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L’argument du bourreau

vendredi 12 juin 2015 à 17:05
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C’était il n’y a pas si longtemps, à une époque où l’air était pur et les forêts recouvraient notre pays. L’eau des ruisseaux était limpide et l’on mourait d’une rage de dent à trente ans.

Le village était florissant et reconnu dans tout le comté pour le savoir-faire de ses habitants : la plupart étaient bourreaux de père en fils.

Chaque famille avait sa spécialité. Faire souffrir lentement. Faire avouer rapidement. Torturer de manière spectaculaire. Tuer efficacement et sans douleur. Ces derniers étaient particulièrement appréciés par l’administration publique. Quoiqu’il en soit, chacun avait sa clientèle, son histoire, son patrimoine et sa fierté. Le village exportait sa compétence dans tout le pays et même au-delà !

Un jour d’été, une étrange rumeur se fit dans le village. Le gouvernement étudierait en secret la ratification d’une charte des droits de l’humain. Cette charte comportait l’abolition pure et simple de toute peine de mort, qu’elle soit rapide ou longue et douloureuse. De même, la charte prohiberait la torture sur l’ensemble du territoire.

Le village était bien entendu fortement opposé à cette charte. Elle signifiait la ruine économique pure et simple. La fin d’une tradition séculaire, d’un art transmis de génération en génération.

Le village était souvent pris en exemple dans les débats politiques qui dégénéraient souvent en violentes manifestations.
— Il faut bien que les gens du village vivent ! disaient les uns.
— Comment voulez-vous offrir une reconversion professionnelle à ces centaines de familles ? renchérissaient les autres.
— On peut ne pas être d’accord, ils ne font que leur boulot ! assénaient les troisièmes.

Le mouvement étudiant prit fait et cause en faveur de la charte. Après quelques sanglants débordements, les meneurs furent arrêtés et condamnés à mort. Le bourreau qui vint du village était justement un jeune homme qui avait beaucoup voyagé. Avant de porter le coup fatal, il s’adressa discrètement à ses victimes.
— Vous savez, je pense que vous avez raison. On ne peut pas tuer les gens, le progrès nécessite d’abolir la peine de mort. Je tenais à vous remercier pour votre combat. Puis-je vous serrer la main ?
— Mais ne vas-tu pas nous tuer ?
— Que voulez-vous, c’est mon boulot. Je n’ai pas le choix. Mais je suis de tout cœur avec vous.

Le bourreau accomplit son œuvre sans discuter. Les étudiants survivants en firent un symbole et le remercièrent pour son humanité et son courage.

Il devint un médiateur entre les deux parties et mit fin au conflit en prononçant un discours désormais célèbre.

« Tuer et faire souffrir les gens est une coutume barbare. Nous sommes d’accord que le progrès ne peut se construire que sur le respect de l’homme. L’humanité ne peut progresser qu’en défendant l’intégrité de chaque individu.

Cependant, des familles entières sont héritières d’une tradition millénaire. Elles ont investi dans de la formation et du matériel de pointe. Elles vivent, boivent, mangent et consomment. Elles font tourner l’économie. N’ont-elles pas le droit de vivre elle aussi ? N’ont-elles pas le droit de voir leur travail respecté ?

Mettre à mort un humain ne me plaît pas. Mais c’est un mal nécessaire afin de faire vivre la société et les individus qui la composent. »

L’argument du bourreau fit mouche. Certes, le recours aux bourreaux devint de moins en moins populaire. Plus personne ne payait pour leurs services ou pour assister à une exécution. Les exécutions devinrent gratuites et étaient parrainées par des grandes marques de boisson ou de nourriture. Malgré une baisse notable de la criminalité, l’état encouragea les juges à se montrer sévères et lança un grand plan de subventions pour les bourreaux qui, sans cela, n’existeraient sans doute plus de nos jours.

Aussi, lorsqu’on vous explique que votre travail est inutile voire néfaste, lorsqu’on prétend qu’il est nécessaire de faire évoluer la société, rappelez-vous l’argument du bourreau : c’est votre job. Vous n’avez pas le choix. Et il y a des dizaines de gens comme vous qui vivent de ce travail. Certains sont trop vieux pour espérer une reconversion. Ils ont le droit de vivre. Alors, même si c’est néfaste, dangereux, inutile ou stupide, même si vous n’êtes pas vraiment d’accord avec ce que vous faites, il est nécessaire de défendre ceux qui, comme vous, ont le courage d’obéir et de faire leur boulot sans poser de questions.

 

Photo par Joan G. G.

 

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Printeurs 31

lundi 8 juin 2015 à 18:40
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Ceci est le billet 31 sur 34 dans la série Printeurs

Depuis combien de temps suis-je enfermé sans bouger ? Depuis cet instant mythique que j’appelle naissance. Depuis combien de temps… Mais qu’est-ce que le temps si ce n’est une perception, une sensation, une douleur. Le temps, c’est la vie qui s’écoule goutte après goutte de notre corps. Le temps n’est que de la souffrance distillée, un tourment qui nous donne l’impression d’exister.

Les points blancs dansent devant mes yeux. La boule bleue grandit. Je suis seul face à l’univers. Enfin en sécurité. Pour la première fois de ma vie, j’ai la certitude que je ne vais pas recevoir de coups, que je ne vais pas me faire insulter. Étrange sensation. Je ferme les yeux. Lorsque je les réouvre, la boule bleue a envahi mon champs de vision. Je les referme. Des coups secouent mon corps, mon estomac se noue, un bruit furieux m’inonde et m’envahit tandis que je rôti sous l’effet d’une intense chaleur. Je ferme les yeux, je hurle et j’accueille la douleur comme une vieille amie trop longtemps absente. Mes yeux se révulsent et je disparait dans un torrent de noirceur infinie.

Le silence me réveille en sursaut. Tout mon corps semble peser une tonne et me tire vers le plancher. Avec difficulté, je m’extrait du vaisseau et me met à ramper sur le plancher. Éclairé par une blafarde lumière orangée, le hangar dans lequel je me trouve me semble gigantesque. Tournant la tête, je découvre une large ouverture donnant sur une boule lumineuse. Mon astéroïde ? Non, il n’est pas si rond. Sans doute un autre, rempli lui aussi d’usines, de travailleurs et de gardiens. Mais il ne fait aucun doute que mon vaisseau est arrivé par cette ouverture.

Je me débarrasse du scaphandre. Ma respiration est plus aisée mais je me sens tout de même particulièrement alourdi. Le silence m’étonne. Personne ne vient donc réceptionner la cargaison ? Après m’être trainé derrière une caisse, je me recroqueville, espérant pouvoir guetter sans être vu.

Les voix me réveillent. Une lumière vive et blessante inonde à présent le hangar. Deux hommes se rapprochent. Deux hommes grands, droits. Ils passent près de ma cachette et j’ai le temps d’examiner leur visage. Ils sont beaux. Leurs cheveux et leurs dents sont ordonnés. Ils marchent d’un pas énergique tout en discutant. Le plus âgé respire la confiance et l’expérience. Ses cheveux sont grisonnants et pourtant il parle et bouge comme un jeune homme. Leur accent m’est difficilement compréhensible, leur vocabulaire m’échappe le plus souvent. Mais je perçois l’essentiel de leur discussion.

— Tous ces travailleurs me semblent bien traités. Certes, leur travail est répétitif et peu épanouissant mais peut-être est-ce ce qui leur convient. Pourquoi veux-tu absolument les remplacer par des printeurs ?
— Ne soit pas naïf Nellio. Tous ces gens que tu as vu avec des belles casquettes bleues, des gants bleus et un tablier bleu ne font strictement rien. Ce sont des télé-pass à qui on fait croire qu’ils travaillent.
— Mais j’ai pourtant vu qu’ils vissaient des pièces, qu’ils assemblaient…
— Bien sûr. Un département assemble des pièces, un second les démonte et un troisième s’occupe du transport entre les deux premiers.
— Mais pourquoi ? Quel est le but ?
— Diminuer le nombre de télé-pass.
– C’est absurde !
— Pourquoi ? Les télé-pass veulent du travail. Les travailleurs veulent qu’il y ait moins de télé-pass qui soient payés à ne rien faire. Tout le monde est content.
— Mais dans ce cas, Georges, pourquoi avoir créé une fondation pour le bien-être des ouvriers ? Ne me dit pas que c’est juste pour ton image ?
— Il y a un peu de ça, c’est vrai. Le pouvoir a également besoin de contre-pouvoirs fantoches afin d’occuper les esprits et de dissuader les rebellions les plus profondes. Depuis que la religion est tombée en décrépitude, nous avons du nous rabattre sur les médias et les syndicats.
— Quoi ? Mais… Tu n’es donc qu’une ordure ?

Le jeune homme s’est arrêté et regarde le plus âgé avec une fureur à peine contenue. Je sens poindre une vague de violence, de haine. Intérieurement, je me réjouis du spectacle. Mais, à ma grande surprise, l’homme plus âgé lance un regard, un seul accompagné d’un sourire.

— Voyons Nellio. Tu te doutes bien que si je t’ai fait venir ici c’est que j’ai des motifs bien plus nobles.

Incroyable ! Cet homme semble également disposer du Pouvoir. Ou du moins d’une variante. Il est dangereux. Très dangereux !

— Ce que je viens de te dire est la version officielle, celle qui m’a permis d’arriver jusqu’ici sans éveiller les soupçons. Celle qui m’a permis de découvrir une horreur sans nom à laquelle le printeur peut mettre un terme.
— N’essaye pas de m’embrouiller Georges !
— Réfléchis Nellio, pourquoi t’ai-je amené ici si ce n’est pour te convaincre ? Où crois-tu que nous sommes ?
— On dirait une base souterraine pour les cargos spatiaux automatiques. Comme celui-ci. Une véritable pièce de musée qui doit dater de l’époque des mines spatiales.
— Tout juste !
— Enfant, je rêvais de voyager dans l’espace, de devenir astronaute, que ce soit comme mineur ou déboucheur de chiottes. Je ne savais pas encore que toute l’exploitation spatiale avait été abandonnée. Trop peu rentable.
— C’est effectivement ce qu’on peut lire sur les sites historiques. Une belle propagande.
— Car ce n’est pas le cas ?
— Regarde ce vaisseau, il est arrivé cette nuit.
— Quoi ? Mais…
— Il est chargé de marchandises.
— Hein ?

Les deux hommes sont entrés dans le vaisseau. Je tente de m’approcher mais leur voix ne me parvient plus. Qui sont-ils ? Et que font-ils ici ? Est-ce que le Pouvoir aura de l’effet sur eux ? Le plus vieux m’inquiète.

Ils ressortent, tenant à la main une poupée en plastique.
— Mais ces jouets sont complètement démodés. Plus aucun enfant n’en utilise de nos jours.
— Oui, ce vaisseau m’étonne. Il vient de coordonnées auxquelles nous n’avons plus fait de commandes depuis longtemps. Leurs produits ne se vendent plus.
— Que veux-tu dire George ? De quoi parles-tu ?
— Il me reste encore beaucoup à comprendre. Tout ce que je sais c’est que lorsqu’une usine a besoin d’un chargement d’un produit donné, elle remplit un vaisseau de rations alimentaires et l’expédie avec des cordonnées déterminées par le produit désiré. Au retour, le cargo est plein.
— Comment est-ce possible ? Qui remplit le cargo ?
— Je n’ai à ce jour aucune certitude mais toutes les hypothèses que je peux émettre sont toutes plus terribles les unes que les autres.
— Je sais ! Les prisonniers ! Je me souviens qu’il y a quelques années on a expédié les condamnés pour crimes graves dans les astéroïdes miniers désaffectés. Une forme de peine de mort moralement justifiable dans les médias qui avait fait scandale chez les étudiants.
— Ce n’est pas impossible mais ces prisonniers n’ont jamais été plus de quelques milliers, répartis dans toute la ceinture d’astéroïdes. Trop peu nombreux pour créer une industrie.
— Mais pourquoi ne pas faire travailler les télé-pass ? Et qui fabrique donc ces fichus jouets périmés ?
— Les télé-pass sont très protégés, ils ont de la famille, des amis. Et ils sont incompétents. Si nous les formons, il vont commencer à réfléchir, à déstabiliser le système. Si nous les exploitons, cela finirait par se savoir. C’est pourquoi je suis convaincu que ces fichus jouets, comme tu dis, sont produits par des humains qui souffrent, des humains exploités. Peut-être des enfants. Je suis persuadé que cette histoire d’astéroïde n’est qu’un écran de fumée qui sert à masquer un commerce peu avouable avec le sultanat islamiste.
— Quoi ? Tu voudrais dire que les musulmans…
— Quoi de plus logique ? Ils n’ont pas de scrupules, pas de sécurité sociale. Ils ont de la main d’œuvre et de la matière première. Par contre toute la région est un désert ultra-pollué par le pétrole et les retombées radioactives. Ils crèvent donc littéralement de faim.
— C’est… C’est affreux !
— Oui. C’est pourquoi le printeur est un outil primordial. Il nous permettra de mettre fin à cet odieux échange.
— Mais il faut le dénoncer tout de suite ! Il faut arrêter ça immédiatement.
— Nellio, tout ce que nous achetons, tout ce que nous utilisons provient de ces usines cachées. Tes vêtements, ton neurex, ton ordinateur. Sans eux, nous ne sommes plus rien. Sans eux, il deviendra évident que les télé-pass font un travail inutile. Toute notre société risque de s’écrouler ! Le chaos ! L’anarchie !

J’ai cru un moment qu’ils parlaient de l’astéroïde mais les phrases sont complexes, les mots étranges. Changeant d’appui pour mieux entendre, je heurte mon casque de la main. Ce dernier roule sur le sol en un bruit de tonnerre qui se répercute dans tout le hangar. Les deux hommes se figent et se tournent brutalement vers moi.

— Mais qu’est-ce que…
— Qui…

Je me redresse avec lourdeur et, tout en gardant mon regard fixé sur l’extrémité de mes orteils, articule une présentation improvisée :
— G89, à vos ordres chef !

 

Photo par Photophilde.

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Est-il encore nécessaire de manger ?

mardi 2 juin 2015 à 18:53
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Une étude et une comparaison des différents substituts à la nourriture traditionnelle (de type Soylent) disponibles en Europe.

Il est amusant de constater que la moindre remise en question de votre alimentation transformera tout votre entourage en diététiciens expérimentés prêts à vous apprendre la vie. Vous tentez un régime vegan ? Tout le monde s’inquiétera soudainement pour votre apport en vitamine B12, même ceux qui n’en avaient jamais entendu parler et ne s’en étaient jamais tracassés. Vous suggérez un menu végétarien ? L’être humain est soudainement “naturellement carnivore”, ce qui devrait clore tout débat.

Bref, la bouffe c’est sacré, c’est une religion. Remettre en question une vie d’habitudes alimentaires, c’est se heurter à la barrière de la foi, c’est dresser contre vous les ayatollahs de la tradition.

Mais au fond, quel est le rôle premier de la nourriture ? Réponse : apporter à votre corps une série de nutriments.

Est-ce qu’on ne pourrait pas optimiser cela en apportant au corps directement les nutriments dont il a besoin plutôt que de passer par un processus extrêmement complexe qui comporte l’achat de matériaux nutritifs, leur conservation, leur préparation, leur ingestion suivant un rituel bien codifié et le nettoyage final de tous les outils mis en œuvre ?

Après tout, on le fait bien pour les animaux : mon vétérinaire m’a assuré que les croquettes contenaient tout ce dont mon chat a besoin. Depuis, je regarde mon chat avec envie. Pourquoi n’y a-t-il pas des croquettes pour les humains ?

C’est exactement le défi que s’est lancé Soylent, une startup américaine qui a pour but d’offrir une poudre à mélanger dans de l’eau qui contient exactement ce dont le corps a besoin. J’en vois certains d’entre vous bondir…

Mais on ne sait pas mesurer précisément ce dont notre corps a besoin. Nous sommes différents.

En effet. Mais est-ce que la nourriture traditionnelle est meilleure en ce sens ? Avez-vous la moindre idée des nutriments que vous avez avalés au cours des dernières 24h ? Pire, notre alimentation traditionnelle a tendance à nous apporter trop de certains types de nutriments, pas assez d’autres et également nous faire ingérer des substances non-nécessaires qui peuvent s’avérer nocives (les pesticides, certains conservateurs ou additifs, …).

Si vous avez commencé votre journée avec une tartine au choco, un café, pris un sandwich et un coca à midi avant de finir avec un spaghetti bolo, pouvez-vous réellement affirmer que votre alimentation a été plus saine qu’une personne qui a passé toute la journée avec du Soylent ? Est-ce réellement préférable de manger des céréales le matin, une salade à midi et un menu trois services au restaurant le soir ? La réponse objective est que vous n’en savez rien, vous vous fiez à vos sensations pour savoir ce qui est bon pour vous.

Mais le repas a également une fonction sociale !

Est-ce que vos trois repas par jour ont une fonction sociale ? Vraiment ? Si c’était le cas, les fast food, les sandwichs n’existeraient pas.

Historiquement, le fait de se nourrir prend tellement de temps qu’il est devenu traditionnel d’associer ce temps perdu avec d’autres fonctions : sociabiliser, se reposer le corps et l’esprit. Mais il n’existe aucune corrélation avec les repas autre que l’habitude. Dissocier les repas peut même être une excellente chose. Il m’arrive souvent d’être concentré et productif mais que mon corps aie faim. Cela me force à m’arrêter, à prendre une pause, cassant mon rythme. Plus tard, lorsque mon esprit sera fatigué, je culpabiliserai à l’idée de prendre une seconde pause.

Mais manger est un plaisir. La cuisine est un art.

Manger peut en effet être un plaisir pour certains. Il existe également des gens pour qui manger est tout simplement une corvée nécessaire à la vie. D’autres qui l’apprécient quand ils ont le temps mais qui ont d’autres priorités dans la vie. Si manger est un plaisir pour vous, pourquoi ne pas accepter que d’autres s’en passent ? Il existe des milliers de façons pour les humains d’exprimer leur art et chaque individu a le droit de choisir ce qui lui convient. Après tout, la fécondation in-vitro n’a jamais menacé votre sexualité.

Mais…

Bref, n’ayant jamais été particulièrement attiré par la nourriture, le concept de Soylent m’a tout de suite plu et j’ai décidé de le tester. Soylent n’est pas encore disponible en Europe mais la formule étant ouverte et libre, beaucoup de startups s’en sont inspiré. Pour vous, mes chers lecteurs, j’ai donc décidé de tester les alternatives européennes au Soylent.

Joylent (NL)

Joylent est actuellement le leader sur le marché européen et le premier que j’ai testé. Le produit se veut fun et se décline en 4 goûts : Fraise, Banane, Vanille et Chocolat.

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Une caisse de Joylent (photo issu du blog Joylentfor30days)

Utilisant de la protéine de lait comme base, le Joylent est légèrement écœurant. Le goût est fort sucré et les arômes font très artificiels. L’ingestion de Joylent doit donc se faire calmement et ne plaira pas à tout le monde. Ceci dit, on s’habitue assez vite.

L’effet est assez étrange : la faim ne semble pas tout à fait calmée mais on ne ressent aucun manque. Contrairement à un repas normal, pas de somnolence, pas de pic glycémique. Étonnamment, je n’ai constaté aucune fringale à l’heure du goûter. Lorsque la faim revient réellement, c’est généralement à l’heure du prochain repas.

Joylent est fourni par sac de 3 portions, ce qui n’est pas très pratique mais réduit sensiblement les déchets. Les livraisons sont rapides, le support est hyper réactif. Le repas coûte 2€.

À noter que Joylent travaille sur une version vegan sans produits laitiers.

Mana (CZ)

Mana est une alternative qui fait également beaucoup parler d’elle. À l’opposé de Joylent, Mana se veut sérieux, de qualité, garanti sans OGM. Mana n’est pas aromatisé et ne se base pas sur du lait. La poudre est donc entièrement vegan. Par contre, Mana doit être mélangé avec de l’huile, fournie en petites bouteilles. L’huile originale était un mélange d’huile végétale et d’huile de poisson. Elle est désormais entièrement végétale ce qui rend Mana compatible avec un régime vegan.

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Contrairement à Joylent, Mana n’est pas poudreux mais fait de “flocons” qui tombent dans le bas du verre. Le fond du verre donne l’impression de manger une sorte de porridge.

De toutes les solutions testées, Mana est la seule qui m’a donné un gros coup de barre digestif. J’ai du m’allonger et faire une sieste. À mon réveil, je crevais de faim. Expérience peu concluante donc.

UPDATE : Avec l’habitude et en ne tenant pas compte du dosage recommandé, Mana s’est révélé de plus en plus agréable. Une fois le bon dosage personnel trouvé, c’est celui qui nourrit et « cale » le plus longtemps. Son goût neutre se marie également parfaitement avec des fruits ou du chocolat, selon le goût. Bref, à tester.

Les commandes sont particulièrement longues à être livrées (plusieurs semaines). Les sachets contiennent trois portions et sont livrés avec des petits flacons d’huile gradués contenant également 3 portions. Le repas revient aux alentours de 3,5€.

Queal (NL)

Tout comme Joylent, Queal est néerlandais. Mais la ressemblance ne s’arrête pas là : Queal est vraiment très proche de Joylent. Une base de protéine de lait (donc non vegan) mais une plus grande variété de goûts.

Contrairement à Joylent, les goûts semblent moins artificiels. Certains sont même franchement bons (j’adore le chocolat-cacahuète) et il existe un goût “neutre” sans arôme ajouté qui est parfait pour mélanger avec les goûts plus prononcés.

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Il est nécessaire d’ajouter une cuillerée d’huile végétale. L’huile est fournie sous forme d’une unique bouteille qu’il faudra doser à l’œil. Un peu moins pratique donc.

Au niveau de l’effet, Queal me semble légèrement plus nourrissant que Joylent. De mon expérience, Queal est le plus adapté avant le sport : il n’alourdit pas, calme la faim et fournit de l’énergie pendant plusieurs heures. Un Queal à 14h pour remplacer mon repas de midi m’a permis de tenir sans effort, sans fringale et sans le moindre autre apport jusqu’à 8h du soir au cours d’une après-midi de vélo intense.

Queal est livré par sachet de 3 portions (2€ la portion) mais ces portions sont tellement larges que 3,5 portions me semble plus indiqué. Le support est réactif et la livraison rapide même si l’image générale est moins dynamique et plus orientée marketing que Joylent, qui se veut vraiment proche de ses consommateurs. Notons que Queal est également garanti sans OGM.

Jake (NL)

Toujours chez les Néerlandais, Jake obtient la palme du boulot sérieux : sachet individuel très pratique (mais du coup moins écologique), valeur nutritive détaillée sur le site et les sachets, un blog très informatif sur la nutrition, un compte Twitter réactif. Le tout étant 100% vegan à 3,5€ la portion.

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Le défaut ? Le goût. Il n’existe qu’une seule saveur : vanille. Et c’est assez infâme. Vous avez l’impression de boire du lait de soja vanillé ultra-sucré… en poudre. C’est à la limite gerbant. Et, malheureusement, c’est très peu nourrissant : après 2h, on crève de faim.

Jake est assurément la grosse déception de ce test.

Veetal (DE)

À l’opposé de Jake, le site de Veetal ne donne presqu’aucune information. Et la notice qui accompagne les sachets est entièrement en allemand. Certaines informations sont particulièrement bien cachées : Veetal n’est pas Vegan car il contient de la protéine de lait. Par contre, il est garanti sans OGM.

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Il est également nécessaire de rajouter de l’huile qui n’est pas fournie. Les sachets contiennent trois portions et reviennent à 3€ le repas.

Contrairement à Jake, le goût est une bonne surprise : c’est le seul produit de ce test qui fait ressortir une pointe de salé pas du tout désagréable. Le goût est neutre, un mélange équilibre de salé/sucré qui se laisse boire.

Les autres

Il existe bien d’autres variantes. Dans ma liste, j’ai également noté :

Conclusion

Ce qui m’a fortement marqué avec cette expérience c’est, comme annoncé, l’efficacité. Si, comme moi, vous n’êtes pas un maniaque du goût, un Joylent ou un Queal apporte la valeur nutritive d’un repas avec un temps de préparation de l’ordre de la minute !

La plus grande surprise a été de me rendre compte que je pouvais être productif l’après-midi, n’ayant pas le fameux coup de barre digestif. Je n’imaginais pas que la digestion consommait autant d’énergie chez moi.

Les jours où je consomme un Soylent-like à midi, je n’éprouve plus le besoin de me ruer sur l’armoire à chocolat à 4h. Je consomme également beaucoup moins de plats préparés, de sandwichs, de pizzas surgelées ou de cornets de pâtes. Ma compagne, qui est pourtant passionnée de cuisine, trouve cette alternative particulièrement pratique pour les jours où son business ne lui laisse pas le temps de manger correctement. Avant le sport, les Soylent-like se sont révélés une solution idéale et bon marché.

D’un point de vue productivité, tant intellectuelle que sportive, les Soylent-like sont une véritable révélation et m’apportent un nouveau confort de vie dont j’aurais désormais du mal à me passer.

Bien entendu, je continue à apprécier un restaurant ou un repas avec des amis ou de la famille. Mais je les perçois plutôt comme des événements exceptionnels. J’ai désormais plus l’envie de manger des bonnes choses plutôt qu’en grande quantité. L’envie de manger est moins présente et, étonnamment, après un gros gueuleton, je suis content de pouvoir faire une journée “diète Soylent” pour reposer mon système digestif.

Système digestif qui, entre nous, se porte d’ailleurs beaucoup mieux. J’ai des intestins particulièrement irritables et les soylents semblent une bénédiction pour eux. Même si, je vous préviens, la courte période d’adaptation à ce type de nourriture n’est pas sans une certaine propension aux flatulences.

Photo par l@mie. Cet article n’a reçu le soutien d’aucune des marques citées et a nécessité un investissement non négligeable afin de se procurer un échantillon représentatif. S’il vous l’avez trouvé intéressant, n’hésitez pas à y contribuer librement.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Printeurs 30

lundi 1 juin 2015 à 18:09
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Ceci est le billet 30 sur 33 dans la série Printeurs

Utilisant un avatar, Nellio est parvenu jusqu’au printeur dans son labo secret. Il a lancé l’impression de la mystérieuse carte mémoire. Mais les policiers, guidés par Georges Farreck, sont à la porte.

 

La porte du laboratoire vient de sauter. Paniqué, je me retourne. Le printeur est en pleine action: un vent terrible balaie la pièce, un bruit de tempête bourdonne à mes oreilles, le liquide d’impression bout.

Les cris des policiers me parviennent. Je risque un œil par dessus la montagne de débris qui me sert de barricade. Une fusée jaillit de mon bras et explose en flammes à leurs pieds.
— Mais…
— C’est moi, me rassure la voix de Junior. Je contrôle l’armement. Contente-toi de les regarder, je balance la purée. La majeure partie de ta défense est de toutes façons assurée par des algorithmes automatiques.

Un déluge de feu et de hurlements se déchaînent vers l’entrée du laboratoire. Je me sens totalement passif, déconnecté. Déboussolé, je tourne en vain la tête en tout sens. Des coups de feu jaillissent de mes mains, de mon torse et de ma tête mais je ne contrôle rien. Un uniforme de policier que je n’avais pas vu apparaît soudain face à moi. Il doit avoir rampé le long des murs. Mon coeur s’arrête un instant alors que je le vois lever une arme vers mon visage. J’observe trois brefs éclairs avant d’entendre trois détonations. Je ne sens rien. Sous le casque, le visage se décompose. Le visage d’une jeune femme d’une vingtaine d’années semblable à toutes les jeunes femmes que j’ai fréquenté.
— Merde ! Un avat…
Un trou rouge se dessine sur son front et, comme au ralenti, je vois ses yeux se révulser. Elle tente un dernier sursaut incrédule avant de s’affaisser à mes pieds, les bras étrangement désarticulés trempant dans la cuve du printeur. Ses yeux ouverts continuent à me fixer par delà la mort. Je l’ai tuée ! J’ai tué un humain ! Ou n’était-ce qu’un policier ? Est-ce bien moi le coupable ? Est-ce mon corps ? Et qui le contrôle ? Qui a pressé la détente ? Junior, l’algorithme ou mon propre subconscient ?

Une explosion violente retentit et la scène semble se figer. Un épais silence s’installe dans notre ancien laboratoire. Seul me parvient encore le clapotis du printeur.
— Première vague repoussée, m’annonce Junior. Ils se replient pour préparer la seconde vague. Cela peut prendre plusieurs heures. Tactique classique en cas de résistance imprévue. Ils pensent sans doute que nous sommes plusieurs, cela va nous donner l’opportunité de filer. Où en est l’impression ?

Je baisse les yeux. Dans la cuve de fortune, une masse rougeâtre et filandreuse a fait son apparition alors que le corps sans vie du policier semble se décomposer.
— Nom d’un processeur ! Un corps humain !
Le rouge des muscles se couvre rapidement d’une peau matte et foncée. Je manque de hurler.
— Eva !
Le son n’a pas finit de franchir mes temporaires lèvres de métal que ses yeux s’ouvrent. Durant une éternité, son regard semble fixer le plafond. Je n’ose effectuer le moindre mouvement, le temps s’est arrêté.

Et puis, brusquement, son visage émerge du liquide d’impression et se met à hurler. Un hurlement rauque, inhumain, un feulement, une agonie. Elle hurle en se débattant, se contorsionnant. Son corps nu glisse hors de la baignoire improvisée. Couchée sur le sol, elle semble reprendre son souffle avec difficulté. Du bout des doigts, elle touche sa peau, son avant bras, son visage. Et se remet à hurler.

Maladroitement, je m’approche d’elle et tente de la rassurer.
— Eva ! Eva ! C’est moi, Nellio !
Ses grands yeux effrayés croisent mon regard électronique. Je sens qu’elle essaie de me dire quelque chose mais ses lèvres ne sont qu’un cri de détresse infinie. La voix de Junior me parvient. Il semble sous le choc.
— Merde… Nellio… Ne me dis pas que…
— Si, c’est Eva. Elle s’est scannée pour sauver sa peau.
— Merde… Merde… Merde… C’est pas croyable ça !
— Mais ce n’était pas censé fonctionner pour les êtres vivants…
— Et bien si tu veux mon avis, ça n’a pas l’air de fonctionner super bien. Ou, en tout cas, c’est extrêmement douloureux.

Le laissant à son soliloque ponctué de « Merde ! », j’entoure Eva de mes bras. Arrachant un morceau de tissu quelconque des décombres, je protège ses épaules et la serre contre moi. Inlassablement, je murmure.
— Eva, c’est moi, Nellio !
Son long cri finit par se calmer et se transforme en hoquet saccadé. Sa respiration semble pénible, forcée. Elle tourne vers moi un visage inondé de larmes. Ses lèvres frémissantes tentent avec peine de former un mot. Elle déglutit, crache, tousse et articule finalement :
— Nel… lio ?
— Oui Eva, c’est moi !
Ses yeux se ferment et elle tombe, inerte, dans mes bras.
— Eva ? Eva ?
Je tente de la réveiller, de lui faire reprendre conscience. Une vague de panique m’envahit. Et si le printeur ne fonctionnait réellement pas pour les êtres vivants ?
— Eva ? Eva ?
Écartant ma main, je constate une petite plaie rouge sur son épaule, à l’endroit exact où je la tenais.
— Qu’est-ce que…
— Ne t’inquiète pas Nellio, je lui ai administré un sédatif. Il faut que nous sortions d’ici avant la deuxième vague.
— Quoi ? Un sédatif ? Mais tu l’as peut-être tuée espèce de salopard ! Tu ne sais rien de son corps et…
— Stop ! Tu arrêtes tout de suite ! On règlera nos comptes après. Pour le moment, nous avons un intérêt commun : ramener l’avatar et Eva en sécurité. Le reste peut attendre.

Je rêve ! Eva revient à la vie, ce type me la tue aussitôt et il voudrait que je lui obéisse ? Mais c’est quoi ce délire ?
— Salopard, tu es un traître, je le savais depuis le début, tu as…

Aucun son ne sort plus de mes lèvres. Autour de moi, tout est devenu soudainement sombre et calme. Je suis dans un hangar. Contre le mur qui me fait face je distingue vaguement un alignement de silhouettes immobiles. Des avatars ! J’ai beau essayer de tourner la tête, mon regard est définitivement fixe. Je veux avancer, bouger. Rien à faire, mon avatar semble déconnecté. Je crie mais aucun son ne me parvient. Un épais sentiment de claustrophobie m’étreint la poitrine. Eva et Junior me sont sorti de l’esprit, je ne pense qu’à une chose : bouger ou sortir de ce corps éteint !

Le temps lui-même semble avoir disparu. Je n’ai aucun moyen d’évaluer depuis quand je suis dans ce hangar. Même les battements de mon cœur ont disparu ! Suis-je fou ? Suis-je enfermé depuis des années ou seulement depuis quelques secondes ? Comment savoir ?

Un néon clignote brusquement. Une porte se referme. Des pas. Deux être humains se rapprochent. Ami ou ennemi ? Peu me chaut, il faut que je sorte d’ici.
— Aidez-moi ! Je suis ici ! Pitié !
Mais, bien entendu, je n’émet aucun son.

Les deux silhouettes se rapprochent et s’arrêtent en face de moi. Deux femmes en tenue de travail, casquettes vissées sur la tête. Je tente de concentrer mon regard sur elles, de leur faire comprendre que j’existe.
— C’est celui-ci ? fait la plus grande des deux en pointant mon voisin de droite.
— Oui, répond l’autre. Les capteurs visuels présentent des défaillances.
— Retire-les, on va voir ce qu’on peut faire à l’atelier ! Et remplace les capteurs par ceux de celui-ci ! C’est un modèle qui ne sort pas et qui sert pour les pièces détachée.

J’entends un grincement sur le sol. Du coin de l’œil, je les vois tirer une escabelle de métal vers moi. Le visage de la plus petite apparait soudainement dans mon champs de vision. Son nez frôle le mien. Elle tient un tournevis automatique qu’elle approche de mon œil. Je hurle, je me débats. La pointe du tournevis emplit mon champs de vision, un petit bruit de moteur suivi d’un grincement se fait entendre. Noir.

Je suis désormais plongé dans l’obscurité absolue. J’entends le couinement de l’escabelle qu’on déplace, le bruit de la visseuse.
— Voilà, au moins celui-ci est opérationnel.
— Parfait, portons le capteur à l’atelier.
Respirations. Rangement de matériel suivi de pas qui s’éloignent et de la porte qui se referme. Noir.

Je suis seul dans le noir absolu. J’aimerais pleurer, greloter ou même ressentir. Je n’ai que le noir…
— Eva…

 

Photo par 7th Army JMTC.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Les 10 millions de conducteurs du train magique tueur

mardi 19 mai 2015 à 18:23
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Fermez les yeux.

Imaginez un long train contenant toutes les marchandises transportées durant une année en Europe. Ce train est magique : il part le 1er janvier, roule quelques millions de kilomètres sur une voie sans fin et, automatiquement, toutes les livraisons de l’année sont effectuées dans tous les magasins et usines du continent.

Maintenant imaginez qu’une personne soit couchée sur la voie et empêche le train de passer. Si le train freine, c’est toute l’économie de l’année qui est par terre. Le train doit-il s’arrêter pour sauver la vie de cet individu ? Ou bien, au contraire, la société doit-elle sacrifier une vie pour faire tourner l’économie ?

Aux États-Unis, avec 4000 personnes sur la voie, le train ne s’arrête pas. Et je pense que les chiffres seraient similaires partout dans le monde. 4000, c’est en effet le nombre de personnes tuées chaque année dans des accidents causés par des camions de transport (et, dans la plupart des cas, par une faute humaine du conducteur). Par comparaison, les attaques du 11 septembre qui ont chamboulé le monde et fait dépenser des trilliards en « mesures de sécurité » ont fait… 3000 victimes. Les camions de transport représente à eux-seuls plus d’un 11 septembre chaque année rien que sur le sol américain.

Et si nous avons été hypnotisé par les cadavres du onze septembre, nous ignorons superbement les milliers de morts de la route, les considérant comme d’anonymes tragédies individuelles. Peut-être que si, comme pour le onze septembre, on nous repassait en boucle les images des gens en train de mourir, nous aurions une autre perception de la conduite automobile ? Personnellement, c’est la raison pour laquelle je ne veux plus conduire.

Mais j’ai une bonne nouvelle pour vous : j’ai dernièrement eu l’occasion de m’asseoir au volant d’un camion moderne. Tout est désormais automatisé : le camion anticipe les freinages, surveille la conduite du conducteur, avertit des obstacles et ralentit. De quoi éviter bien des accidents et sauver des vies.

Mieux ! Ce mois de mai 2015 voit la mise en circulation aux États-Unis du premier camion entièrement autonome. Pas de conducteur, pas d’erreur. Comme l’a démontré la Google Car, le remplacement progressif des conducteurs par des intelligences artificielles va drastiquement réduire le nombre de victimes. En plus d’un millions de miles, les Google Cars n’ont en effet connu que 11 accidents mineurs, tous sans exception ayant été causés par une erreur humaine (dans 7 de ces accidents, la voiture s’est fait emboutir par l’arrière alors qu’elle était à l’arrêt).

Génial, non ?

Il y a juste un petit problème. Il y a 3,5 millions de conducteurs de camion aux États-Unis. Dans son excellent article que je vous encourage à lire, Scott Santens estime qu’avec les motels, les restoroutes et tous les services associés, la conduite de camion représente 10 millions d’emplois.

10 millions d’emplois qui vont devenir obsolètes. Ou plutôt qui le sont déjà vu que le camion automatique existe. Un camion qui pollue moins car il peut conduire de manière optimale. Un camion qui allège la route car il peut rouler 24h/24 et donc remplacer 3 camions qui sont forcés de faire des pauses régulières.

10 millions d’emplois qui seront réalisés de manière plus efficace, plus rapide et plus sûre par des intelligences artificielles. 10 millions d’emplois qui sont, chaque année, responsables de 4000 morts.

On pourrait se réjouir sans rien changer à la société. On sauve 4000 vies et on envoie 10 millions de personnes dans la misère. Le revenu actuellement perçu par ces 10 millions de personnes se partagera entre les quelques milliers de veinards qui auront acheté des camions automatiques. Ils vivront dans le luxe en le louant sans réellement rien faire de leur journée, accusant les anciens chauffeurs d’être des paresseux. C’est une possibilité.

On pourrait également lutter de toutes nos forces contre une innovation de toutes façons inéluctable, on pourrait prétendre que rien ne vaut un bon camion manuel conduit par un routier qui sent la sueur. On pourrait tenter de faire passer des lois pour interdire les camions automatiques, permettant à 10 millions de personnes de continuer à faire un travail inutile de creusage et rebouchage de trous tout en tuant 4000 personnes par an. C’est une autre possibilité.

Je vous laisse choisir la meilleure.

Ça y’est ? Vous avez choisi votre camp ?

Ne trainez pas car les camionneurs ne sont bien entendu qu’un exemple. Si votre gagne-pain actuel n’est pas encore obsolète aujourd’hui, cela ne va guère tarder. Tout ce qu’un humain peut faire, y compris créer ou inventer, peut ou pourra être réalisé demain par une intelligence artificielle. En mieux, plus rapide et moins cher.

Alors, dépêchez-vous de faire votre choix : allez-vous investir massivement en espérant être parmi les riches et que les pauvres crèveront de faim avant de vous couper la tête ? Allez-vous lutter de toutes vos forces pour empêcher le moindre progrès technologique afin que tout le monde puisse creuser des trous et les reboucher inutilement, même au prix de nombreuses vies humaines ?

Ne pourrait-on pas imaginer une alternative, une troisième voie ? Contrairement aux politiciens, que le manque total de vision cantonne à l’équation emplois = social et donc à la dualité ci-dessus, je suis persuadé qu’il existe bien d’autres voies. Et tout comme Scott Santens, je suis convaincu que le revenu de base est une condition nécessaire à ces alternatives.

Si vous êtes contre le revenu de base, je vous laisse choisir entre les deux solutions précédentes.

 

Photo par Daniel Bracchetti.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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