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L’humanité a-t-elle trouvé le sens de la vie ?

dimanche 14 mai 2017 à 13:24

Quel est le sens de la vie ? Pourquoi y’a-t-il des êtres vivants dans l’univers plutôt que de la matière inerte ? Pour ceux d’entre vous qui se sont déjà posé ces questions, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.

La bonne, c’est que la science a peut-être trouvé une réponse.

La mauvaise, c’est que cette réponse ne va pas vous plaire.

Les imperfections du big bang

Si le big bang avait été un événement parfait, l’univers serait aujourd’hui uniforme et lisse. Or, des imperfections se sont créées.

À cause des forces fondamentales, ces imperfections se sont agglomérées jusqu’à former des étoiles et des planètes faites de matière.

Si nous ne sommes pas aujourd’hui une simple soupe d’atomes parfaitement lisse mais bien des êtres solides sur une planète entourée de vide, c’est grâce à ces imperfections !

La loi de l’entropie

Grâce à la thermodynamique, nous avons compris que rien ne se perd et rien ne se crée. L’énergie d’un système est constante. Pour refroidir son intérieur, un frigo devra forcément chauffer à l’extérieur. L’énergie de l’univers est et restera donc constante.

Il n’en va pas de même de l’entropie !

Pour faire simple, l’entropie peut être vue comme une « qualité d’énergie ». Au plus l’entropie est haute, au moins l’énergie est utilisable.

Par exemple, si vous placez une tasse de thé bouillante dans une pièce très froide, l’entropie du système est faible. Au fil du temps, la tasse de thé va se refroidir, la pièce se réchauffer et l’entropie va augmenter pour devenir maximale lorsque la tasse et la pièce seront à même température. Ce phénomène très intuitif serait dû à l’intrication quantique et serait à la base de notre perception de l’écoulement du temps.

Pour un observateur extérieur, la quantité d’énergie dans la pièce n’a pas changé. La température moyenne de l’ensemble est toujours la même. Par contre, il y’a quand même eu une perte : l’énergie n’est plus exploitable.

Il aurait été possible, par exemple, d’utiliser le fait que la tasse dé thé réchauffe l’air ambiant pour actionner une turbine et générer de l’électricité. Ce n’est plus possible une fois que la tasse et la pièce sont à la même température.

Sans apport d’énergie externe, tout système va voir son entropie augmenter. Il en va donc de même pour l’univers : si l’univers ne se contracte pas sous son propre poids, les étoiles vont inéluctablement se refroidir et s’éteindre comme la tasse de thé. L’univers deviendra, inexorablement, un continuum parfait de température constante. En anglais, on parle de “Heat Death”, la mort de la chaleur.

L’apparition de la vie

La vie semble être une exception. Après tout, ne sommes-nous pas des organismes complexes et très ordonnés, ce qui suppose une entropie très faible ? Comment expliquer l’apparition de la vie, et donc d’éléments à entropie plus faible que leur environnement, dans un univers dont l’entropie est croissante ?

Jeremy England, un physicien du MIT, apporte une solution nouvelle et particulièrement originale : la vie serait la manière la plus efficace de dissiper la chaleur et donc d’augmenter l’entropie.

Sur une planète comme la terre, les atomes et les molécules sont bombardés en permanence par une énergie forte et utilisable : le soleil. Ceci engendre une situation d’entropie très faible.

Naturellement, les atomes vont alors s’organiser pour dissiper l’énergie. Physiquement, la manière la plus efficace de dissiper l’énergie reçue est de se reproduire. En se reproduisant, la matière crée de l’entropie.

La première molécule capable d’une telle prouesse, l’ARN, fut la première étape de la vie. Les mécanismes de sélection naturelle favorisant la reproduction ont alors fait le reste.

Selon Jeremy England, la vie serait mécaniquement inéluctable pour peu qu’il y aie suffisamment d’énergie.

L’humanité au service de l’entropie

Si la théorie d’England se confirme, cela serait une très mauvaise nouvelle pour l’humanité.

Car si le but de la vie est de maximiser l’entropie, alors ce que nous faisons avec la terre, la consommation à outrance, les guerres, les bombes nucléaires sont parfaitement logiques. Détruire l’univers le plus vite possible pour en faire une soupe d’atomes est le sens même de la vie !

Le seul dilemme auquel nous pourrions faire face serait alors : devons-nous détruire la terre immédiatement ou arriver à nous développer pour apporter la destruction dans le reste de l’univers ?

Quoi qu’il en soit, l’objectif ultime de la vie serait de rentre l’univers parfait, insipide, uniforme. De se détruire elle-même.

Ce qui est particulièrement angoissant c’est que, vu sous cet angle, l’humanité semble y arriver incroyablement bien ! Beaucoup trop bien

 

Photo par Bardia Photography.

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Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Le bouquet de fleurs

dimanche 30 avril 2017 à 23:36

Parfois, au milieu du mépris de la cohue humaine, il parvenait à croiser un regard fuyant, à attirer une attention concentrée sur un téléphone, à briser pour quelques secondes le dédain empli de stress et d’angoisse des navetteurs préssés. Mais les rares réponses à son geste étaient invariables :
— Non !
— Merci, non. (accompagné d’un pincement des lèvres et d’un hochement de tête)
— Pas le temps !
— Pas de monnaie…

Il ne demandait pourtant pas d’argent ! Il ne demandait rien en échange de ses roses rouges. Sauf peut-être un sourire.

Pris d’une impulsion instinctive, il était descendu ce matin dans le métro, décidé à offrir un peu de gentillesse, un peu de bonheur sous forme d’un bouquet de fleur destiné au premier inconnu qui l’accepterait.

Alors que la nuée humaine peu à peu s’égayait et se dispersait dans les grands immeubles gris du quartier des affaires, il regarda tristement son bouquet.
— J’aurais essayé, murmura-t-il avant de confier les fleurs à la poubelle, cynique vase de métal.

Une larme perla au coin de sa paupière. Il l’effaça du revers de la main avant de s’asseoir à même les marches de béton. Il ferma les yeux, forçant son cœur à s’arrêter.
— Monsieur ! Monsieur !

Une main lui secouait l’épaule. Devant son regard fatigué se tenait un jeune agent de police, l’uniforme rutilant, la coupe de cheveux nette et fringuante.
— Monsieur, je vous ai observé avec votre bouquet de fleur…
— Oui ? fit-il, emplit d’espoir et de reconnaissance.
— Puis-je voir votre permis de colportage dans le métro ? Si vous n’en possédez pas, je serai obligé de vous verbaliser.

Courte histoire inspirée par ce tweet. Photo par Tiberiu Ana.

 

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Mastodon, le premier réseau social véritablement social ?

mercredi 19 avril 2017 à 00:10

Vous avez peut-être entendu parler de Mastodon, ce nouveau réseau social qui fait de la concurrence à Twitter. Ses avantages ? Une limite par post qui passe de 140 à 500 caractères et une approche orientée communauté et respect de l’autre là où Twitter a trop souvent été le terrain de cyber-harcèlements.

Mais une des particularités majeures de Mastodon est la décentralisation : ce n’est pas un seul et unique service appartenant à une entreprise mais bien un réseau, comme le mail.

Si chacun peut en théorie créer son instance Mastodon, la plupart d’entre nous rejoindrons des instances existantes. J’ai personnellement rejoint mamot.fr, l’instance gérée par La Quadrature du Net car j’ai confiance dans la pérennité de l’association, sa compétence technique et, surtout, je suis aligné avec ses valeurs de neutralité et de liberté d’expression. Je recommande également framapiaf.org, qui est administré par Framasoft.

Mais vous trouverez pléthore d’instances : depuis celles des partis pirate français et belge aux instances à thème. Il existe même des instances payantes et, pourquoi pas, il pourrait un jour y avoir des instances avec de la pub.

La beauté de tout ça réside bien entendu dans le choix. Les instances de La Quadrature du Net et de Framasoft sont ouvertes et libres, je conseille donc de faire un petit paiement libre récurrent à l’association de 2€, 5€ ou 10€ par mois, selon vos moyens.

Mastodon est décentralisé ? En fait, il faudrait plutôt parler de “distribué”. Il y’a 5 ans, je dénonçais les problèmes des solutions décentralisées/distribuées. Le principal étant qu’on est soumis au bon vouloir ou aux maladresses de l’administrateur de son instance.

Force est de constater que Mastodon n’a techniquement résolu aucun de ces problèmes. Mais semble créer une belle dynamique communautaire qui fait plaisir à voir. Contrairement à son ancêtre Identi.ca, les instances se sont rapidement multipliées. Les conversations se sont lancées et des usages ont spontanément apparu : accueillir les nouveaux, suivre ceux qui n’ont que peu de followers pour les motiver, discuter de manière transparente des bonnes pratiques à adopter, utilisation d’un CW, Content Warning, masquant les messages potentiellement inappropriés, débats sur les règles de modération.

Toute cette énergie donne l’impression d’un espace à part, d’une liberté de discussion éloignée de l’omniprésente et omnisciente surveillance publicitaire indissociable des outils Facebook, Twitter ou Google.

D’ailleurs, un utilisateur proposait qu’on ne parle pas d’utilisateurs (“users”) pour Mastodon mais bien de personnes (“people”).

Dans un précédent article, je soulignais que les réseaux sociaux sont les prémisses d’une conscience globale de l’humanité. Mais comme le souligne Neil Jomunsi, le media est une part indissociable du message que l’on développe. Veut-on réellement que l’humanité soit représentée par une plateforme publicitaire où l’on cherche à exploiter le temps de cerveau des utilisateurs ?

Mastodon est donc selon moi l’expression d’un réel besoin, d’un manque. Une partie de notre humanité est étouffée par la publicité, la consommation, le conformisme et cherche un espace où s’exprimer.

Mastodon serait-il donc le premier réseau social distribué populaire ? Saura-t-il convaincre les utilisateurs moins techniques et se démarquer pour ne pas être « un énième clone libre » (comme l’est malheureusement Diaspora pour Facebook) ?

Mastodon va-t-il durer ? Tant qu’il y’aura des volontaires pour faire tourner des instances, Mastodon continuera d’exister sans se soucier du cours de la bourse, des gouvernements, des lois d’un pays particuliers ou des desiderata d’investisseurs. On ne peut pas en dire autant de Facebook ou Twitter.

Mais, surtout, il souffle sur Mastodon un vent de fraîche utopie, un air de naïve liberté, un sentiment de collaborative humanité où la qualité des échanges supplante la course à l’audience. C’est bon et ça fait du bien.

N’hésitez pas à nous rejoindre, à lire le mode d’emploi de Funambuline et poster votre premier « toot » présentant vos intérêts. Si vous dîtes que vous venez de ma part ( @ploum@mamot.fr ), je vous « boosterais » (l’équivalent du retweet) et la communauté vous suggérera des personnes à suivre.

Au fond, peu importe que Mastodon soit un succès ou disparaisse dans quelques mois. Nous devons continuons à essayer, à tester, à expérimenter jusqu’à ce que cela fonctionne. Si ce n’est pas Diaspora ou Mastodon, ce sera le prochain. Notre conscience globale, notre expression et nos échanges méritent mieux que d’être de simple encarts entre deux publicités sur une plateforme soumise à des lois sur lesquelles nous n’avons aucune prise.

Mastodon est un réseau social. Twitter et Facebook sont des réseaux publicitaires. Ne nous y trompons plus.

 

Photo par Daniel Mennerich.

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Comment les réseaux sociaux ont transformé des attentats en merveilleux cadeau d’anniversaire

dimanche 26 mars 2017 à 14:12

Certaines histoires commencent mal. Très mal. Mais, petit à petit, la vie se fraie un chemin à travers les pires situations pour s’épanouir en frêles et merveilleux bourgeons.

Cette histoire commence le 7 janvier 2015. Ce jour là, je croise Damien Van Achter, atterré par ce qui se passe à Paris. Il me parle de morts. Je ne comprends pas. J’ouvre alors Twitter et découvre l’ampleur des attentats contre Charlie Hebdo.

Je ne le sais pas encore mais ces attentats vont changer ma vie. En bien. En incroyablement, merveilleusement bien.

Sur le moment, choqué à mon tour, je me fends d’un tweet immédiat, instinctif. Étant moi-même parfois auteur d’humour de mauvais goût, je me sens attaqué dans mes valeurs.

Ce tweet sera retweeté plus de 10.000 fois, publié dans les médias, à la télévision, dans un livre papier et, surtout, sur Facebook où il sera mis en image par Pierre Berget, repartagé et lu par des centaines de milliers de personnes.

Parmi elles, une jeune femme. Intriguée, elle se mettra à lire mon blog et m’enverra un paiement libre. Après m’avoir croisé par hasard à l’inauguration du coworking Rue du Web, elle me contactera sur Facebook pour discuter certaines de nos idées respectives.

Deux ans plus tard, le 9 mars 2017, jour de mon 36ème anniversaire, cette jeune femme dont je suis éperdument amoureux a donné naissance à Miniploum, mon fils. Le plus beau des cadeaux d’anniversaire…

Je souris, je savoure la vie et je suis heureux. Ce bonheur, cet amour que j’ai la chance de vivre, ne le dois-je pas en partie aux réseaux sociaux qui ont transformé un ignoble attentat en une nouvelle vie ?

Rappelons-nous que chaque drame, chaque catastrophe porte en elle les germes de futurs bonheurs. Des bonheurs qui ne font peut-être pas toujours les grands titres de la presse, qui sont moins vendeurs mais qui sont les fondations de chacune de nos vies.

Souvenons-nous également que les outils, quels qu’ils soient, ne deviennent que ce que nous en faisons. Ils ne sont ni bons, ni mauvais. Il est de notre responsabilité d’en faire des sources de bonheur…

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Printeurs 44

mardi 28 février 2017 à 14:47
Ceci est le billet 44 sur 44 dans la série Printeurs

Nellio, Eva, Max et Junior sont dans la zone contrôlée par le conglomérat industriel.

Dans un silence religieux, nous descendons tous les quatre de la voiture. Tout autour de nous, des immeubles s’élancent dans une architecture torturée donnant une impression d’espace et de vide. Pas la moindre fissure, pas la moindre poussière. Même les plantes ornementales semblent se cantonner dans le rôle restreint et artificiel de nature morte. J’ai l’étrange impression d’être dans une simulation, un rendu 3D d’un projet d’architecture comme on en trouve sur les affiches jouxtant des terrains vagues d’où doivent, bientôt, naître de merveilleux projets immobiliers aux noms évocateurs.

Il me faut un certain temps avant de réaliser qu’aucune publicité n’est visible. Pourtant, les formes des bâtiments s’éloignent avec une certaine élégance d’un fonctionnalisme trop strict. Les murs s’élancent avec une certaine recherche esthétique où les motifs en fractale semblent occuper une place prépondérante.

Une brise un peu brusque dépose soudainement une fine feuille de plastique sur laquelle se distingue difficilement le logo d’une marque de chocolat.

La feuille se pose sur le trottoir et semble s’y enfoncer doucement, comme un fin navire de papier sombrant dans une écume solide.

Je pousse une exclamation de surprise. Junior s’accroupit.

— Du smart sand ! Tout le complexe est en smart sand !

D’un geste de la main, il donne quelques instructions à Max. Obtempérant, celui-ci donne un violent coup dans le mur de béton en utilisant une partie métallique de son corps. Le mur semble s’effriter légèrement. Un trou bien visible se dessine et le sable se met à couler avant de s’arrêter et, sous mes yeux ébahis, de se mettre à escalader le mur pour reboucher le trou. Quelques secondes s’écoulent et le mur semble comme neuf !

Je me tourne vers mes compagnons :

– Je croyais que ce smartsand n’était encore qu’à l’état de prototype. Mais si tout le complexe en est construit, cela a des implications profondes.

Junior me lance un regard étonné.

— C’est impressionnant mais je ne vois pas trop…
— Cela signifie que le bâtiment s’est imprimé tout seul. Un architecte a dessiné les plans et le bâtiment est sorti de terre sans aucune assistance humaine.
— Oui mais où est le problème ?
— Que tout ce complexe peut avoir existé depuis des années ou n’être qu’un leurre, créé de toutes pièces dans les dernières vingt-quatre heures.
— Quel genre de piège ? interroge Max.
— Le bâtiment peut se modifier en fonction de certains stimuli pré-programmés. Nous pouvons très bien nous retrouver enfermés.
— Nous le serions déjà, murmure Eva. Toute la route est dans la même matière et aurait pu nous engloutir.

Je me tourne vers elle.

— Eva, tu m’as dit que tu connaissais FatNerdz. C’est lui qui nous a emmené ici. Peut-on lui faire confiance ?

— Confiance ?

Elle bégaie légèrement, sa lèvre inférieure tremble.

— Il ne s’agit pas de confiance mais uniquement de logique. Tu n’es pas mort, Nellio. Cette seule information devrait te suffire.

Bravement, elle s’avance vers une porte vitrée et, sous mes yeux ahuris, passe simplement à travers comme s’il s’agissait d’un hologramme. Junior exulte !

– Wow ! Du smart glass ! Génial ! Il fond instantanément et se reforme. C’est impressionnant.

Sans hésiter, nous emboitons le pas à Eva. Après tout, nous sommes désormais sous le contrôle total du bâtiment. S’il doit nous arriver quelque chose, il est déjà trop tard.

En franchissant la porte, j’ai l’impression de passer sous une fine chute d’eau. Un léger contact qui s’estompe immédiatement.

Je rejoins Eva, talonné par Max et Junior. Je sens comme une légère vibration et un pincement au creux de l’estomac.

— Nous montons ! Le bâtiment nous pousse vers le haut sans avoir besoin d’un ascenseur. C’est aaaaaah…

Sans prendre la peine de finir sa phrase, Junior se met à hurler. Paniqué, il nous désigne à grand renfort de geste ses pieds. Où plutôt l’endroit où aurait du se trouver ses pieds. À lieu et place de ses chaussures, je vois deux tibias s’enfoncer parfaitement dans le sol.

— Tu t’enfonces ! crie Eva.
— Non, le sol monte mais sans lui, corrige Max de sa voix artificiellement calme et posée.
— Ce n’est vraiment pas le moment d’argumenter à ce sujet, fais-je en me ruant sur Junior.
— Merde ! Merde ! crie ce dernier. Je sens que ça monte.

En effet, le sol est désormais dans la partie supérieure de ses mollets.

— Mais c’est quoi ? Une sorte de sable mouvant ?
— Non, répond Eva. Le bâtiment sais exactement ce qu’il fait.

Comme en écho, une image se forme sur un mur. Une fiche d’identité apparaît avec une photo de Junior, en uniforme, un numéro de matricule et un ensemble de méta-données sur sa vie et sa carrière. En rouge clignote une ligne « Policier déserteur. Dangereux. Protection totale requise. »

Je sens la panique me gagner. Machinalement, je m’approche de Junior pour tenter de le tirer vers le haut. Il hurle de douleur. Sans dire un mot, nous nous affairons tous les trois mais sans succès. Le sol arrive désormais presqu’à la taille de Junior qui se calme subitement.

— Cela devait finir comme cela. Protection totale. Je suis donc à ce point dangereux que toute action est justifiée pour me mettre hors d’état de nuire.
— Il faut faire quelque chose, dis-je. Max, ne peux-tu pas tenter de creuser le béton et que nous le portons au-dessus de nous ?

Eva, qui s’est reculée, me regarde froidement.
— C’est inutile, Nellio. Nous sommes complètement sous l’emprise du bâtiment. Il n’y a rien à faire.
— Mais…

Je tourne la tête vers Junior. Celui-ci tente de me rendre un regard brave. Le sol a désormais dépassé son nombril. Sa respiration se fait plus difficile.

— Je le savais, murmure-t-il. J’étais en sursis. Je suis néanmoins fier. Mais il y’a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi suis-je le seul ? Qu’avez-vous de différent ?

Eva s’accroupit pour se mettre à son niveau.
— Cet immeuble est confiant et n’utilise qu’une protection positive : seuls les cas confirmés sont éliminés. Les autres peuvent circuler sans autorisation particulière.
— Ça ne tient pas debout ! Pourquoi serais-je le seul listé ?

Eva réfléchit un instant avant de répondre.

— Parce que tu es un policier déserteur, tu as été repéré. Mais pour les bases de données civiles, Max et Nellio sont morts. Moi, je n’existe tout simplement pas. Ces deux cas ne rentrent probablement dans aucune des conditions du programme de l’immeuble et, par défaut, il prend le programme automatique du personnel autorisé. C’est une énorme faille de sécurité, le programmeur a du pondre ça avec les pieds mais son bug serait passé inaperçu si deux morts et un non-être ne s’étaient pas pointés.

Je pousse une exclamation de surprise mais je n’ai pas le temps d’aller plus loin que Junior pousse un cri. Il vient de constate que sa main droite, qu’il a bougé en parlant, a également commencé à s’enfoncer. Les doigts sont désormais pris dans le sol. Désespérément il tente de lever le bras gauche et de faire des mouvements pour se dégager. Son corps est désormais enfoncé au delà du plexus solaire. Il se débat laborieusement en poussant des petits cris.

— On ne peut pas rester là sans rien faire à le regarder crever d’une mort horrible ? fais-je en tentant de secouer les bras de Max et Eva.
— Visiblement si, répond laconiquement Max.
— Mais…

Paralysé par l’angoisse, j’observe le niveau du sol engloutir les épaules de mon ami, commencer à monter au niveau du cou. Il penche la tête en arrière dans un ultime espoir de gagner du temps. La pression sur ses poumons doit être énorme, il halète en poussant de petits cris aigus.

— Junior, fais-je. Je… Je… Tu es mon ami !

Le visage est désormais au niveau même du sol, comme un hideux bas-relief. Le smart sand commence à emplir la bouche de Junior dont les yeux reflètent une terreur pure, brute. Une terreur abjectes qui me figent et arrêtent les battements de mon cœur.

Le souffle coupé, je reste immobile, paralysé, les yeux rivés sur un sol propre et lisse.

 

Photo par Frans de Wit.

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