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L’inlassable quête de rivages

vendredi 21 octobre 2016 à 10:59
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D’un coup sec, j’enfonce le clou dans la planche vermoulue. Avec un bruit mat, le marteau s’écrase sur le bois, éclaboussant l’obscurité d’un remugle de saumure.

Du bout des doigts, je caresse l’intérieur de la coque, explorant les sillons, les mousses et les algues se frayant un passage à travers les planches.

— Tu n’en as plus pour longtemps, murmuré-je à l’intention du Corsaire.

Dans la pénombre, un long craquement mélancolique me répond. Je souris d’une silencieuse tristesse avant d’être interrompu par le claquement joyeux des bottes résonnant au dessus de ma tête.

Traversant la cale, enjambant par réflexe les éléments de charpente, je me dirige vers l’échelle.

— Oh camarades ! Que nous vaut ce brouhaha, m’exclamé-je ?
— Regarde, Petit père ! Regarde ! Il s’approche, il nous accoste !

Mais face à l’azur adamantin, mes pupilles chthoniennes clignent, se froissent et capitulent. Je ne suis qu’une escarbille embrasée dans l’éclatante blancheur de l’air libre.

— Qui nous accoste ?
— L’Espérance ! Les voilà !

Un choc sourd fait trembler la coque, immédiatement suivi d’une clameur de joie. Des voix nouvelles m’envahissent, des rythmes de pas inconnus se font entendre, des odeurs de vies assaillent mes narines.

— Bravo ! Bienvenue ! Vie l’Espérance ! Vive le Corsaire.

On s’embrasse dans les coursives, on se roule dans les cabestans, on rit, on chante, on mélange les odeurs et on danse au son de l’onde.

Je devine l’approche du contremaître qui, d’un coup sec, arrache la bâche sur notre pont et dévoile la carcasse que nous étions en train de construire. Je sens sa fierté jaillir par tous les pores de sa peau alors qu’il entonne le discours traditionnel.

— Camarades ! Nous, marins du Corsaire, avons construit une carcasse qui nous succédera et continuera notre inlassable quête de rivages. Cependant, il nous manque la coque. Nous avons les mâts, apporterez-vous les voiles ?
— Camarades ! répond une voix nouvelle, feutrée, profonde, chargée d’embruns. Nous, marins de l’Espérance, avons tissé des voiles et avons en suffisance des planches pour réaliser une coque.
— Comment appellerons-nous ce fier navire qui portera vos voiles sur nos mâts ?
— Le Bienvenue !

Comme un seul homme, les deux équipages se lèvent et entonnent un chant fait de vivas, de battements de pieds et d’applaudissements.

Je souris à cet ouranien univers avant de replonger vers le fond de cale afin d’annoncer la nouvelle au Corsaire.

C’est un fameux voyage que le Corsaire et l’Espérance vivent côte-à-côte. Souvent, j’entends la coque de l’Espérance râper un peu plus profondément les planches déjà moisies du Corsaire. J’ai beau l’enduire de goudron, le colmater d’étoupe, il râle, souffle et craque.

— Petit père ! Petit père ! Viens donc voir le Bienvenue !

Une main jeune et ferme me guide sur le pont, mêlant de lumineuses effluves d’épice à la douceur ligneuse du sapin frais.

— Attention Petit père ! Il y a des trous. Nous avons utilisé les planches pour le Bienvenue.
— Attention Petit père, le cordage a été coupé et placé dans le Bienvenue.

Que de changements ! Que de transformations ! Le Corsaire est-il donc désossé ?

— Le Bienvenue me semble si petit. Pourra-t-il emporter beaucoup de monde ?
— Tu sais, Petit père, nous l’agrandirons durant le voyage. Alors, certes, nous serons serrés au début. Mais, très vite, nous prendrons nos aises ! Et puis, le voyage ne sera plus long. Nous sommes convaincus que le Bienvenue accostera !
— Accoster…

Je pousse un profond soupir et adresse à cette jeune voix pleine d’énergie ma plus belle larme de sourire.

— Camarades, il est temps de mettre le Bienvenue à l’eau ! Hardi ! Ho Hisse ! Ho Hisse !

Une éclaboussure d’écume me trempe de son vibrant fracas. Par toutes les écoutilles jaillit la joie et la clameur. Une main s’accroche à mon paletot défraîchi.

— Tu embarques Petit père ?

J’hésite. Je déglutis.

— Non. Je reste sur le Corsaire.
— Mais n’as-tu pas dit qu’il n’en avait plus pour très longtemps ?
— Je sais, mais c’est encore suffisamment longtemps pour moi.
— Mais nous avons utilisé ses planches, ses cordages, ses poulies. Il ne peut plus naviguer.
— Il naviguera bien assez pour moi.
— Es-tu sûr Petit père ?
— Oui, certainement.
— Alors, larguez les amarres !

Les voix et les rires se font soudainement lointaines.

— Bonne chance Petit père ! Merci !
— Bon voyage Bienvenue ! Bons rivages !

Pendant de longues minutes, de longues heures, je continue à agiter la main en direction du Bienvenue. Je sais qu’il ne me voient plus mais j’ai l’intime conviction de les sentir, que mon adieu est nécessaire, pertinent.

À pleins poumons, je respire cet air silencieux dans lequel le Corsaire s’est encalminé.

Me guidant prudemment sur les restes dépecés de rambardes, enjambant les outils oubliés et les planches arrachées, je retourne paisiblement vers la confortable moiteur de la cale.

— Dis-moi Corsaire, tu crois qu’ils vont aborder ? Tu crois qu’ils ont une chance de trouver un rivage ?

Le bruit sec d’une planche qui casse me fait sursauter.

— Ou peut-être pourront-ils construire un bateau qui, lui atteindra le rivage ?

Des doigts, je frôle une concrétion marine tandis que l’odeur de la mer me pénètre.

— Le rivage existe-t-il vraiment ? N’est-il pas une invention, une chimère ?

Mes sabots se remplissent d’une eau clapotante, mes doigts s’engourdissent.

— Au fond, cela a-t-il la moindre importance ?

Un grincement humide suivi d’un craquement bref. Le Corsaire se penche brusquement au point de me faire chanceler.

— Au fond Corsaire… Au fond j’ai toujours voulu savoir… Au fond, nous allons…

 

Mont-Saint-Guibert, le 2 décembre 2015. Photo par Peter Kurdulija.

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Elon Musk est-il un voyageur du futur ?

vendredi 14 octobre 2016 à 14:56
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Je viens de terminer un livre qui m’a convaincu qu’Elon Musk, le célèbre CEO de Tesla et SpaceX, est un voyageur du futur perdu dans notre époque. Que ses actions nous révèlent ce qu’il connaît de notre avenir immédiat.

Le résumé du livre

Alors qu’il se ballade tranquillement dans la rue, un homme sans histoire se retrouve brutalement ramené 1400 ans dans le passé.

Grâce à sa culture générale, il arrive à comprendre ce qui lui est arrivé et à se débrouiller dans la langue de l’époque. Préoccupé par sa survie immédiate, il va tout d’abord monter une petite affaire en utilisant ses connaissances du futur. Un produit basique, facile à réaliser qui rencontre immédiatement le succès.

Cette petite réussite permet à notre voyageur temporel de lancer d’autres entreprises. Il sait que, d’ici quelques années, le monde va connaître de grands bouleversements et tomber pour plus d’un millénaire dans un âge sombre de ténèbres, de misère, de famine et de maladie. Un millénaire dont il faudra plusieurs siècles pour s’extraire.

En tentant d’apporter le plus d’innovations possibles, notre héros va chercher à préserver l’humanité de ces ténèbres. Sans répit, sans relâche, il crée des entreprises qu’il doit toutes diriger lui-même, les artisans et les travailleurs de l’époque n’étant souvent tout simplement pas capable de suivre ses instructions à la lettre ou s’évertuant à en tirer un petit profit personnel.

Il tente également d’alerter les intellectuels sur l’imminence de la catastrophe mais elle semble bien lointaine ou irréaliste à toute une population qui trouve bien plus important de se perdre en arguties théologiques ou à comploter pour obtenir un ersatz de pouvoir déliquescent.

Souvent incompris, traité comme un fou mais respecté pour ses succès économiques, notre infatigable voyageur temporel ne prendra même plus le temps de dormir, tentera vainement d’avoir une vie amoureuse mais sera à chaque fois rattrapé par l’urgence absolue de tout tenter pour protéger l’humanité. Il aura à lutter contre l’incrédulité et les croyances absurdes d’un peuple confondant modernité et décadence.

Une coïncidence troublante

Écrit juste avant la seconde guerre mondiale par l’écrivain américain Lyon Sprague de Camp, « De peur que les ténèbres » nous fait suivre Martin Padway, jeune archéologue qui est, dès la seconde page, transporté au VIème siècle dans les derniers jours de l’empire romain.

Fin connaisseur de l’histoire, il va tenter de conjurer l’inéluctable chute de l’empire en tentant des actions à court terme, afin d’éviter les erreurs les plus flagrantes, et des actions à long terme, par l’introduction de technologies comme les chiffres arabes, le sémaphore, l’imprimerie et la presse écrite. À court terme, il cherche à éviter que l’Italie tombe dans le chaos. À long terme, il souhaite éviter l’obscurantisme religieux et l’ignorance qui mènera à un millénaire de misère.

Hormis son caractère de classique de la SF des années 30 et de précurseur de l’uchronie, « De peur que les ténèbres » n’a rien de transcendant. Si ce n’est le particulièrement troublant parallèle que je n’ai pu me retenir de faire avec la vie d’Elon Musk, fondateur de Tesla et de SpaceX.

Tout comme Martin Padway, Elon Musk semble pris par une frénésie d’entreprises, d’innovations. Rien n’est jamais assez bien à son goût et il supervise la plupart des développements importants. Tout comme Martin Padway, Elon Musk ne semble pas attiré par l’argent ou la réussite. À chaque succès, il réinvestit absolument tout dans une nouvelle aventure. Il y’a chez Elon Musk, comme chez Martin Padway, une urgence vitale, obsessionnelle.

Chaque entreprise est considérée comme folle, vouée à l’échec. Pourtant, elles finissent souvent, mais pas toujours, par se révéler des succès même si ce n’est pas immédiat.

Elon Musk serait-il, comme Martin Padway, un voyageur temporel ? Est-il un homme parfaitement banal né en 3400 ? Par sa culture générale, il sait alors que l’humanité s’apprête à vivre une catastrophe.

Cette catastrophe initiale est l’invasion de l’Italie par le général romain Bélissaire pour Martin Padway et la crise du réchauffement climatique pour Elon Musk. Cela expliquerait cette urgence de développer Tesla et Solar City. De faire sortir l’humanité du pétrole en quelques années et non en quelques générations. Car chaque mois compte dans cette course contre la montre afin de prévenir la destruction inéluctable de la planète.

Un période sombre pour l’humanité

Nos voyageurs temporels sont également convaincus que l’humanité va connaître un millénaire de disette et de misère. Pour Martin Padway, la religion et l’ignorance seront les principaux responsables de ce moyen-âge. Il introduit donc l’imprimerie, le télégraphe, les chiffres arabes, la gravitation, l’héliocentrisme. Des innovations qui devraient permettre de conjurer les ténèbres sur le long terme.

Elon Musk, lui, introduit OpenAI dont le but est d’encadrer la recherche sur l’intelligence artificielle afin de s’assurer que celle-ci ne soit pas néfaste pour l’humanité. La crainte d’une intelligence artificielle partagée par de nombreux intellectuels dont le physicien Stephen Hawking.

Si les deux hommes semblent avoir sacrifié leur sommeil et une vie amoureuse normale, ils ont néanmoins leur point faible, leur petit plaisir qui sera banal à leur époque mais est strictement impossible dans le passé où ils ont été projetés. Martin Padway veut lancer la construction de bateaux capables de rejoindre les Amériques afin de ramener du tabac. Elon Musk a lancé SpaceX afin d’aller sur Mars. Mais à quelle fin ?

Les enseignements du futur

Si l’on accepte  l’idée qu’Elon Musk soit bel et bien un voyageur du futur égaré dans notre époque, ses actions nous apprennent beaucoup sur notre avenir. Et ce n’est pas particulièrement réjouissant.

Tout d’abord, le réchauffement climatique et la consommation de pétrole vont créer très rapidement une catastrophe importante. La bonne nouvelle c’est qu’il est sans doute encore possible de l’éviter ou de la limiter mais il faut agir tout de suite. Tout comme Martin Padway, Elon Musk fait face à un déni bâti sur l’immobilisme, l’idiotie et la superstition.

En deuxième lieu, les intelligences artificielles vont asservir les humains et leur faire connaître une période terriblement difficile. La bonne nouvelle c’est que les humains vont survivre, au moins assez longtemps pour nous envoyer Elon Musk. Mais il serait sage de prendre au sérieux les avertissements sur le sujet.

Le troisième enseignement c’est qu’en 3400, il est relativement facile d’aller sur Mars et, visiblement, cela en vaut la peine. Enfin une bonne nouvelle !

Finalement, il paraît évident que pour un individu du 35ème siècle nous sommes tous des arriérés superstitieux et obtus, incapables d’avoir une compréhension globale du monde. Malgré tous les efforts que le voyageur temporel fait pour nous sauver de nous mêmes et de nos ridicules guerres religieuses ou nationalistes, nous nous évertuons à nous croire invincibles et à ne pas voir plus loin que le bout de notre nez.

Au fond, l’enseignement immédiat que nous pouvons tirer de la connaissance du futur d’Elon Musk c’est que le réchauffement climatique et les intelligences artificielles non-contrôlées sont des problèmes graves à régler bien plus rapidement que de savoir qui fait partie de quel pays et quel livre sacré est le meilleur.

Peut-être que tout ceci n’est qu’une coïncidence et qu’Elon Musk ne vient pas du futur.

Mais voulons-nous vraiment prendre ce risque ? Que pensez-vous que penseront les humains de l’an 3400 de nos actions, de nos comportements quotidiens et de notre immobilisme ?

 

Photo par Thierry Ehrmann.

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L’humanité est-elle condamnée à disparaître comme les dinosaures ?

lundi 10 octobre 2016 à 12:41
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Depuis leur découverte, le gigantisme des dinosaures passionne les hommes. Comment la nature a-t-elle pu produire de tels monstres ? Et comment ont-ils pu disparaître massivement alors qu’ils étaient les rois de la planète ? Sommes-nous condamnés à subir le même sort ?

Trois questions qui sont étroitement liées.

Une question de taille et d’énergie

Le gigantisme des dinosaures n’est, après tout, que le résultat d’une évolution parfaitement logique.

Dans un monde où règne la loi de la jungle, manger ou être mangé, être gros est un avantage indéniable. Plus on est gros, plus on est difficile à attaquer.

Suite à cette stratégie évolutive, les sauriens sont donc devenus de plus en plus grands, de plus en plus forts. Même les herbivores sont devenus gigantesques afin de ne pas représenter une proie trop facile.

Cependant, plus un corps est grand, plus il a besoin d’énergie pour se maintenir en vie et pour se déplacer. La seule source d’énergie utilisable par les dinosaures est la nourriture. Chasser ou cueillir, afin de trouver de l’énergie, demande donc paradoxalement énormément d’énergie.

Cette croissance en taille est donc limitée par la capacité physique à extraire de l’énergie de l’environnement. Et, tout simplement, par la capacité de l’environnement à se régénérer pour fournir cette énergie.

Acculés dans les limites physiques du rendement énergétiques, condamnés à passer leur vie à extraire de l’énergie de leur environnement, les dinosaures étaient donc à la merci du moindre changement rendant l’énergie plus rare.

Si l’on explique souvent la disparition des dinosaures à cause d’une météorite, hypothèse très plausible, il faut préciser que le météorite en question n’a fait qu’accélérer un déclin qui était de toute façon inéluctable. Les dinosaures ne pouvaient pas survivre.

Remplacer le gigantisme par l’intelligence

L’évolution a donc suivi une autre stratégie. Le gigantisme physique étant un cul-de-sac, les espèces qui survécurent à la raréfaction des ressources développèrent une autre caractéristique : l’intelligence.

Avec l’intelligence, les individus pouvaient se défendre (éviter d’être mangé) et trouver à manger sans nécessiter des ressources gigantesques.

L’intelligence est-elle donc la solution ?

Les dinosaures ont régné sur la terre durant 160 millions d’années avant de disparaître. Après seulement 65 millions d’années, l’intelligence est sur le point de détruire la planète. Tout semble indiquer que l’intelligence serait donc encore pire que le gigantisme !

En effet, l’intelligence a permis très vite l’apparition de la collaboration afin d’optimiser la protection des individus et la recherche de ressources.

Les groupes d’individus suivirent la même logique évolutive que les dinosaures et il s’avéra que plus un groupe était gros, plus il était puissant. Les groupes n’eurent donc d’autres ambitions que de devenir de plus en plus gros. Pour les tribus, les empires, les pays, les religions et désormais les entreprises, la croissance était le seul moyen de survivre.

Tout comme les dinosaures, les groupes d’individus sont donc désormais devenus gigantesques, consommant des quantités incroyables de ressources uniquement pour se maintenir en vie.

Contrairement aux dinosaures, il n’a pas été nécessaire d’attendre une météorite : la consommation de ressources et la production de déchets sont telles que le cataclysme est généré par les groupes d’individus eux-mêmes !

Une extinction inéluctable

L’histoire des dinosaures illustre que ce système ne peut que s’écrouler violemment. Les dinosaures ne se sont pas adaptés en devenant plus petits, plus raisonnables. Ils ont tout simplement disparus, laissant la place à d’autres espèces.

Il est illusoire d’espérer une autre issue pour notre situation particulière.

Par ailleurs, contrairement aux dinosaures, ce ne sont pas les individus qui sont inadaptés mais les groupes d’individus.

Une question reste donc ouverte dont la réponse ne dépend que de nous : la disparition des groupes gigantesques d’être humains doit-elle entraîner la disparition des êtres humains ?

Notre système va-t-il laisser la place à une toute autre espèce qui colonisera une terre ravagée ? Ou bien les homo sapiens sapiens vont-ils évoluer afin de survivre ?

Quelques soient nos choix, la disparition du système peuplé de nations, de religions et de multinationales est désormais inéluctable.

Si nous ne nous en détachons pas rapidement, nous disparaitrons avec, comme des marins accrochés à la coque de leur navire en train de sombrer.

Notre seul espoir, en tant qu’espèce, est donc de nous distancier au plus vite de ce système. D’inventer un nouveau système qui n’est plus fait de groupes en compétition mais d’individus en collaboration. De ne plus chercher à grossir au détriment des autres mais de nous entraider.

Pour éviter de disparaître comme les dinosaures, nous devons devenir Homo Collaborans !

 

Photo par Jordan.

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Printeurs 40

samedi 8 octobre 2016 à 15:50
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Ceci est le billet 40 sur 41 dans la série Printeurs

Le taxi dans lequel Nellio, Eva, Max et Junior s’enfuient est soudainement balayé par une explosion terroriste.

 

Très vite, je repère les journalistes qui filment l’événement. Les terroristes font toujours très attention de ne pas les blesser afin de donner une visibilité maximale à leur action.

— Par ici ! crié-je.

Mais les terroristes semblent de plus en plus nombreux. Tous les clients sortant du centre commercial de l’autre côté de la rue sont abattus sans pitié. Des grenades sont lancées à travers les vitrines des magasins.

— C’est pas un petit attentat de misère, murmure Junior. On n’a pas intérêt à se faire remarquer.

Trop tard ! Un terroriste isolé nous a aperçut et pointe son arme vers notre petit groupe.

— Nous sommes journalistes ! crie Eva.
— Continuez ! renchérit Junior. Vous êtes en train de devenir le hashtag top trending du jour.

Le terroriste baisse son arme, indécis, mais continue à se rapprocher de nous. Il est vêtu comme n’importe quel étudiant, il est jeune et son regard ne respire aucune haine particulière.

— On est vraiment le hashtag top trending ? demande-t-il d’une voix hésitante.
— Oui, répond Eva. Faut dire que vous avez fait du beau boulot.
— Fait voir tes chaussures ? demande Junior. Génial, c’est justement la marque qui sponsorise notre émission ! Tu peux prendre une pause un peu aggressive ? Je vais te filmer avec mes implants rétiniens.

Flatté, le terroriste obtempère. Je l’entends murmurer en pointant le doigt vers le ciel :
— Tu es vengé mon frère ! Toi dont l’attentat n’avait eu aucun retentissement médiatique, c’est à toi que je dédie ce hashtag top trending !

Prudemment, nous opérons une retraite stratégique. La voix chaude et grave de Max me parvient, comme un souffle d’été :

— Reculons progressivement. Les collègues de Junior ne vont pas tarder. Abritons-nous derrière les journalistes.
— Tiens, ajoute Junior, je n’ai jamais compris pourquoi certains blogueurs étaient appelés des journalistes et d’autres des blogueurs. Y’a une raison particulière ?
— Les journalistes reçoivent de l’argent public en plus de la publicité traditionnelle, fais-je.
— Mais pour quelle raison ?
— C’est historique. C’est pour s’assurer de leur objectivité.
— Ah ? Et ça marche ?
— À ton avis ?
— À mon avis, c’est complètement stupide.
— Ça s’appelle une tradition.
— C’est ce que je dis, c’est complètement stupide. Mais sinon, je trouve ça cool de voir un attentat autrement qu’à travers un avatar. Avec mon vrai corps !
— Ça change quelque chose ?
— Rien du tout ! C’est juste cool.
— L’euphorie de l’implant… intervient Max.

À pas prudents, nous nous sommes éloignés de l’attentat de manière suffisante pour pouvoir nous mêler aux badauds qui, à distance prudente, apprécient le spectacle.

— Bon, et bien il nous reste à trouver un moyen de rejoindre le siège du conglomérat. Le tout sans utiliser le moindre ordinateur ni appareil électronique. Ça va être du gâteau. Je ne sais même pas dans quelle direction il faut aller.
— Et si on demandait ?

Je reste un instant étonné de ne pas y avoir tout simplement pensé. Le sentiment d’être traqué m’a transformé en coupable. J’ai peur de toute interaction. Selon tous les algorithmes de surveillance, mon comportement doit être éminemment suspect pour la seule et unique raison que je sais être suspect. Prenant une profonde inspiration, je m’approche d’une des passantes qui se met sur la pointe des pieds pour tenter de filmer l’attentat et, qui sait, obtenir une vidéo qui deviendrait virale.

— Excusez-moi…
— Vous avez vu ? Vous venez de là-bas, non ? C’est dangereux ? Ça vaut la peine de filmer ?
– C’est plein de journalistes mais…
– Oh, les journalistes, vous savez ce que c’est. Ils filment tout puis ne montrent que ce qui les arrange après montage. De toutes façons, les journalistes, ils sont tous complices.
– Est-ce que vous pourriez…
– Oh, je sais ce que vous allez dire. Ils ne sont pas tous pareil, il y’en a des biens. Mais à partir du moment où ils sont payés par l’état, que voulez-vous, c’est la porte ouverte au clientélisme !
– Je cherche à…
– Alors je ne cautionne pas du tout les journalistes subventionnés mais si je pouvais faire une vidéo dont ils me rachèteraient l’exclu, ça m’arrangerait, vous comprenez ? Ou alors je la revends aux sites privés. Ils paient mieux !
— Mais…
— Je sais ce que vous allez dire : pourquoi ne pas mettre moi-même la vidéo en ligne et toucher les royalties des publicités ? J’avoue m’être posé la question mais si jamais je ne fais pas le buzz, je perds tout ! C’est un fameux risque, vous ne trouvez pas ?

Impuissant face à l’intarissable torrent de paroles de mon volubile interlocuteur, je cherche machinalement de l’aide dans le regard de sa voisine qui s’est rapprochée, interpellé par cet étrange monologue. Celle-ci réagit à mon appel silencieux en brandissant une caméra montée en bague sur son poing serré.

— Quoi ? Vous préférez donc les pseudo-journalistes publicitaires aux journalistes d’état ? Les journalistes d’état, eux au moins, n’ont pas pour métier de nous abrutir avec de la publicité !
— Ah non, répond mon premier interlocuteur ? Pourtant ils utilisent également de la publicité !
— Pas tous ! Et ce n’est qu’une aide supplémentaire.
— Donc vous voulez dire que ce sont des publicitaires sponsorisés par l’état ?
— Ils ont une éthique ! Et je préfèrerais cent fois leur vendre ma vidéo même si cela signifie en toucher un prix inférieur !
— Une éthique ? Quelle vaste blague !
— Parfaitement ! Et ils ont au moins la décence de désactiver les publicités joyeuses pour les événements dramatiques, eux ! Il y a des gens qui se font tuer à quelques mètres de nous et des charognards comme vous ne cherchent qu’à les filmer pour faire vivre des publicitaires !
— Vous faites pareil, madame !
— Non, moi je cherche à fournir du matériel à des journalistes responsables afin d’informer les citoyens, c’est complètement différent !

Je recule prudemment. Max me touche l’épaule de sa main mi-écorchée, mi-métal. Personne ne semble faire attention à lui. Tout au plus lui demande-t-on s’il a été blessé dans l’attentat.

Par gestes, il me montre une automobile semi-blindée un peu à l’écart dans laquelle Eva et Junior sont en train de s’afférer. Emboitant le pas à Max, je m’y engouffre sans poser de questions.

Une rafale retentit, suivit d’un léger bruit de réacteur. À la place où je me tenais, les deux cadavres de mes interlocuteurs gisent, déchiquetés.

— Un drone de combat, ai-je le temps de murmurer.
— Oui, m’explique Max. Ils sont programmés pour détecter les comportements pré-terroristes en se basant sur les données comportementales des individus, leurs utilisations des réseaux sociaux, etc. La conversation que ces deux là viennent d’avoir a sans doute du activer une série de mots clés.
— Mais ils n’étaient pas terroristes !
— Un faux positif… La rançon de la technologie.
— Et les terroristes eux n’ont pas été arrêtés !
— Un faux négatif…

Je ne réagis même pas. Tout cela me semble normal. Je me contente de regarder l’intérieur de la voiture dans laquelle je viens de m’asseoir.

 

Photo par Elizabeth Amore Bradley.

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Repensez l’argent et expérimentez le prix libre !

mardi 4 octobre 2016 à 20:58
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Lorsqu’on entend parler des pauvres travailleurs licenciés qui perdent leur emploi, on oublie souvent de préciser que ce n’est pas l’emploi que les travailleurs souhaitent préserver : c’est le salaire qui va avec.

Mais la plupart des gens ne savent pas comment obtenir de l’argent autrement qu’avec un salaire.

Le parallèle est frappant lorsqu’on pense à la publicité sur le net : la plupart des éditeurs de contenu se plaignent des bloqueurs de publicité. Mais, au fond, ils n’ont que faire d’afficher la publicité chez leurs lecteurs, ils veulent uniquement être payés pour leur travail. Et ils ne voient pas d’autres alternatives. La publicité n’est donc qu’un intermédiaire nécessaire pour transmettre l’argent entre les producteurs et les consommateurs.

Pour certains, l’argent est la racine de tous les maux. Ils rêvent d’une société sans argent.

Mais, comme les deux exemples précédents l’illustrent, je pense que l’argent n’est pas vraiment le problème. Le réel problème c’est notre incapacité à imaginer d’autres modèles pour faire circuler l’argent que des modèles destructeurs et dans lesquels les plus pauvres sont les plus exploités.

Lors d’une rencontre à Lille, Simon, du collectif Catalyst, a utilisé une analogie que j’apprécie beaucoup : l’argent est à la société ce que le sang est au corps. Il est nécessaire, il doit pouvoir se diffuser partout. Mais le but n’est pas d’en avoir le plus possible dans un organe ou un membre, sinon on explose.

Personnellement, je promeus le prix libre : payez si vous le souhaitez, dans la mesure de vos envies et de votre capacité.

Ce système est particulièrement sain : il me pousse à me concentrer sur la qualité et non pas sur le marketing qui va vous amener à acheter mon produit, quitte à ce que vous soyez déçu par après. Il est également très équitable, permettant à tout le monde d’accéder à ce que je produis, sans restriction économique.

On pourrait croire le prix libre cantonné à la sphère internet mais je le rencontre de plus en plus fréquemment. Depuis les cours d’apnée à prix libre aux formations ouvertes avec une tirelire proposant de « contribuer en conscience ».

Pour beaucoup, le prix libre est une utopie : les gens profiteront sans payer. Mais cette manière de penser est justement ce qu’il nous faut changer. Elle provient de cette croyance que tout le monde ne cherche qu’à amasser le plus d’argent, se gonfler de sang jusqu’à éclater. C’est également cette mentalité qui est la cause de l’absurdité de notre vision de l’emploi et de la dégradation de beaucoup de services, dont seul le marketing est efficace. En effet, dans une vision traditionnelle, une fois que le client a payé, on peut se contenter de lui donner le strict minimum.

Et pourtant, la croyance en la cupidité universelle, si fermement ancrée, n’est jamais vérifiée par les faits. Pour beaucoup, y compris pour moi, le prix libre fonctionne mieux que d’autres sources de revenus pour peu qu’il soit bien expliqué et que les « clients » soient conscientisés.

Mieux ! L’équipe du développement Gratipay et le collectif Catalyst ont réalisé des expériences au cours desquelles chacun pouvait choisir son salaire en fonction de sa contribution. Il s’avère que, dans leurs expériences, les humains collaboraient naturellement et ne cherchaient pas à tirer un maximum de profit !

Tout modèle économique autre que le prix libre implique un contrôle total du produit vendu : empêcher le “client” de s’approprier le contenu, de le consulter de la manière dont il le souhaite, de le repartager. Ce contrôle est incompatible avec la vision que j’ai d’Internet et de la société d’abondance.

Je suis convaincu que nous n’aurons à termes que le choix entre une économie basée sur le prix libre ou une censure totale, un contrôle de nos comportements et de nos pensées, que ce soit pour nous faire consommer ou pour nous empêcher de “pirater”.

Il est donc temps de repenser notre rapport à l’argent. De donner l’argent aux gens qui font des choses qui nous plaisent, à des personnes plutôt que pour se procurer des produits sans âme et sans histoire. La publicité n’étant qu’un intermédiaire, elle est en train de connaître le sort qu’Internet réserve à tous les intermédiaires : l’obsolescence. Il est temps de promouvoir le prix libre en l’acceptant lors de nos contributions à la société.

Personnellement, mon blog est payant ! En sus de Flattr, qui est malheureusement en perte de vitesse, j’accepte les dons ponctuels ou réguliers sur Paypal, Liberapay et Tipeee.

Tous les 5 articles, j’activerai Tipeee. Cela signifie que si je n’écris pas, je ne reçois rien. Si j’écris beaucoup, je reçois beaucoup. À vous de décider combien valent 5 articles de ce blog et d’expérimenter concrètement le prix libre en me soutenant sur Tipeee. En mettant 2€ sur Tipeee, vous pensez que chacun de mes articles vaut, en moyenne, 40 centimes. Si vous préférez me soutenir, même symboliquement, à la semaine afin de favoriser les projets d’écriture au long cours, je vous invite à tester Liberapay.

Et si payer pour ce qu’on aime plutôt que ce qu’on nous vend était une de ces nombreuses libertés que nous avons oubliées ?

 

Photos par Pictures of Money.

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