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Le paradoxe du tupperware

vendredi 9 novembre 2018 à 12:54

Comment les marketeux et autres publicitaires ont pour mission de détruire l’humanité, un couvercle de tupperware à la fois.

On a tous un tiroir de tupperwares avec 20 tupperwares et 20 couvercles. Et pourtant, vous avez beau tous les essayer, rien à faire. Aucun ne va sur aucun. Parfois, coup de chance, y’a une paire qui s’encastre au prix de gros efforts pour maintenir les 4 coins, paire précieuse que vous guetterez toujours sans pour autant vous débarrasser du reste du tiroir.

C’est un problème mathématiquement ou physiquement complexe, une véritable énigme de l’univers du même ordre que la chaussette de Schrödinger.

Alors, oui, Elon Musk envoie des voitures électriques sur Mars, mais les problèmes importants, comme ceux du tupperware, personne ne les résout.

Tout ça à cause du Marketing !

Imaginez, y’a peut-être un petit gars du département R&D de chez Tupperware. Pendant 12 ans il a bossé sur ce problème, il a écrit des équations de fou dans des espaces affines à 18 dimensions, réinventé les maths. Un jour, Eureka !

Sans perdre une seconde, il court annoncer la bonne nouvelle. Il a non seulement compris le paradoxe, mais il a une solution à proposer. Le problème sera définitivement résolu ! Son cœur bat à tout rompre, la sueur lui dégouline dans les cheveux. La gloire pour lui, un monde meilleur pour le reste de l’humanité ! Plus de tupperwares dépareillés ! Moins de pollution !

C’est là qu’arrive la directrice marketing.

Oui, mais non. Ça va plomber nos ventes. 65% de notre chiffre d’affaires est composé de gens qui achètent des tupperwares neufs parce qu’ils ne trouvent plus le couvercle (ou, au contraire, le contenant). Alors, tu comprends mon petit… Tes espaces affines, c’est gentil mais ici, c’est la vraie vie !

12 ans de recherche et de travail aux oubliettes. Ce grand problème de l’humanité qui touche des millions de personnes et les laissera pour toujours dans la souffrance et les affres des tupperwares dépareillés. Pire, la directrice marketing proposera de faire des collections subtilement différentes pour que le couvercle ait l’air d’être compatible, mais, en fin de compte, ne le soit pas.

Le marketing et la vente sont l’antithèse du progrès. Ils ont pour seul objectif de rendre l’humanité misérable pour nous faire acheter encore et toujours. Si votre boulot consiste à « augmenter les ventes », que ce soit du marketing web, de la pub ou n’importe quoi, vous n’êtes pas une solution, vous êtes le problème.

Je n’invente rien, vous n’avez qu’à regarder votre tiroir à tupperwares pour en avoir la preuve.

Photo par QiYun Lu.

Je suis @ploum, conférencier et écrivain électronique déconnecté rémunérés en prix libre sur Tipeee, Patreon, Paypal, Liberapay ou en millibitcoins 34pp7LupBF7rkz797ovgBTbqcLevuze7LF. Vos soutiens, même symboliques, font une réelle différence pour moi. Merci !

Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

Printeurs 47

mardi 6 novembre 2018 à 11:15

Restés seuls et nus, Nellio et Eva pénètrent dans une grande pièce dont la porte vient de s’ouvrir.

– Georges Farreck !

Alors que je tente machinalement de récupérer quelques vêtement et d’essuyer les poisseux fluides qui recouvrent mon entrejambe, je ne peux retenir un cri de surprise.

Debout, les mains appuyées sur un bureau, Georges Farreck est en grande conversation avec une élégante femme blonde vêtue d’un tailleur bleu électrique qui souligne son ventre rebondit. Elle caresse un chat angora au long pelage gris. Georges sursaute et se retourne vers nous.

— Nellio ! Eva ! Que…

Il a l’air profondément surpris. La femme, elle, garde son calme et se contente d’un petit sourire ironique. À ses côtés, je reconnais Warren, l’administrateur du conglomérat de la zone industrielle. Il semble nerveux, ennuyé et passe constamment un mouchoir sur son front luisant.

Je sens la colère me faire vibrer les tempes. J’ai envie de saisir Georges par la gorge, de lui faire mal, de le griffer, de le faire saigner. Une envie sourde de violence se mélange effroyablement au reste de l’orgasme que je viens de vivre.

— Georges ! hurlé-je, tes sales manigances viennent de coûter la vie à deux de mes amis, tu ne vas pas…

Il semble profondément hébété et se contente de bégayer de vagues réponses.

Sans se départir de sa morgue ironique, la femme enceinte me lance alors :
— Bienvenue Nellio. Heureux d’enfin vous rencontrer, je suis Mérissa. Je suis heureuse de voir que vous avez remplacé le sex-toy que nous avons détruit chez Georges. Vous avez bien fait ! Après tout, nous les produisons en série.

Avant que je ne n’ai pu émettre la moindre réponse, Eva s’avance sans un mot. Sans aucune honte, son corps nu glisse majestueusement vers le bureau. Elle se saisit d’une paire de ciseau qu’elle s’enfonce, sans un cri, dans l’avant bras, la blessure tournée bien en évidence vers la femme blonde. Ennuyé, le chat saute sur le sol et s’éloigne d’un air digne.

Après quelques secondes de silence, un sang se met à couler de la blessure d’Eva.

Mérissa a un mouvement d’effroi.

— Mais… Ce n’est pas possible ! murmure-t-elle.
— Si, grogne Eva en serrant les dents.
— Vous… vous êtes le modèle original ? balbutie Warren.
— Il n’y a pas de modèle original, répond violemment Mérissa.
Puis, se retournant vers Eva :
— Qui es-tu ?
— Je suis humaine et je viens débrancher l’algorithme.

Le visage de Mérissa se tord de rage et de surprise.

— Comment… Comment peux-tu connaître l’existence de l’algorithme. J’en suis l’auteur, j’en suis le seul et unique maître !
— Tu en es l’esclave, répond Eva. Je le sais. Car je suis l’algorithme.

Mon cœur s’arrête. L’explication que me propose mon cerveau me semble si incroyable, si inconcevable.

— Si tu es humaine, je peux te tuer, menace Mérissa. Et tuer ton soupirant. Tout continuera comme avant, comme si vous n’aviez jamais existé. Le printeur rejoindra la longue liste des inventions immédiatement perdues.
— Pas sûr, ne puis-je m’empêcher de répondre. Junior et moi avons envoyé les plans détaillés du printeur à des dizaines de personnes en leur demandant de le construire et de diffuser l’information.
— Mon pauvre Nellio, l’information sur le réseau, ça se contrôle, ça s’efface. Quelques morts dans les attentats, quelques sites webs modifiés et plus personne ne se souviendra de ce printeur.

Elle ricane.

— C’est pour cela que nous n’avons pas utilisé le réseau, dis-je calmement.

Elle s’arrête.

— Nous avons rédigé des plans papiers que nous avons envoyés à travers l’intertube…
— Quoi ? Mais l’intertube n’a jamais été inauguré ! Ce n’était que pour occuper les politiciens !
— …avec des instructions demandant de construire des printeurs et de les envoyer à travers l’intertube. D’ici quelques jours, les printeurs seront monnaie courante.
— Mais vous êtes fous !

Elle hurle avant de jeter un regard noir à Georges Farreck.

— Et toi, pauvre abruti, tu n’as pas réussi à l’arrêter.
– Mérissa, je ne te permets pas de me traiter en sous-fifre. J’ai créé une fondation…
— …pour servir de paravent crédible à la création des printeurs, je le sais, c’est moi qui te l’ai ordonné.
— Non, pas de paravent, hurle Georges, les joues gonflées par la colère. Je voulais sincèrement faire cesser cet esclavage dont je soupçonnais l’existence sans en avoir la preuve définitive.
— Et, au passage, devenir le seul et unique détenteur du brevet sur le printeur.
— Mais…
— Développer le printeur et le garder secret, c’était ta mission. Le printeur était vital pour nous, les astéroïdes sont de moins en moins rentables. Mais il fallait que cela reste un secret ! Toi, pauvre idiot, en voulant faire cavalier seul, tu as fais en sorte que le secret se répande dans la nature ! C’est une catastrophe !
— Je pense au contraire que c’est la meilleur chose qui puisse arriver à l’humanité, fais-je d’une voix que je veux assurée.

Mérissa me fixe de ses yeux noirs tout en se tenant le ventre arrondi par la maternité prochaine. Une chemise à peine enfilée, sans pantalon, le sexe humide, je frissonne d’humiliation.

— Pauvre inconscient. Tu ne réalises pas ce que tu as fait !
— Je crois que si, fais-je en soutenant opiniâtrement son regard.
– Tu vas foutre en l’air l’économie.
— Une économie qui repose sur l’esclavage d’une partie de la population et l’abrutissement de l’autre. Je suis fier de la détruire !
— Tu ne te rends pas compte des conséquences ! Sans règles, les gens vont utiliser les atomes de l’atmosphère qui les entoure pour faire des objets inutiles, ils risquent de détruire la planète !
— Parce que c’est vrai que vous, on peut vous faire confiance, vous avez démontré une réelle maturité dans le domaine !

— Madame ! Nous sommes conscients que la santé de votre bébé est primordiale…

Comme un seul homme, toutes les personnes présentes dans la pièce se retournent. Sur le mur, un homme en costume est apparu. Il n’a pas de jambes et s’adresse à nous avec un sourire forcé orné d’une moustache lissée.

— …ou de vos bébés, devrais-je dire, car les jumeaux apportent deux fois plus de bonheur. Mais également cinq fois plus de risques de vergetures disgracieuses. Y avez-vous pensé ?

Soudainement, un Georges Farreck géant se met à descendre en parachute le long du mur. Il est magnifique, jeune mais pourtant mature, plein de charme et de sex appeal. Pendant un instant, mon cœur s’arrête de battre et je sens pointer un début d’érection.

— Madame, dit le Georges Farreck parachutiste, avec BioVerge au Cadmium actif, vous pouvez dire adieu aux vergeture.

Il lance un sourire étincelant avant de disparaître. Le flacon qu’il tenait dans les mains se met à grandir et tourbillonner, lui donnant un effet de relief très réussi. Puis, le mur s’éteint et redevient soudainement triste et silencieux.

— Ah oui, je me souviens de ce contrat, murmure Georges Farreck, le vrai au visage ridé et cerné. Ils ont fait du beau travail au montage, je suis très réaliste. Mais le texte est franchement nul. J’ai l’air de sortir d’un spectacle d’école primaire.

Photo par Trey Ratclife

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1 mois de déconnexion, premier bilan

dimanche 4 novembre 2018 à 14:57

Cela fait un mois que je suis déconnecté, 30% du temps initial que je m’étais fixé en démarrant l’expérience. Puis-je déjà tirer des conclusions ?

Oui, clairement. La première c’est que je ne suis pas du tout impatient de me reconnecter. En fait, j’ai même peur de le faire. Il y’a quelques jours, après avoir fini une tâche, j’ai machinalement tapé l’URL d’un site bloqué, un site d’informations générales.

Ce simple fait est en soi incroyable : mon cerveau est tellement formaté que même après un mois d’abstinence, les réflexes musculaires agissent encore. Je n’ai pas voulu aller sur ce site. Cela fait un mois que je n’y suis plus allé. Je n’avais aucune envie, aucun intérêt à y aller. Et, pourtant, mes doigts ont tapé l’URL.

Or, il s’avère que Adguard était désactivé. Pour la petite histoire, un site ne chargeait pas correctement et j’avais voulu vérifier si ce n’était pas Adguard qui interférait. J’avais oublié de le réactiver juste après.

Je me suis donc retrouvé sur le site d’actualités, à ma grande surprise. Premièrement, car je ne m’étais pas rendu compte que j’avais tapé l’URL et, en deuxième lieu, car j’étais persuadé que le site était bloqué. J’ai donc décidé de fermer le site et de réactiver le blocage. Mais, auparavant, j’ai quand même lu tous les grands titres et j’ai ouvert deux articles. Je n’ai littéralement pas pu m’en empêcher.

C’est effrayant.

Le pire est que, sans ma déconnexion, je ne me serais probablement jamais rendu compte de ces automatismes incontrôlables. Il y’a également de fortes chances pour que mon cas soit relativement représentatif d’une certaine frange de la population. Même si je suis un cas extrême, nous sommes certainement tous atteints à des degrés différents. La seule chose qui change est la conscience.

Mais la question primordiale reste de savoir si cette addiction est vraiment nocive.

Pour moi, la réponse est sans conteste un oui généralisé.

En un mois seulement, j’ai déjà l’impression d’être en train de changer profondément et durablement. Je suis plus patient, plus calme. Mes colères sont moins fréquentes. J’écoute les autres sans éprouver de l’ennui (ou moins, selon mon interlocuteur). Je savoure le temps avec mes proches. Je suis moins stressé, j’ai moins l’impression qu’il y’a des millions de choses à faire. Ma todo list et mon inbox email sont sous contrôle permanent. Mieux : ça vaut ce que ça vaut, mais j’ai accompli en octobre autant de tâches de ma liste de todos qu’en 3 mois habituellement.

En fait, c’est simple : lorsque je lance mon ordinateur, au lieu d’aller dans mon navigateur, je vais dans ma todo list et je choisis ce que j’ai envie de faire à ce moment.

Je recommence à écrire de la fiction, même si ce n’est encore que le tout début. Je tiens un journal de manière régulière et ça me plait.

Pour procrastiner, je réfléchis à mon workflow général de travail, j’ai eu une phase où j’ai testé pas mal de logiciels. Voire j’écris dans mon journal. Ce n’est certes pas le plus productif, mais c’est au moins une procrastination qui n’est pas nocive. Autre procrastination : je teste le fait de m’autoriser un lecteur de flux RSS, mais avec seulement quelques sources sélectionnées. Si un flux a un volume trop important ou poste des articles trop génériques, je le supprime immédiatement. D’ailleurs, je cherche des flux RSS d’individus qui partagent leurs idées. Pas de news, pas d’actualités, mais des lectures un peu fouillées qui poussent à la réflexion. Le but n’est pas d’être informé, mais d’être inspiré. Vous avez des recommandations ?

Si je lis toujours autant de fiction qu’avant, j’ai par contre ajouté à mon régime des véritables livres sur arbres morts de non-fiction, livres qui trainent un peu partout dans la maison et que je saisis quand l’envie m’en prend.

Bon, évidemment, tout n’est pas rose. Je ne publie pas beaucoup plus qu’avant. Je ne suis toujours pas un parangon de patience et, si je me distancie de mon téléphone, je reste accro à mon clavier. En fait, je deviens de plus en plus accro à l’écriture, ce qui est une bonne chose, mais les tâches ménagères ne m’intéressent pas plus qu’avant.

Un autre chantier en cours, outre le fait que je commence à lâcher prise sur les opportunités manquées, c’est celui de l’ego. J’ai toujours eu beaucoup d’égo et le fait d’être parfois appelé « blogueur influent » n’aide pas à rester modeste. Mon blog est une quête de visibilité personnelle, de reconnaissance. J’ai le désir profond de devenir célèbre grâce à mon travail. Les réseaux sociaux exploitent cette faiblesse en me faisant guetter les followers, les likes, etc.

Me déconnecter me permet de m’affranchir de cela. Je ne sais pas si ce que je poste a du succès ou non, je ne sais pas si je suis en train de devenir (un tout petit peu) célèbre ou non. Et, du coup, une partie de mon cerveau commence à lâcher prise sur cet objectif irrationnel. L’effet net est que je sens grandir en moi l’envie de me concentrer sur des projets à plus long terme plutôt que de tenter d’obtenir une gratification immédiate. Mais je ne suis clairement qu’au début.

D’ailleurs, en parlant de gratification, je n’ai jamais reçu autant de mails de lecteurs et de dons sur Tipeee, Paypal ou en Bitcoin. Cela me touche très profondément de voir que certains prennent le temps pour réagir à mes billets, pour me recommander des lectures, pour me remercier. Je suis reconnaissant d’avoir cette chance. Merci !

Enfin, je constate également que j’ai moins envie d’acheter des gadgets sur Kickstarter ou du matériel de vélo. Je ne sais pas si c’est ma volonté de minimalisme ou bien si c’est un effet de ma déconnexion (ou bien les deux), mais, clairement, je prends conscience que le shopping, même en ligne, est un passe-temps, une procrastination pour éviter de faire autre chose. La déconnexion a donc un impact positif sur notre objectif de famille de dépenser moins pour devoir gagner moins.

D’ailleurs, mon cerveau perd de la tolérance face à toutes les sollicitations sensorielles. Voir un réseau social sur un écran m’agresse par les couleurs, les notifications, les publicités. Les écrans publicitaires me font mal aux yeux dans la rue. Bon, c’était déjà un peu le cas avant.

Cette déconnexion me permet également d’apprécier la chance que j’ai d’avoir ma femme et ma famille.

Car, soyons honnête, mon misanthrope égoïsme est peu compatible avec la vie de famille. Si j’adore ma famille et mes enfants, il m’est impossible de ne pas imaginer que si j’étais resté célibataire, j’aurais tout le temps que je veux pour écrire, regarder des films, faire plein sport, écouter du métal à fond. Que je n’aurais pas dû annuler en catastrophe l’enregistrement d’un épisode du ProofOfCast pour éponger du vomi dans toute la chambre.

Mais cette déconnexion, je l’ai souhaitée parce que je voulais améliorer ma vie de famille. Parce que je voulais améliorer la qualité de nos relations et que ma femme avait pointé du doigt mon addiction à mon smartphone.

Aujourd’hui, cette déconnexion m’apporte bien plus que ce que je n’imaginais. Du coup, je réalise que sans femme et sans enfants, je n’aurais sans doute pas entrepris cette expérience. J’aurais certainement continué à me perdre, à courir après ma petite gloriole, à guetter les opportunités pour avoir quelques miettes de gloire.

Bref, cette déconnexion me permet d’apprendre à apprécier qui je deviens tout en me rendant compte que ce que je suis est désormais indissociable de ma femme et de mes enfants, que le Ploum alternatif resté célibataire m’est de plus en plus étranger.

Et tout ça après seulement un mois sans réseau sociaux…

Photo by Will van Wingerden on Unsplash

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Comment j’ai déconnecté

vendredi 26 octobre 2018 à 16:47

Cela fait maintenant trois semaines que j’ai commencé ma déconnexion, trois semaines pleines de surprises. Trois semaines tellement surprenantes que je trouve intéressant de partager avec vous « comment » j’ai déconnecté et ce que j’ai mis en place exactement. Car il n’y a pas de secret : pour atteindre des objectifs, il faut se construire des outils.

1. Prise de conscience.

Avant toute chose, il est nécessaire de prendre conscience du problème que vous souhaitez régler. L’accepter. Avoir envie de changer des choses. Être motivé. Si vous ne voyez pas de problème à votre utilisation actuelle d’Internet, il n’y a pas de raison de la changer.

La technologie ne peut qu’aider la motivation, la soutenir. Toute seule, est elle inutile. Vous pouvez installer 15 apps pour détailler votre temps passé en ligne, pour bloquer pendant 25 minutes l’accès à votre navigateur, encore faut-il que vous l’utilisiez. Et que cette utilisation ne soit pas contre-productive : si le fait d’avoir fait une séance de 25 minutes pseudo-productive vous permet de vous auto-récompenser en passant le reste de la journée à glander, le problème n’est pas résolu. Peut-être qu’il est nécessaire de remonter à la racine du problème plutôt que de le camoufler.

2. Établir les règles de votre déconnexion.

Même si elles vont forcément changer et être adaptées, il est important de clarifier vos règles. Pour Thierry Crouzet, c’était “pas d’accès à Internet direct” mais il ne s’empêchait pas de regarder la télévision, de lire les journaux ou de demander à sa femme de lui télécharger ce dont il avait besoin.

Pour moi les règles initiales étaient :

Au final, ces règles ont rapidement évolué pour devenir :

L’app Refind, qui propose les meilleurs liens partagés par vos contacts Twitter, est ainsi passé à la trappe dès le deuxième jour alors que je pensais en faire un outil important de ma déconnexion. À ma grande surprise, Pocket a également disparu de mon téléphone. Je le garde cependant sur mon Kobo mais n’étant pas alimenté en contenu, son utilisation est exceptionnelle. Je réfléchis à réintroduire un lecteur RSS uniquement sur mon ordinateur (les suggestions de flux à suivre sont les bienvenues, je ne souhaite pas de l’actualité mais au contraire des réflexions nouvelles, différentes).

3. Mise en place d’une solution technique de blocage

Il est primordial de comprendre que la volonté d’un humain est limitée. Se fixer des règles est une chose mais il est illusoire de se faire confiance pour “respecter les règles”. Les automatismes ont la vie dure et il m’arrive encore, sans réfléchir, d’ouvrir un navigateur et de taper une URL d’un site interdit, par réflexe.

Sur Facebook, j’avais déjà mon système depuis plusieurs mois, inspiré par Pierre Valade. L’idée est de se désabonner d’absolument tous vos amis Facebook et de toutes les pages que vous likez (en fait, vous pouvez déliker absolument tout, les likes ne servent qu’à vous profiler publicitairement. Oui, vous pouvez même enlever le like que vous aviez gentiment mis sur ma propre page, je suis suicidaire à ce point là !). Cela va rendre votre flux complètement vide tout en préservant vos liens d’amitié. Attention, pour que cela fonctionne, il est indispensable de se désabonner de tout le monde et de le faire à chaque nouvel ami. Il suffit d’avoir quelques amis pour que Facebook aie assez de matériel pour remplir votre flux. Une fois que c’est fait, vous pouvez désinstaller l’app Facebook et utiliser la version Messenger Lite pour chatter.

La beauté de cette solution c’est que vous êtes officiellement sur Facebook mais quand on vous parle d’un truc, vous répondez que vous ne l’avez pas vu et tout le monde trouve ça normal car il est évident que tout le monde ne peut pas tout voir.

Mais si, comme moi, vous optez pour la déconnexion totale, cette étape n’est même pas nécessaire (elle peut cependant être vue comme une étape temporaire pour adoucir la déconnexion).

Le jour choisi pour le grand saut, déconnectez-vous de chacun de vos comptes ! J’ai commis l’erreur de ne pas le faire immédiatement ce qui a fait que la première fois que j’ai levé le blocage pour une bonne raison (de type aller chercher une adresse pour un restaurant qui n’a qu’une page facebook), les notifications m’ont sauté au visage.

Pour le blocage proprement dit, j’ai choisi Adguard, car disponible sur Android et MacOS, avec la liste de blocage suivante :

||dhnet.be^$empty,important
||lalibre.be^$empty,important
||9gag.com^$empty,important
||facebook.com^$empty,important
||lesoir.be^$empty,important
||rtbf.be^$empty,important
||lavenir.net^$empty,important
||sudpresse.be^$empty,important
||linkedin.com^$empty,important
||twitter.com^$empty,important
||mamot.fr^$empty,important
||macrumors.com^$empty,important
||numerama.com^$empty,important
||plus.google.com^$empty,important
||joindiaspora.org^$empty,important

J’ai commencé par bloquer un site que je ne visitais jamais (dhnet.be) pour tester puis j’ai ajouté ceux que je fréquentais régulièrement (précision, la liste est dans le désordre). Durant les trois premiers jours, cette liste s’est un peu allongée. Mais elle reste remarquablement courte ! Il va sans dire que les applications respectives sont également désinstallées de mon smartphone.

Le seul blocage auquel j’ai renoncé est medium.com car beaucoup de sites légitimes l’utilisent et je devais sans cesse désactiver Adguard pour accéder au résultat de ma recherche. Mais je me suis déconnecté et je ne visite jamais Medium directement, je n’y accède que lorsque le lien que je suis y est hébergé.

Car, oui, je m’autorise de couper mon filtrage si l’information que je cherche le rend nécessaire. Le but n’est pas de me “priver” arbitrairement mais d’utiliser Internet avec la conscience de ce que je souhaite obtenir. Devoir couper Adguard me force à prendre conscience de ce que je fais.

4. Configuration de l’ordinateur et du téléphone.

J’ai également éprouvé, après quelques jours de déconnexion, le besoin de changer l’interface de mon smartphone pour le rendre moins “sexy”, pour ne plus me procurer de plaisir à le dégainer, à chercher machinalement l’icône Twitter. Exit donc la couleur et les jolies icônes. Le launcheur AIO s’est révélé absolument parfait. D’ailleurs, si vous connaissez un moyen pour arriver à ce genre de résultat sur un Iphone, je suis preneur de tout conseil. Le fait d’avoir de la couleur sur mon écran me semble désormais ultra agressif.

Voilà ce que je vois désormais quand je dévérouille mon téléphone. Et si l’app souhaitée n’est pas dans mes raccourcis (vers le bas de de l’écran), je dois chercher en tapant le nom de l’app. Pas moyen de lancer une app sans réfléchir !

J’ai activé les notifications pour les applications suivantes : mail, Whatsapp, Signal et agenda. J’avais initialement désactivé les mails mais, du coup, à chaque fois que je regardais mon téléphone, je lançais l’app. Désormais, un coup d’œil me permet de voir si je dois traiter quelque chose. Tout le reste est en théorie désactivé. Grâce à un bouton hardware, le téléphone est en permanence en silencieux sauf si j’attends un coup de fil. Je ne mets donc pas mon téléphone en silencieux, c’est le contraire : je le mets en mode bruyant lorsque j’en ai besoin. Conséquence directe : je ne vois les notifications que sur l’écran et seulement si je le consulte volontairement. Elle ne m’interrompent pas.

L’agenda et les appels téléphoniques ont la permission de faire vibrer ma montre et donc de m’interrompre.

Pour mon ordinateur, j’ai également fait du nettoyage dans la barre de lancement rapide, ne laissant que le calendrier et ma liste de todo. Pour le reste, je dois taper le nom de l’application dans Alfred, ce qui m’oblige à réfléchir et ne pas être dans le réflexe de cliquer sur une icône. De ce fait, je n’accède à mon navigateur qu’en tapant une recherche DuckDuckGo dans Alfred.

Alfred, mon lanceur de recherches
Ma barre d’icônes

Au fait, mon ordinateur est en permanence en mode Do Not Disturb. Je sais bien que MacOS ne permet pas d’être en permanence dans ce mode mais il permet de fixer Une plage horaire. La mienne s’étant de 4h du matin à 3h du matin. En théorie, entre 3h et 4h, je recevrai les notifications mais je suis rarement devant mon ordinateur à cette heure là.

Do not disturb

Cette déconnexion s’est également accompagnée d’un besoin pressant de minimalisme. J’ai donc désinstallé énormément d’apps et de logiciels. Exit tous les outils de tracking (hors Strava) ou de statistiques. RescueTime, par exemple, s’est révélé particulièrement retors : en quelques jours d’utilisation, j’avais pris le réflexe de consulter mes statistiques de “productivité”, d’ouvrir les apps dites “productives” sur mon écran lorsque je réfléchissais dans le vide. Bref, tout le contraire de ce que je cherchais.

5. Au sujet des emails

Cela fait des années que j’applique la méthode Inbox 0 et me désabonne de tout ce qui contient un lien “unsubscribe”. Par définition, s’il y’a un lien pour se désinscrire, c’est que ce n’est pas critique et je peux m’en passer. J’ai également un filtre qui envoie directement dans les archives les mails pour lesquels je ne suis pas explicitement dans le champs “to”. Pour l’anecdote, l’université dans laquelle j’enseigne produit une quantité invraisemblable de newsletters et de listes de diffusion dont il est impossible de se désinscrire. Il y’a d’ailleurs toute une équipe uniquement en charge de produire ces newsletter. Avant mon filtre automatique, mes journées étaient un combat permanent entre l’équipe chargée de remplir mon inbox et moi, tentant de la vider, de trouver les bons filtres pour n’avoir que ce qui m’intéressait. J’ai fini par gagner même s’ils ne le savent pas encore.

J’envoie également une réponse automatisée (via un snippet Alfred) pour réclamer ma suppression de tout envoi de type “marketing” (en citant la RGPD), même personnalisé. J’en profite pour demander d’où vient mon adresse ce qui m’a permis de remonter à la source et de me faire supprimer de plusieurs bases de données (la plus pénible étant un certain « hors antenne »). Je fais désormais la même chose avec les mailings papiers.

Avec ma déconnexion, j’ai simplement décidé d’être encore plus sévère et d’appliquer systématiquement ces règles que je suivais déjà mais avec un certain laxisme. En 3 semaines, mon inbox s’est incroyablement calmée à tel point que, désormais, je peux passer plusieurs jours sans “traiter mes mails”.

Alors oui, ce système extrême possède le risque de me faire “rater” quelque chose. Mais toute l’expérience réside justement en ne plus avoir peur de rater quelque chose. Avant, je ratais 100 infos par jour, aujourd’hui j’en rate peut-être 150. L’univers finit toujours bien par trouver une façon de nous prévenir de ce qui est réellement important. De toutes façons, l’excuse “Ah non, je n’ai pas vu passer cet email. Il doit être dans mes spams” est désormais universellement admise.

6. Poster sur les réseaux sociaux

Ma particularité dans cette expérience est que je suis producteur de contenu web, que la majorité de mon audience provient des réseaux sociaux. Je ne peux donc pas simplement arrêter de poster. Enfin, si, je peux mais ne le souhaite pas.

La solution la plus connue pour poster sur différents réseaux sociaux est Buffer mais l’abonnement coûte fort cher et l’interface très complexe pour mes maigres besoins. J’ai découvert l’alternative Friends+Me grâce à Balise. C’est vachement moins abouti mais beaucoup plus simple. Le plan gratuit me permet de poster sur ma page Facebook et sur Twitter, ce qui envoie également le post sur Mastodon.

Je poste donc sur ces réseaux mais en différé (l’heure est programmée à l’avance) et je ne vois pas les réactions, les réponses ou les partages. Bref, rien du tout.

Diaspora, Google+ et Linkedin sont abandonnés, tout comme mon compte Facebook personnel. De toutes façons, entre nous, ce n’est pas comme si ces réseaux étaient importants. Pour l’anecdote, j’ai du aller chercher une info sur Linkedin et, comme j’avais oublié de me déconnecter, un popup de chat m’a sauté au visage avec une dizaine de nouveaux messages.

La plupart concernaient des félicitations pour un vague anniversaire de travail (ça se fête, ça ?) et provenaient de gens que je ne connaissais pas ou d’ex-collègues que je n’ai plus vu depuis une bonne décennie. Les autres messages tentaient d’obtenir que je fasse de la pub pour des projets obscurs liés à la blockchain ou que me proposait des entretiens d’embauche pour devenir développeur sous-payé dans de grandes institutions bancaires. Linkedin est décidément sa propre parodie.

6. S’engager

Engagez-vous vis-à-vis de vos proches et de vos contacts, rendez votre déconnexion publique avec une date de début et une date de fin. Cet engagement peut servir de garde fou moral. Le fait d’avoir une date de fin est également un bon objectif afin de tester en profondeur. Sans date de fin, il serait facile après 2 semaines de dire “ça ne me convient pas”. Plusieurs mois me semble un minimum. J’ai personnellement fixé le 31 décembre car c’était une symbolique facile et que ça donnait une durée de 3 mois à l’expérience.

Le fait de rendre la nouvelle publique, surtout sur les réseaux où vous êtes habituellement actifs, permet à vos contacts de ne pas s’inquiéter voire, de vous contacter pour ce qu’ils estiment important.

J’ai déjà reçu plusieurs mails d’amis proches, de “connaissances virtuelles” ou de lecteurs de mon blog avec en lien un article qui “devrait m’intéresser”. Dans tous les cas ça s’est révélé intéressant et j’ai été très touché par cet échange direct. Peut-être parce que j’avais également l’espace mental pour apprécier le message plutôt que pour voir cela comme “un mail de plus à traiter”.

Au final…

Bien entendu, ces solutions ont leurs limites. Elles ne s’appliquent qu’à mon cas particulier (je n’aurais jamais abandonné les réseaux sociaux si je devais pointer 8h par jour dans un open space grisonnant. Les réseaux sociaux sont un parfait échappatoire pour avoir l’air concentré sur son ordinateur). De plus, ces règles ne sont en place que depuis 3 semaines et doivent encore être testé dans la durée.

Mais s’interroger sur son utilisation des technologies, sur sa dépendance est toujours un questionnement sain. Le petit système que je viens de vous partager me semble un excellent point de départ pour ceux qui souffrent des mêmes problèmes que moi et souhaiteraient tenter le même genre de solution.

Entre nous, j’ai déjà tenté de me désintoxiquer de Facebook il y’a exactement 8 ans. À relire l’article, je constate que rien n’a changé. Le fait d’être candidat aux élections m’a fait rechuter.

Cette tentative sera-t-elle la bonne ? Les paris sont ouverts !

Photo by Kyle Glenn on Unsplash

Je suis @ploum, conférencier et écrivain électronique déconnecté rémunérés en prix libre sur Tipeee, Patreon, Paypal, Liberapay ou en millibitcoins 34pp7LupBF7rkz797ovgBTbqcLevuze7LF. Vos soutiens, même symboliques, font une réelle différence pour moi. Merci !

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Le jour où j’ai désinstallé mon app préférée !

mardi 16 octobre 2018 à 11:32

Ça y’est, c’est fait ! J’ai désinstallé Pocket de mon smartphone. Pocket qui est pourtant l’application que j’ai toujours trouvée la plus importante, l’application qui a justifié que je repasse sur un Kobo afin de lire les articles sauvegardés. Pocket qui est, par définition, une manière de garder des articles glanés sur le web « pour plus tard », liste qui tend à se remplir au gré des messages sur les réseaux sociaux.

Or, ne glanant plus sur le web depuis ma déconnexion, force est de constater que je n’ajoute rien de nouveau à Pocket (sauf quand vous m’envoyez un mail avec un lien qui devrait selon vous m’intéresser. J’adore ces recommandations, merci, continuez !). Le fait d’avoir le temps pour lire la quantité d’articles amassés non encore lus (une petite centaine) m’a fait réaliser à quel point ces articles sont très très rarement intéressants (comme je le signalais dans le ProofOfCast 12, ceux sur la blockchain disent absolument tous la même chose). En fait, sur la centaine d’articles, j’en ai partagé 4 ou 5 sur le moment même, j’en retiens un seul qui m’a vraiment appris des choses (un article qui résume l’œuvre d’Harold Adams Innis) et 0 qui ont changé quoi que ce soit à ma perspective.

L’article sur Innis est assez paradoxal dans le sens que son livre le plus connu est dans ma liste de lecture depuis des mois, que je n’ai encore jamais pris le temps de le lire. Globalement, je peux dire que ma liste Pocket était inutile à 99% et, à 1%, un succédané d’un livre que j’ai envie de lire. Que lire ces 100 articles m’a sans doute pris le temps que j’aurais pris à lire rapidement le livre en question.

Le résultat est donc assez peu brillant…

Mais il y’a pire !

Pocket possède un flux d’articles « recommandés ». Ce flux est extrêmement mal conçu (beaucoup de répétitions, des mélanges à chaque rafraichissement, affiche même des articles qui sont déjà dans notre liste de lecture) mais est la seule application qui reste sur mon téléphone à fournir un flux d’actualités.

Vous me voyez venir…

Mon cerveau a très rapidement pris l’habitude de lancer Pocket pour « vider ma liste de lecture » avant d’aller consulter les « articles recommandés » (entre nous, la qualité est vraiment déplorable).

Aujourd’hui, alors qu’il ne me reste que 2 articles à lire, voici deux suggestions qui se suivaient dans mon flux :

La coïncidence est absolument troublante !

D’abord un article pour nous faire rêver et dont le titre peut se traduire par « Devenir milliardaire en 2 ans à 20 ans, c’est possible ! » suivi d’un article « Le réchauffement climatique, c’est la faute des milliardaires ».

Ces deux articles résument sans doute à eux seuls l’état actuel des médias que nous consommons. D’un côté, le rêve, l’envie et de l’autre le catastrophisme défaitiste.

Il est évident qu’on a envie de cliquer sur le premier lien ! Peut-être qu’on pourrait apprendre la technique pour faire pareil ? Même si ça parait stupide, le simple fait que je sois dans un flux prouve que mon cerveau ne cherche pas à réfléchir, mais à se faire du bien.

L’article en question, pour le préciser, ne contient qu’une seule information factuelle : la startup Brex, fondée par deux vingtenaires originaires du Brésil, vient de lever 100 millions lors d’un Round C, ce qui place sa valeur à 1 milliard. Dit comme ça, c’est beaucoup moins sexy et sans intérêt si vous n’êtes pas dans le milieu de la fintech. Soit dit en passant, cela ne fait pas des fondateurs des milliardaires vu qu’ils doivent à présent bosser pour faire un exit profitable (même si, financièrement, on se doute qu’ils ne doivent pas gagner le SMIC et que l’aspect financier n’est plus un problème pour eux).

Le second article, lui, nous rappelle que les plus grosses industries sont celles qui polluent le plus (quelle surprise !) et qu’elles ont toujours fait du lobby contre toute tentative de réduire leurs profits (sans blague !). Le rapport avec les milliardaires est extrêmement ténu (on sous-entend que ce sont des milliardaires qui sont dans le conseil d’administration de ces entreprises). L’article va jusqu’à déculpabiliser le lecteur en disant que, vu les chiffres, le consommateur moyen ne peut rien faire contre la pollution. Alors que la phrase porte en elle sa solution : dans « consommateur », il y’a « consommer » et donc les « consommateurs » peuvent décider de favoriser les entreprises qui polluent moins (ce qui, remarquons-le, est en train de se passer depuis plusieurs années, d’où le green-washing des entreprises suivi d’un actuel mouvement pour tenter de voir clair à travers le green-washing).

Bref, l’article est inutile, dangereusement stupide, sans rapport avec son titre, mais le titre et l’image donnent envie de cliquer. Pire en fait : le titre et l’image donnent envie de discuter, de réagir. J’ai été témoin de nombreux débats sur Facebook dans les commentaires d’un article, débat traitant… du titre de l’article !

Lorsqu’un commentateur un peu plus avisé que les autres signale que les commentaires sont à côté de la plaque, car la remarque est adressée dans l’article et/ou l’article va plus loin que son titre, il n’est pas rare de voir le commentateur pris en faute dire « qu’il n’a pas le temps de lire l’article ». Les réseaux sociaux sont donc peuplés de gens qui ne lisent pas plus loin que les titres, mais se lancent dans des diatribes (car on a toujours le temps de réagir). Ce qui est tout bénéf pour les réseaux sociaux, car ça fait de l’animation, des interactions, des visites, des publicités affichées. Mais également pour les auteurs d’articles car ça fait des likes et des vues sur leurs articles.

Le fait que personne ne lise le contenu ? Ce n’est pas l’objectif du business. Tout comme ce n’est pas l’objectif d’un fast-food de s’inquiéter que vous ayez une alimentation équilibrée riche en vitamines.

Si vous voulez une alimentation équilibrée, il faut trouver un fournisseur dont le business model n’est pas de vous « remplir » mais de vous rendre « meilleur ». Intellectuellement, cela signifique se fournir directement chez vos petits producteurs locaux, vos blogueurs et écrivains bio qui ne vivent que de vos contributions.

Mais passons cette intrusion publicitaire éhontée pour remarquer que j’ai désinstallé Pocket, mon app la plus indispensable, après seulement 12 jours de déconnexion.

Suis-je en train d’établir des changements durables ou bien suis-je encore dans l’enthousiasme du début, excité par la nouveauté que représente cette déconnexion ? Vais-je tenir le coup sans absolument aucun flux ? (et punaise, c’est bien plus difficile que prévu) Vais-je abandonner la jalousie envieuse de ceux devenus milliardaires (car si ça m’arrivait, je pourrais me consacrer à l’écriture) et me mettre à écrire en réduisant ma consommation (vu que moins exposé aux pubs) ?

L’avenir nous le dira…

Photo by Mantas Hesthaven on Unsplash

Je suis @ploum, conférencier et écrivain électronique déconnecté rémunérés en prix libre sur Tipeee, Patreon, Paypal, Liberapay ou en millibitcoins 34pp7LupBF7rkz797ovgBTbqcLevuze7LF. Vos soutiens, même symboliques, font une réelle différence pour moi. Merci !

Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.