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Le paradoxe de la corrida

mardi 4 août 2015 à 10:13
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Un homme est devenu, en quelques heures, l’être le plus détesté des réseaux sociaux car il a tué un lion pour son propre plaisir. En même temps, l’Europe s’émouvait du massacre « traditionnel » de dauphins aux îles Féroé.

De la conscience émotionnelle collective semble émerger un consensus sur le fait qu’il soit indigne pour un être humain de massacrer des animaux conscients pour son seul plaisir. Parfois, tuer n’est pas nécessaire : faire souffrir l’animal est amplement suffisant pour s’attirer les foudres du monde entier. Vu notre réaction collective, cela semble même plus grave que la mort d’êtres humains.

C’est ce que j’appelle « le paradoxe de la corrida ». Parce que il semble de plus en plus difficile de trouver des justifications à la corrida dont le seul et unique objectif est de divertir en faisant souffrir et en tuant des animaux.

Mais pourquoi est-ce paradoxal ?

Tout simplement car nous cautionnons par notre alimentation des systèmes de souffrance et de mort sans aucune mesure avec une partie de chasse ou le fait de planter des banderilles dans un taureau. L’industrie de la viande est devenue l’industrialisation de la souffrance d’animaux comme la vache, de la même espèce que le taureau que nous défendons tant en luttant contre la corrida !

Pourtant, il est aujourd’hui tout à fait possible de se nourrir de manière entièrement végétarienne. L’alimentation végétarienne est non seulement moins génératrice de souffrance, elle est également bien plus écologique et, en règle générale, plus équilibrée et garante d’une meilleure santé. Tuer des animaux n’est plus nécessaire à notre survie.

Mais alors que nous sommes prompts à nous indigner pour un lion, un dauphin ou un taureau, nous ne pouvons renoncer à massacrer industriellement, dans des souffrances atroces, des animaux extrêmement intelligents et sympathiques comme la vache, le cochon ou le poulet.

La raison ?

Car c’est trop bon ! Car je ne pourrais pas me passer de viande. Car je suis carnivore, c’est une tradition. Car je suis passionné de gastronomie typique.

Les seuls arguments pour justifier la souffrance et le massacre sont donc le pur plaisir personnel égoïste et la tradition. Y’a-t-il une différence avec la chasse, le massacre de dauphins ou la corrida ?

Non mais tu ne comprends pas. Je ne peux pas vivre sans un délicieux hamburger.

Et Walter Palmer ne peut pas vivre sans ce frisson d’adrénaline que lui procure le fait de pourchasser un animal. Où est la différence morale ? En plus, toi tu peux trouver des alternatives à ton plaisir que lui n’a pas, alternatives qui seront bientôt parfaites.

Cette hypocrisie est tellement ancrée qu’elle touche même les personnes les mieux informées. Ainsi, les apnéistes sont traditionnellement de grands défenseurs du milieu marin, sauveurs des requins et autres espèces menacées. Les mêmes, pourtant, adorent la pêche sous-marine au harpon. Pour le sport. Et avec pour maigre justification morale :

Oui mais je mange tout ce que je pêche !

En période de famine et de déficit calorique, cet argument serait tout à fait recevable. Mais dans une société où l’on mange trop, où l’alimentation végétarienne est disponible dans tous les supermarchés, le fait de volontairement tuer et de potentiellement déséquilibrer un éco-système extrêmement fragile n’est moralement pas cohérent pour qui se targue de défendre l’écologie et la vie animale.

Car, au fond, il ne s’agit « que » de poissons. Pour une raison obscure, le fait que ces animaux nagent fait des poissons une espèce sous-animale qu’on peut torturer et exploiter à volonté, les restaurants n’hésitant pas à proposer du poisson ou des fruits de mer dans les plats végétariens, nonobstant le fait que la pêche, sous quelque forme, est un désastre écologique, que la plupart des espèces en voie de disparition le sont dans nos océans à cause de la pêche.

Avant d’attaquer le dentiste Walter Palmer et les toreadors, nous devrions plutôt scruter nos propres comportements et regarder dans notre propre assiette.

En fait, nous sommes même pires qu’un Walter Palmer ! À cause du gaspillage et de la surconsommation, nous abattons industriellement des animaux afin de pouvoir simplement jeter leur viande à la poubelle sans même procurer le moindre plaisir !

Il est bien entendu possible d’adopter une morale dite « spéciste » : les animaux sont inférieurs aux humains et l’humain n’a aucun compte à leur rendre, il peut les traiter comme il veut. Tout comme le racisme il y a quelques décennies, le spécisme est moralement rationnel et peut former un système arbitrairement cohérent pour peu qu’on en accepte les conséquences : un animal est un animal, on ne va pas s’émouvoir pour un animal, poisson, vache, chat ou lion.

Mais si les images d’animaux ensanglantés servant de trophées et de divertissement ne vous laissent pas indifférents, si vous pensez que l’acte de Walter Palmer relève de la barbarie, si les photos d’une mer rougie par le sang des dauphins vous prend à la gorge, peut-être n’êtes vous pas un véritable spéciste. Mais comment agir de manière concrète pour changer le monde ? C’est simple : arrêtez de tuer des animaux pour votre plaisir, même si vous les mangez, et réduisez, même symboliquement, votre consommation de viande et de poisson.

Un geste simple et progressif qui, même s’il ne s’agit que d’un seul repas par semaine, fera beaucoup plus pour la planète et les animaux que toutes les pétitions et likes sur Facebook du monde.

 

Photo par Chema Concellón.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Printeurs 35

lundi 3 août 2015 à 16:24
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Ceci est le billet 35 sur 37 dans la série Printeurs

Nellio, Junior et Eva se sont engouffrés dans des capsules intertube les conduisant aux mystérieuses coordonnées communiquées par Max.

 

Les méandres de l’esprit humain sont impénétrables. Alors que mon corps est inconfortablement compressé dans un espace exigu contenant à peine de quoi respirer, je ne peux m’empêcher de philosopher.

Comment expliquer que cette partie de l’intertube soit déjà fonctionnelle alors que la définition d’un projet gouvernemental implique généralement un retard conséquent ?

La réponse demande un certain cheminement mental. En dehors de se faire élire, le rôle des politiciens qui composent le gouvernement est de faire en sorte que l’argent public s’évapore le plus vite possible.

Il n’est bien sûr plus question, de nos jours, de détournements directs. Le risque serait bien trop grand de se faire prendre et condamner. Un minimum de subtilité est devenu nécessaire.

Dès qu’un peu d’argent public est disponible, le politicien le dépensera de manière à optimiser sa visibilité sur les réseaux. Inaugurer la toute première liaison d’intertube semble, sur ce point, une excellente idée. Mais le plus important est assurément d’obtenir, légalement, un pourcentage sur ces dépenses. Et quoi de plus facile que de financer des grands travaux, une liaison intertube par exemple, en utilisant comme prestataire surpayé une société dont on est actionnaire ? Ou qui nous engagera comme consultant après notre retraite politique bien méritée ?

Le fait que je sois bringuebalé dans cet intertube signifie donc qu’il y a dans les parages un politicien en fin de parcours qui vide les caisses. En annonçant une station d’intertube, il laissera l’image d’un gestionnaire visionnaire et entreprenant. Son successeur, par contre, héritera de l’impopularité due à une situation budgétaire catastrophique.

Alors que je suis emporté à des centaines de kilomètres/heure dans le noir absolu, je ne peux m’empêcher de m’indigner. Comment se fait-il que notre système de gouvernement soit à ce point corrompu ?

Mais au fond, cela a-t-il encore la moindre importance ? Les élections sont vécues comme un divertissement, à mi-chemin entre les compétitions sportives et les séries si chères aux télé-pass. Les commissariats privés imposent leurs propres règles et plus personne ne fait vraiment attention aux lois que débattent les politiciens, lois qui réglementent de toutes façons des domaines dans lesquels ils sont complètement incompétents. Nous nous contentons de leur verser un impôt avec le seul espoir qu’ils nous foutent la paix. Ces impôts servent à financer une administration qui tourne désormais en vase clos : les différents ministères travaillent les uns pour les autres en déconnexion totale du reste du monde.

Dans l’étanche obscurité de mon cercueil projectile, l’absurdité de notre société me frappe soudainement comme un éclair. J’ai l’impression de découvrir le monde, d’être un nouveau-né, un extra-terrestre.

Dans un monde automatisé, le travail n’apporte plus de valeur mais, au contraire, de l’inefficacité. De qualité il devient une tare. Sans changement de paradigme économique, la valeur ne se crée plus, elle se dissipe. Le seul moyen de s’enrichir est donc de devenir soi-même un point d’évaporation. Soit en récoltant la valeur et en prétendant la redistribuer au nom du bien public, ce que fait la politique, soit en convaincant le public de nous acheter un bien ou un service quelconque, quelle que soit son inutilité.

Il ne s’agit donc plus d’être utile mais de convaincre le monde qu’on l’est. L’apparence a pris le pas sur l’essence, donnant naissance à la publicité ! La publicité ! Le maillon central ! C’est la raison pour laquelle je n’avais jamais pris le recul nécessaire. La publicité nous formate, nous empêche de nous concentrer. Son omniprésence transforme le cerveau en simple récepteur. Il m’a fallu cette cure sans lentille de contact et cet isolement sensoriel pour que, enfin, mes neurones se remettent à fonctionner.

Face à ce modèle de société, le printeur représente la menace ultime. En mettant à nu l’inutilité de la plupart des emplois actuels, le printeur poussera les travailleurs à remettre en question l’utilité de tous, y compris de leurs dirigeants. La rigidité morale qui fait des télé-pass des parias, des sous-hommes, des fainéants, n’est possible que s’ils sont en minorité et si on continue à leur fournir un espoir, celui de devenir un jour utiles. Si cet espoir disparaît, si la compétition entre eux n’a plus lieu d’être, si la majorité de la population devient télé-pass…

Je frissonne. Jamais encore je ne n’avais envisagé les conséquences sociétales du printeur. Les motivations de Georges Farreck me semblent désormais moins obscures : après tout, malgré sa richesse et sa notoriété, il n’a jamais été qu’un pion, un outil publicitaire, un homme sandwich de luxe. Les printeurs auraient inéluctablement été inventés et finiront, quoi qu’il puisse arriver, par chambouler l’ordre social. Autant être du bon côté…

Je…

Un choc ! Je m’assomme à moitié sur la paroi de mon récipient avant de constater que toute vibration, tout changement de direction a cessé. Je suis certainement arrivé à destination.

Poussant la trappe, je m’extirpe et pose le pied dans un court couloir bien éclairé. Pas la moindre trace d’Eva, qui devrait pourtant m’avoir précédé. Elle n’a pu que sortir pas cette porte rouge, brillante. Tout est incroyablement propre. Il flotte dans l’air cette odeur caractéristique des nouveaux bâtiments.

Un bruit. Junior vient d’arriver. J’ouvre la trappe de sa capsule et je suis immédiatement accueilli par un hurlement. Il est couvert de sang et se tient la main droite en gémissant.
– Mes doigts ! Mes doigts !
Tout en le hissant sur le sol du couloir, j’examine sa blessure. Les doigts de sa main droite ont tous été coupés nets à hauteur des métacarpes. Je frémis d’horreur. Il a fait tout ce trajet dans le noir en hurlant et en se couvrant de son propre sang !
— Que s’est-il passé ?
— Le départ était trop rapide, j’ai pas eu le temps de retirer ma main.
Arrachant un morceau de mon t-shirt, je lui fais un bandage de fortune.
— Saloperie de corps biologique de merde ! Rien ne serait arrivé avec un avatar. Et je ne pourrai même plus taper au clavier !
— T’as pas une pilule sur toi qui pourrait faire office d’anti-douleur ?
— Dans ma poche droite… Du tiroflan… Argh, ça fait mal !
Lui fouillant le pantalon, je prends aussitôt deux gélules oranges que je lui fais gober.

Sa respiration se fait moins rapide, plus espacée.
– Viens ! Il faut qu’on trouve un moyen pour soigner cela un peu mieux.

L’attrapant par la taille, je l’aide à marcher et nous nous dirigeons vers la porte rouge. À notre approche, celle-ci s’ouvre automatiquement, sans le moindre bruit.

La pièce dans laquelle nous nous trouvons est emplie d’appareils électroniques de mesure et d’écrans d’ordinateurs. Je sursaute et manque de pousser un cri d’effroi. Sur une table, Eva est étendue, complètement nue, les yeux grands ouverts, le regard vide. Elle ne fait pas le moindre mouvement.

Debout entre ses jambes, un homme en combinaison blanche, le pantalon sur les chevilles, est en train de la violer consciencieusement.

 

Photo par Glen Scott.

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Printeurs 34

mardi 21 juillet 2015 à 23:14
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Ceci est le billet 34 sur 37 dans la série Printeurs

Junior, Eva et Nellio se sont échappés de l’appartement de Junior et sont désormais en fuite, à la recherche d’une station intertube, un système de livraison qui n’est pas encore officiellement en service.

 

— Nel… Nel…lio !
— Junior, arrête toi une seconde !

Je prends Eva dans mes bras et l’assieds doucement sur un parpaing éventré. Autour de nous, la rue est déserte. Les herbes folles s’ébattent avec allégresse entre les lézardes du béton, dessinant une silencieuse sarabande organique. Inconsciemment, je remarque les pissenlits entourant une florissante achilée ainsi que la bourrache et la camomille s’épanouissant entre les plaques de digitaire. Nous avons beau lutter de toutes nos forces, polluer, désherber, asperger, construire, recouvrir, nous ne sommes pas les maîtres de cette planète. Si nous devions disparaître demain, il ne faudrait qu’une poignée d’années avant que la nature ne reprenne complètement ses droits et nous relègue dans les ruines de l’oubli.

Je ne suis pas le seul à contempler les plantes car Eva enroule avec attention ses doigts dans un myosotis dont l’éclat électrique se détache sur la noirceur du bitume.

— Eva ? Comment te sens-tu ?

Elle prend une profonde inspiration.

— Encore… difficile… parler. Mais je… m’habitue.
— Tu t’habitues ? Mais à quoi ?
— Je… Nellio… Je dois te dire…

Avec toute la douceur dont je me sens capable, je lui touche la main. Elle sursaute à mon contact et arrache involontairement la petite fleur bleue.

— Aïe !

Interdite, Eva reste un long moment à regarder les racines diaphanes qui saupoudrent son poignet d’un peu de terre noire et sablonneuse. Une larme perle au coin de sa paupière, glisse sur sa pommette et tombe sur la minuscule fleur. Je l’entends murmurer, comme dans un souffle :
— Pardon…
— Bon les amoureux, on peut y aller ? Je n’ai pas envie de traîner et on y est presque !

Je sursaute et me tourne vers Junior dont le visage écarlate ruissèle de sueur.

— Pourtant tu as l’air de vouloir faire une pause toi aussi. Ton corps n’a pas l’habitude de l’effort physique.
— Je ferai une pause dans un endroit avec l’air conditionné. Sinon, ce n’est pas une pause, c’est de la torture. Comment peut-on encore se déplacer à pieds et dehors ? Cela me dépasse ! On n’est plus au moyen-âge, non ?
— Sais-tu où tu nous emmène au moins ?
— Oui, je te dis qu’un des premiers terminaux citadins de l’intertube est dans un immeuble officiel désaffecté à deux blocs d’ici. Allez, en route !

Je tends la main à Eva mais celle-ci la refuse et se relève en m’adressant un regard dur. Elle semble reprendre peu à peu ses moyens et est désormais capable de marcher seule.

Qu’elle soit hors de danger est à la fois un soulagement et le déclencheur d’une avalanche de questions dans mon esprit torturé. Eva dont j’étais artificiellement amoureux, Eva que je croyais morte, Eva pour qui je ne sais plus quoi ressentir. Est-ce que j’éprouve de l’amour, de l’amitié ? Suis-je désormais libéré de toute influence artificielle ? Mon attirance sexuelle pour elle n’est-elle pas un simple réflexe, une habitude acquise ? D’ailleurs, ai-je vraiment envie de coucher avec une femme ? Je me rends compte que cela fait des mois que je n’ai plus couché ni avec un homme ni avec une femme et que mon jugement doit en être affecté.

— Merde, s’exclame Junior. Ils ont réaffecté le bâtiment. Je pensais qu’il était désert. Qu’est-ce qu’on fait ?
— On tente le coup, fais-je en haussant les épaules.

Sans prendre le temps de réfléchir, nous poussons tous les trois la porte d’entrée et pénétrons dans une pièce visiblement aménagée en salle d’attente. Quelques personnages hétéroclites semblent tuer le temps. Personne ne lève les yeux à notre approche.

— Le terminal doit être à la cave, me chuchote Junior en pointant la cage d’escalier.

Alors que nous tentons de nous faufiler discrètement, une main se pose sur mon épaule.
— Et vous là ! Cet escalier, l’est réservé aux startupeurs !

Je me retourne brusquement, les poings serrés. Un cri de surprise s’étrangle dans ma gorge. Ces boucles rousses, ces joues bouffies…
— Isa !
— Nellio ! Et l’autre là, c’est l’flic ! Putain de merde !

Dans la salle d’attente, des regards amorphes commencent à s’éveiller et à se tourner vers nous. Je tente de garder l’initiative.
— Que fais-tu donc ici Isa ?
— Et ben, j’suis devenue conseillère. C’moi qui contrôle les télé-pass. Ma spécialité, c’est les startups ! Comme ça, les télé-pass, ils doivent pas trouver du travail, ils ont qu’à en créer un.

Je reste un instant étonné.

— Tu t’y connais en startups ?
— J’m’y connais super bien en recherche de travail, ça c’est sûr. Et puis, j’suis super bonne pour les tests. En tout cas, là, vous pouvez pas descendre, sauf si vous voulez créer une startup.
— Et bien justement, intervient Junior, on est là pour ça. On a besoin de conseils.
— Ah c’est marrant ça ! Alors venez avec moi.

Un protestation s’élève dans la salle d’attente. Une jeune fille fluette aux cheveux turquoises et au nez transpercé de clous métalliques s’insurge.
— Moi aussi je suis là pour créer ma startup et devenir millionnaire et j’attends depuis plus longtemps, c’est dégueulasse, pourquoi il peuvent passer avant ?

Isa la toise d’un air important.
— C’qui votre conseiller ?
— Madame Dubrun-Macoy.
— J’peux pas prendre les télé-pass qui ont déjà un conseiller attitré.
— Mais elle a pris sa retraite !
— Et alors ?
— Elle n’est plus là, je n’ai plus de conseiller.

Elle agite une liasse de papiers. Isa s’en saisit.
— C’est marqué Dubrun-Macoy sur votre dossier, j’peux pas vous prendre.
— Mais comment je peux faire alors ?
— Faut vous désinscrire et vous réinscrire pour avoir un nouveau conseiller.
— Mais…
— Et ça, c’est pas ici ! Faut voir avec la centrale.
— Mais je veux créer une startup moi !
— Si vous n’avez pas de conseiller, vous n’en avez pas le droit. C’est pourtant simple, non ?

La jeune femme se met soudainement à pleurer.
— Mais… mais vous ne savez pas ce que j’endure. Depuis des semaines, on m’envoie de bureaux en bureaux. Je veux travailler, je veux créer !
— J’sais très bien. Moi aussi j’étais comme vous. Et je me suis bougé, j’ai réussi à être à ce poste à force de volonté, pas en pleurnichant.

Lui tournant le dos, Isa nous entraîne à sa suite dans la cage d’escalier. J’ai à peine le temps de percevoir la voix d’un des hommes de la salle d’attente s’adressant à la jeune femme.

— Dîtes, c’est quoi la technique pour devenir millionnaire ? Parce que ça me plairait bien moi…

Le reste est étouffé par le bruit de nos pas sur les marches. Des néons éclairent une pièce blafarde hâtivement aménagée en bureau.

— Alors comme ça, vous voulez créer une startup ? C’est pas une combine foireuse comme l’aut’fois ?

Elle glousse.

— Note que j’ai vu Georges Farreck. Et ça, je te le dois Nellio. J’suis assez fière. Mais il est moins bien en vrai. J’ai même pas mouillé !
— Écoute Isa, il faut que tu nous aides, nous…
— Ah non ! C’est fini ça ! Terminé Isa la bonne poire ! J’ai une situation et je tiens à la garder. Soit vous passez les tests avec moi pour créer une startup, soit vous partez. Mais pas de magouilles ! J’suis honnête moi !
— Mais…
— Vous voulez créer une startup ou pas ?
— Oui, oui, on veut créer une startup, intervient Junior en me poussant du coude. Il enchaîne :
— Nous sommes tous les 3 programmeurs et nous voulons créer une app de rencontre pour relations sexuelles d’un soir.

L’œil d’Isa se met soudain à pétiller.
— Ah ! C’est pas mal comme idée ça. Original. Et z’avez déjà une idée avant de commencer le test. C’est bien.
— Tiens, demandé-je d’un air innocent. Ça fait longtemps que t’es dans ce sous-sol ? Toutes les pièces sont transformées en bureau ?

Elle me regarde d’un air étonné.

— Y’a juste mon bureau parce qu’il y’avait plus de place au dessus. Pour le reste, j’sais pas trop. Bon, je vais aller chercher les billes pour le test. Préparez-vous !
— Se préparer ?
— Ben oui, les startups c’est cool, c’est fun, c’est une équipe. Faut pas juste trier les boules blanches et noires. Faut aussi montrer de l’enthousiasme.

Junior me regarde en fronçant les sourcils. Je ne suis moi-même pas sûr de bien comprendre.
— Et les autres, ils font quoi d’habitude ?
— Ils chantent. Ou ils dansent. Ou ils font un truc un peu fun.
— Et ça les aide pour créer une startup ?
— Ben oui, c’est moi qui leur fait signer le papier de création à la fin du test.
— Je veux dire : ils créent des business rentables ?

C’est au tour d’Isa de me lancer un regard étonné. J’insiste :
— Est-ce qu’ils gagnent de l’argent par après ?
— Que veux-tu que j’en sache ? Je leur fais passer le test, je signe le papier et, parfois, je les revois quelques mois après pour une nouvelle startup. Des sérial-entrepreneurs qu’ils s’appellent ceux-là. Bon, je vais chercher les billes. Restez bien là !

Au moment de sortir, Isa me fait un imperceptible clin d’œil et m’indique d’un petit mouvement de tête une porte au fond de la pièce. J’attends une seconde avant de bondir :
— Vite !

Junior m’emboîte le pas. Nous découvrons un couloir qui va en s’évasant. En son centre se trouve un espace dégagé où s’amoncèlent des containers ovoïdes de différentes tailles.
— Le terminal, souffle Junior. Logique, il est en plein milieu du bâtiment.
— Je ne vois rien que des boîtes. Où est ce fameux intertube ?
— Sous tes pieds !

Se penchant, Junior révèle une large trappe à même le sol.
— C’est le moment de vérité. Prends la plus grande boîte que tu puisses trouver !

J’en saisis une au hasard. Junior la glisse dans la trappe. Les deux ouvertures coincident parfaitement.
— Bon, et bien, au premier d’entre nous.
— Moi, répond aussitôt Eva, sans hésiter.

Avant que j’aie le temps de réagir, elle se glisse dans l’espèce d’œuf en plastique et s’y recroqueville. Je réalise alors que chaque boîte possède un minuscule écran sur sa facade. Junior y tapote les coordonnées « A12-ZZ74 ».

— Eva, je ne mets pas le verrou de sécurité. N’essaie donc pas d’ouvrir la boîte tant que tu ne seras pas complètement immobilisée.

Sans lui laisser le temps d’acquiescer, il referme la trappe et appuie une dernière fois sur l’écran. Un bruit de courant d’air se fait entendre. Junior réouvre la trappe. L’espace est désormais vide, Eva a disparu.

— Au suivant ! annonce-t-il avec un sourire en jetant une seconde boîte dans l’ouverture.
— Mais il y a un problème ! Comment vas-tu entrer les coordonnées pour ta propre boîte ? fais-je en m’introduisant dans l’exigu réceptacle.
— Va falloir que j’aille très vite.

À peine ai-je réussi à entrer tous mes membres dans une inconfortable position fœtale que la trappe claque au-dessus de ma tête. Mes poumons sont soudainement comprimés et, pendant une seconde, j’ai l’impression que mes yeux tentent de sortir de leur orbite.

 

Photo par It is Elisa.

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Pour un dopage éthique et propre

dimanche 19 juillet 2015 à 11:44
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Comme chaque année, le mois de juillet nous apporte le traditionnel tour de France et son inséparable débat sur le dopage, débat qui permet de doper, c’est le cas de le dire, l’audience des médias traditionnels en ces périodes creuses.

Le fond est toujours le même : les performances de certains cyclistes sont trop incroyables pour être naturelles.

L’argument, qui démontre soit une hypocrisie totale soit une incompréhension profonde, a désormais pris une nouvelle dimension depuis que le vocabulaire s’est mué en « tricherie » et les victoires mises en doute comme étant « volées ». Désormais ils y a les « bons » et les « tricheurs-voleurs »

 

Qu’est-ce que le dopage ?

Car, au fond, avant tout débat, la question est primordiale. Je vous laisse donc réfléchir un instant.

En fait, il n’y a pas de définition claire ou unanimement acceptée de dopage. Il s’agit ni plus ni moins d’une liste parfaitement arbitraire de comportements et de produits qui sont bannis car considérés comme du dopage.

Historiquement, le fait même de s’entraîner était considéré comme « indigne d’un gentleman » car cela donnait un avantage non-négligeable sur les adversaires.

Avec les progrès de l’entrainement scientifiquement calibré et de l’alimentation, les limites entre le dopage et le simple fait de se nourrir/soigner/s’entraîner deviennent de plus en plus floues !

Le nageur Michael Phelps avait même été accusé de dopage pour avoir… écouté de la musique favorisant la concentration avant des compétitions !

 

Oui mais il y a bien une liste de produits interdits !

En effet. Mais cette liste est variable d’années en années et peut être différente en fonction du pays ou du sport pratiqué (même si un travail d’harmonisation a été fait) !

Pour ajouter à l’arbitraire, certains produits sont considérés comme du dopage sauf en cas de prescription médicale. Ce qui fait que la plupart des sportifs d’endurance ont désormais un mot du médecin attestant qu’ils sont asthmatiques.

D’autre part, certains produits nous parviennent à travers l’alimentation. C’est d’ailleurs l’un des arguments en faveur des produits bios : nous sommes bourrés de tous les antibiotiques/hormones qui servent à… doper les animaux dont nous nous nourrissons.

Enfin, la plupart des produits dopants ne font qu’augmenter la quantité de certaines substances déjà présentes à l’état naturel dans notre corps.

À cela, il faut rajouter des produits qui, bien que dopants, sont parfaitement autorisés pour des raisons culturelles. La caféine, par exemple, qui est un excitant notable. Après tout, on ne va pas interdire une tasse de café, non ? Du coup, les cyclistes ont tout à fait le droit de prendre des gélules de caféine concentrée à quelques kilomètres de l’arrivée, histoire de se booster pour le sprint final. Ce n’est pas du dopage !

 

Il n’y a qu’à fixer une limite pour chaque produit, comme l’alcoolémie au volant !

C’est exactement ce qui est fait actuellement mais c’est, encore une fois, complètement arbitraire.

Certains sportifs, que ce soit génétique ou à cause de leur entrainement, ont des valeurs très élevées pour certains indicateurs. Doivent-ils être pénalisés ? D’autres, au contraire, prennent ces indicateurs comme la limite de dopage tolérée. Est-ce acceptable ?

Ce qui est encore plus rigolo c’est que certains comportements sont parfaitement autorisés (comme s’entraîner en altitude) mais d’autres, qui ont exactement le même effet, sont bannis (l’auto-transfusion ou les « tentes d’altitude », qui permettent de simuler l’altitude en créant un espace de faible pression).

 

Oui mais les performances sont quand même surnaturelles !

Une fois encore, c’est mal comprendre le dopage. Le dopage augmente très peu la performance brute : ce n’est pas en s’injectant un produit qu’on devient un champion.

Admettons que le dopage augmente même de 10% les performances brutes (et ce serait vraiment incroyable), il s’ensuivrait qu’un cycliste escaladerait un col à 19km/h au lieu de 21km/h. Une différence qui est absolument imperceptible pour le spectateur qui est devant sa télévision : les deux performances sont surhumaines !

À côté de ça, d’autres facteurs ont des influences énormes. Prenons un exemple au hasard : un coureur cycliste bien abrité du vent par ses équipiers pendant la durée d’une étape diminue son effort de près de 50%. Si son matériel est très aérodynamique, il gagne encore 3 ou 4%. Cela lui donne un avantage considérable au pied du col ! S’il a mieux dormi, si sa digestion est un poil meilleure, si son pic de forme a été calibré pour ce jour particulier, il va donc écraser la concurrence. Il est donc complètement irrationnel d’accuser un coureur de dopage juste parce qu’il prend l’ascendant sur ses adversaires au cours d’une montée !

Rajoutons que, généralement, on parle de performance surhumaine pour un cycliste qui est arrivé avec… une ou deux minutes d’avance sur son concurrent après près de 200km ! Comme si cette minute établissait la limite entre le naturel et le surnaturel.

À titre de comparaison, lorsque je suis très en forme, je peux gagner une minute sur un parcours… de moins d’un kilomètre ! Les cyclistes sont donc tous d’un niveau incroyablement proches. Un journaliste avec un peu de recul et d’intelligence devrait, au contraire, s’interroger sur le fait que les performances soient à ce point similaires.

Statistiquement, le problème n’est donc pas que le gagnant aie une minute d’avance. C’est que le second n’aie qu’une minute de retard !

 

On fait pas 200km par jour sans être dopé ! Ce n’est pas humain !

À peu près tous les sports produisent des records inhumains. La plupart d’entre-nous sont incapables d’atteindre la vitesse de 20km/h en course à pied, même sur une courte distance. Pourtant, c’est bel et bien la moyenne à laquelle courent les recordmen du marathon durant 40km, une distance qui semble inimaginable pour un jogueur débutant.

Est-il humain de sauter au dessus d’une barre à près de 2,50m de hauteur sans la toucher ? Est-il humain de sauter une longueur de près de 9m ? De sauter une barre à plus de 6m avec une perche ? De rester sans respirer plus de 10 minutes ? De descendre sans respirer à plus de 100m de profondeur en nageant simplement la brasse ?

Par définition, les champions d’un sport sont des surhommes. Dans les sports les plus populaires, les futurs champions sont repérés très jeunes et suivent un programme spécifique visant à ce que leur croissance optimise les muscles qui seront utilisés dans leur sport de prédilection.

Ils s’entrainent toute leur vie et tout au long de l’année, ils ne font jamais le moindre écart alimentaire. Leur assiette, leur temps de sommeil (et parfois leur activité sexuelle) sont réglementés par une armée de médecins. Ils sont calibrés, au jour et à l’heure près, pour être à leur pic optimal de forme physique le jour de la compétition.

Le jour même, ils bénéficient du meilleur matériel imaginable, d’un entourage complet, d’une concentration optimale.

Alors, est-ce tellement étonnant qu’ils aient des performances anormales ?

 

Es-tu en train de dire que les cyclistes ne sont pas dopés ?

Pas du tout. C’est même très possible que la plupart le soient, d’une manière ou d’une autre et à des degrés divers. D’où l’hypocrisie totale de s’attaquer au gagnant, qui n’est sans doute pas plus dopé que les autres, surtout si ceux-ci ont a peine une ou deux minutes de retard.

Le dopage n’est pas blanc ou noir, c’est une affaire très complexe.

De plus, et j’insiste sur ce point, les performances brutes ne sont en aucun cas des preuves de dopage.

Le dopage ce n’est pas que la performance le jour de la compétition, c’est également utilisé durant l’entrainement, afin de construire la masse musculaire, afin de dépasser le coup de mou inévitable qui doit survenir un jour où le sportif resterait bien en pantoufles à la maison. Le dopage est donc beaucoup plus subtil qu’une simple pilule qui doublerait la vitesse de pédalage du jour au lendemain.

 

Tu ne proposes quand même pas qu’on légalise le dopage ?

Pourquoi pas ? Au moins, ce serait clair. Il n’y aurait pas d’hypocrisie.

Posons la question autrement : pourquoi ne veut-on pas accepter le dopage ?

La seule réponse que je trouve c’est que, comme la drogue, le dopage est dangereux. Les athlètes dopés mettent leur santé sérieusement en danger. Avec un dopage extrême, devenir athlète serait suicidaire (ce qui augmenterait à mon avis les audiences mais passons…). Les règles anti-dopage sont donc là pour les protéger.

Or, comment luttons-nous contre le dopage ? En pourchassant et punissant… ceux que l’on veut protéger ! Tout comme la lutte contre les junkies, la lutte contre le dopage ne peut pas fonctionner de cette manière. Le dopage n’est, pour les sportifs, pas une manière de gagner : c’est avant tout une manière de ne pas perdre ! Dans le sport de haut niveau, il n’est pas rare que l’athlète aie le sentiment que si ses performances ne sont plus au top, il se retrouvera du jour au lendemain à la rue. Le dopage est donc extrêmement tentant voire indispensable. Il se retrouve même en dehors du sport dans le monde du travail où, là aussi, les performances sont passées à la loupe.

Je peux donc difficilement en vouloir à un sportif qui se dope. À la limite, le fait de mentir et d’être hypocrite me choque plus. J’aurais le plus grand respect pour un sportif qui avouerait et expliquerait en détail le « système » sans y être acculé par un juge.

Par contre, je me demande comment un médecin qui participe à tout cela peut encore se regarder dans la glace ?

Pourquoi punit-on les sportifs et laisse-t-on les médecins continuer leur métier impunément ? Ainsi que ceux qui, en connaissance de cause, ont payé le salaire de ces médecins.

Pour moi, tout médecin qui aurait aidé ou encouragé un patient à prendre des produits potentiellement nocifs pour sa santé devrait être radié de l’ordre des médecins et jugé comme un dealer de drogue. Les sponsors et financiers devraient être condamnés de la même manière.

Ce n’est sans doute pas une solution ultime mais je reste persuadé que s’attaquer aux sportifs est injuste et contre-productif. Ce serait comme vouloir lutter contre la drogue en punissant les junkies mais en laissant ouvertement les dealers et les barons opérer.

Peut-être qu’on pourrait arrêter de parler de dopage et condamner ceux qui, par leurs actes ou leurs prescriptions, mettent en danger la santé d’autrui. Le sport de haut niveau permettrait alors de développer des produits et des aliments qui nous aideraient à mieux vivre et qui auraient un impact positif sur la santé. Tout produit qui se révélerait nocif, même à très long terme, serait immédiatement rejeté par les coureurs eux-mêmes.

Le sport de haut niveau deviendrait donc un moteur positif d’innovation, un laboratoire pour la santé et la connaissance du corps humain, ce qu’il est déjà pour le matériel et la technologie.

De toutes façons, comme je le décrivais dans « À l’ombre de la Grande Boucle », le dopage va bientôt devenir indétectable. N’est-il donc pas préférable de le changer en quelque chose de positif plutôt que de continuer à se voiler hypocritement la face ?

 

À long terme, le Coca-Cola ou la cigarette sont également extrêmement nocifs. Avec ton raisonnement, il faudrait condamner ces fournisseurs !

Voilà, tu as parfaitement compris où je voulais en venir.

 

Photo par Cold Storage.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Enfant, j’espérais un jour…

mercredi 15 juillet 2015 à 19:30
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Enfant, je n’aimais déjà pas manger. J’espérais, sans trop y croire, pouvoir un jour me contenter de prendre des pilules contenant tout ce dont j’avais besoin et ne plus être préoccupé par la nourriture. Après tout, cela existait dans la majorité des livres de science-fiction dont je m’abreuvais.

Aujourd’hui, si ce ne sont pas des pilules, nous n’en sommes guère loin et je suis un homme comblé.

 

Enfant, je n’étais pas soigneux avec la paperasserie. Mon écriture manuscrite n’était pas très jolie et toutes mes feuilles se chiffonnaient immédiatement. Les trous se déchiraient et les feuilles volaient au milieu de classeurs. Je détestais mettre des œillets sur les trous. Être soigneux me semblait une perte de temps et sans le moindre intérêt. Adolescent, j’ai même dessiné les plans d’une perforatrice qui mettait automatiquement les œillets (appelée plus tard la « dricoratrice » par des camarades de classe).  Reprenant le problème, j’ai ensuite imaginé d’injecter de la résine directement dans le trou pour le solidifier. Puis, à la lecture d’un article de Science & Vie Junior sur un prototype de « papier électronique », j’ai imaginé avoir un classeur qui contiendrait une seule feuille électronique et un clavier, pour prendre des notes directement. En classe, plutôt que photocopier, le professeur se contenterait de transmettre une « feuille électronique » qui s’afficherait automatiquement dans notre classeur.

Aujourd’hui, je n’imprime plus. Tous les documents que je souhaite sont scannés en un clic sur mon téléphone et sont accessibles sur mon ordinateur, mon téléphone et ma tablette.

 

Enfant, j’adorais lire et chaque seconde passée loin des livres me semblait une seconde perdue. Mais les lourds et volumineux volumes restaient pour la plupart du temps à la maison et n’étaient guère pratiques. Lors de trajets en voiture, je ne pouvais lire qu’à la lumière du jour, m’usant les yeux jusqu’à l’ultime seconde du crépuscule. J’avais imaginé ce que j’appelais « la lecture du pouce ». Une petite puce électronique qui contiendrait toute ma bibliothèque et qui enverrait directement à mon cerveau, à travers le nerf de mon bras, l’histoire contenue dans le livre. Je pourrais lire en permanence, même dans le noir et sans même m’arrêter pour changer de livre.

Aujourd’hui, mon livre électronique ne me quitte plus. J’emporte en permanence une bibliothèque ultime qui contient également des nouveautés mises en ligne la veille par leur auteur et qui ne seront, peut-être, jamais imprimées. Je peux lire debout, dans une file d’attente, le soir, dans le noir. Sans même m’arrêter entre deux livres.

 

Enfant, j’étais incroyablement frustré par le fait que les sondes Voyager ne soient pas passées à proximité de Pluton. J’étais passionné par le système solaire, l’exploration spatiale et je voulais me représenter Pluton, ma planète préférée.

Aujourd’hui, après avoir découvert la surface de Titan, je suis tout ému de découvrir le visage de Pluton.

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Chaque jour, j’apprécie la chance que j’ai de vivre dans le futur, de réaliser mes rêves d’enfant.

 

Photos par Sergey Galyonkin et Nasa.

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