. Je reprends même du plaisir à échanger par mail. Je préfère en effet cette manière de correspondre au chat qui implique une notion stressante d’immédiateté.

Maintenir mon inbox propre nécessite cependant une réelle rigueur. Il ne se passe pas une semaine sans que je découvre être inscrit à une nouvelle mailing liste, parfois utilisant des données anciennes et apparaissant comme par magie.

Aussi je vous propose de passer avec moi à la vitesse supérieure en appliquant exactement ma méthode.

À chaque mail non sollicité, répondez avec mon message ou un de votre composition. Copiez-collez-le ou utilisez des outils de réponses automatiques. Surtout, n’en laissez plus passer un seul. Vous allez voir, c’est fastidieux au début, mais ça devient vite grisant.

Plus nous serons, moins envoyer un mailing deviendra rentable. Imaginez un peu la tête du marketeux qui, à chaque mail, doit répondre non plus à un ploum un peu excentrique, mais à 10 voire 100 personnes !

Ne soyez pas agressifs. Ne jugez pas. N’essayez pas d’entrer dans un débat (je l’ai fait au début, c’était une erreur). Contentez-vous du factuel et inattaquable : « Retirez-moi de vos bases de données ». Vous n’avez pas à vous justifier plus que cela. N’oubliez pas de mentionner les lettres magiques : RGPD.

Qui sait ? Si nous sommes assez nombreux à appliquer cette méthode, peut-être qu’on en reviendra au bon vieux principe de n’envoyer des mails qu’à ceux qui ont demandé pour les recevoir.

Je rêve peut-être, mais la rigueur que je me suis imposée pour commencer cet exercice s’est transformée en plaisir de voir ma boîte mail si souvent vide, prête à recevoir les messages et les critiques de mes lecteurs. Car, ces messages-là, je n’en ai jamais assez…

Photo by Franck V. on Unsplash

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