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Le prix libre décolle-t-il ?

vendredi 5 décembre 2014 à 23:00
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Lorsque des artistes et, surtout, leurs producteurs, se plaignent du piratage, il n’est pas rare d’entendre “Innovez ! Proposez un nouveau modèle économique !”.

Et bien, j’ai une excellente nouvelle : ce nouveau modèle économique, on l’avait sous les yeux depuis des siècles. On l’utilise régulièrement dans la rue mais on n’avait tout simplement jamais pensé à l’utiliser sur Internet : le prix libre ou “tip”.

Le prix libre ? Oui, tout simplement donner de l’argent librement en forme de remerciement, de reconnaissance et non parce qu’on y est contraint. Ce que j’annonçais en rendant ce blog payant. Il ne manquait que des outils afin de rendre ce prix libre possible sur Internet. Mais, aujourd’hui, ils se multiplient. Et le prix libre décolle !

Flattr, le pionnier du prix libre

Certes, il a toujours été possible de faire des dons via Paypal. Mais, pour les petites sommes, les frais peuvent être rédhibitoires.

C’est pour cette raison que Flattr a vu le jour, proposant un modèle particulièrement innovant. Si vous me lisez régulièrement, vous savez que je suis un grand fan de Flattr. Mais, aujourd’hui, force est de constater que la sauce n’a pas réellement pris et seuls une minorité du public flatt une minorité de créateurs.

La raison ? Pour le public, donner un flattr n’est pas une chose aisée. Moi qui lit beaucoup via Pocket sur ma liseuse, je dois me souvenir d’aller sur le site de l’auteur pour voir s’il n’y a pas de bouton Flattr. Le fait de flatter n’apporte d’ailleurs que peu de satisfaction. Enfin, très peu d’artistes sont sur Flattr. Le site ne concerne donc que l’intersection des fans et des créateurs dont les deux utilisent Flattr.

La seconde génération

Face au problème de Flattr, des solutions ont vu le jour visant à se concentrer sur les artistes qui cherchaient activement à recevoir un prix libre et sur leur micro-communauté. Citons Patreon et son pendant francophone, Tipeee.

Contrairement à Flattr, Patreon et Tipeee sont conçus pour fonctionner avec une audience restreinte. Ils permettent à quelques artistes de se concentrer sur leur micro-communauté. Même en petit comité, l’utilisation de ces plateformes est donc beaucoup moins frustrante que Flattr.

Les deux sites offrent d’ailleurs aux fans la satisfaction de faire partie d’une communauté restreinte, de pouvoir bénéficier d’avantages, d’informations supplémentaires. Par contre, encore une fois, les artistes utilisant ces plateformes ne sont pas légion.

La nouvelle vague

Mais le prix libre gagne du terrain. De plus en plus d’artistes commencent à percevoir l’inhérente schizophrénie que leur impose les producteurs : “Diffuse ton contenu mais limite sa diffusion !”. L’humoriste Dan Gagnon a, par exemple, décidé lui-même de mettre le torrent de son DVD sur T411, le jour même où T411 était attaqué en justice ! Dan Gagnon justifie d’ailleurs son geste de manière très intelligente sur un très beau message Facebook.

En parallèle à cette prise de conscience, une nouvelle vague d’outils permettant de pratiquer le prix libre est en train de faire son apparition.

Carrot, pour récompenser aussi les diffuseurs

Le jeune et expérimental Carrot permet, par exemple, de donner une somme de son choix à n’importe quelle page web via un bookmarklet. Jusque là, c’est assez classique. Petite astuce : le service Carrot va chercher activement l’auteur d’une page web et le contacter à chaque fois individuellement pour lui remettre l’argent.

Mais là où Carrot se démarque c’est dans le fait que Carrot encourage les “découvreurs”. Lorsque vous donnez de l’argent à une page web, une partie de la somme est reversée à tous ceux qui ont donné à la même page avant vous. La logique étant que s’ils ont donné avant vous, ils ont certainement aidé à la diffusion de la page afin qu’elle parvienne jusqu’à vous.

Vous pouvez faire l’essai (2€ vous sont offerts à la création du compte). Donnez une carotte à une page, au hasard celle-ci (mais vraiment au hasard!), et tentez ensuite de convaincre vos amis de faire de même. J’ai par exemple donné 0,20€ à Korben pour « L’éveil ». J’ai été le premier à donner parmi 5 donateurs et j’ai donc gagné 0,64€! Une véritable pyramide de Ponzi mais vertueuse et dont les bénéfices vont à l’auteur de la page (Korben ayant lui gagné 1,22€ au total).

Les auteurs de Carrot eux-mêmes reconnaissent qu’ils n’ont aucune idée de la validité de ce modèle. Il s’agit d’une véritable expérience.

ChangeTip, l’arme fatale

Mais la solution ultime, celle qui commence à prendre le plus d’ampleur, est sans conteste ChangeTip. Si vous ne devez en essayer qu’un, c’est celui-ci.

Né du croisement entre Bitcoin et Reddit, ChangeTip représente la culture web dans toute sa splendeur. Le principe est très simple : vous envoyez un tweet au destinataire avec le montant que vous voulez payer tout en mentionnant @changetip.

Là où ça devient fun c’est qu’au lieu de donner un montant, vous pouvez offrir ce que vous voulez : une bière, un livre, un café, une standing ovation… Une liste standard des dons possibles, en anglais, existe mais vous pouvez déterminer vos propres mots-clés.

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Outre Twitter, ChangeTip fonctionne également sur G+, Tumblr, Youtube, Reddit et, pour les codeurs, GitHub. Le support via Facebook devrait bientôt être possible.

Le tout est, bien entendu, en bitcoins. Ce qui rend ChangeTip à la fois simple, une fois la prise en main initiale effectuée, mais complètement geek et ultra fun. Si on peut faire un don privé, via la page tip.me de l’auteur, le grand intérêt de ChangeTip réside dans ce côté public et décalé.

Le futur du prix libre

Au fond, la question n’est donc pas si le prix libre va marcher. La question est quand allez-vous payer via un prix libre ? Et sous quelle forme ? Quand allez-vous produire du contenu disponible sous prix libre ? Quelles seront les plateformes de prix libre les plus utilisées ?

Dans le monde anglophone, ChangeTip semble avoir pris la tête. D’ailleurs, les investisseurs semblent confirmer cette hypothèse. Le futur nous réserve d’ailleurs encore bien des surprise. Un géant comme Google semble avoir compris le paradoxe auquel il est confronté avec la publicité et a récemment annoncé Google Contributor, une manière de payer librement un prix fixe par mois divisé entre les sites que vous visitez. Bref, Google réinvente Flattr, la boucle est bouclée ! Le prix libre, qui vous semblait complètement utopique hier, va devenir absolument normal et évident, sans que vous n’ayez pris conscience de ce changement.

Mais, trêve de bavardage, je vous laisse tester toutes les solutions et vous faire votre propre avis.

Bon tip !

 

Photo trouvée sur Pexels.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Le vampire de Paris

dimanche 30 novembre 2014 à 23:26
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Bonjour Inspecteur. Je vous remercie de me recevoir à une heure aussi tardive. Les bureaux m’ont semblé bien déserts ce soir. Comment ? Un courrier par porteur dénonçant la présence du fameux Vampire de Paris dans ce quartier ? Croyez-moi Inspecteur, j’ai toutes les raisons d’affirmer qu’il s’agit là d’un mauvais plaisantin. Je pense qu’il était inutile d’y envoyer la majorité de vos hommes. Tourner la police en dérision est devenu un véritable sport auprès d’une certaine frange aisée de la jeunesse. Que voulez-vous, tout se perd… Et puis ce fameux Vampire de Paris n’est qu’une des innombrables affaires ébranlant les esprits parisiens. J’en ai entendu parmi les plus rationnels se perdre en conjectures fantasmagoriques, allant jusqu’à accuser le gouvernement de complot ! D’ailleurs, avez-vous lu le journal l’Aurore ce matin ? Que pensez-vous de l’esclandre qu’y fait Monsieur Zola à propos de cette autre affaire très médiatisée ?

Mais je m’égare, la politique ne nous intéresse pas ! Comme vous pouvez le constater, je vous ai ramené la petite valise que vous m’avez si aimablement prêtée. Un bien bel objet, j’admire la qualité et la souplesse du cuir. Et ce symbole doré ? Votre monogramme ! J’aurais dû m’en douter, certainement.

Venons-en au but de ma visite ! J’ai le plaisir de vous annoncer que la sombre histoire du Vampire de Paris qui défraie la capitale va être résolue ce soir. La valise contient les preuves qui corroboreront mes dires. Quant à l’assassin, ce fameux croque-mitaine coupable entre autres du meurtre de ma cousine et de ma nièce, monstre sanguinaire que toutes les polices recherchent, il est assis en ce moment-même à ce bureau. Non Inspecteur, nul besoin de bondir pour saisir votre arme ! Je serais au regret de faire feu. Cette affaire peut se régler entre gentilshommes. D’ailleurs, je vous dois bien une explication.

Voyez-vous, j’ai toujours été obnubilé par le crime parfait. De nombreux auteurs de romans se sont déjà penchés sur la question, c’est un thème bien peu original. Et pourtant, l’idée ne cessait de me tourmenter : comment réaliser un crime en toute impunité ?

Un crime parfait doit obéir à plusieurs règles. Que l’assassin réel ne soit pas inquiété et que nul ne puisse mettre en doute son innocence une fois l’affaire jugée me semble relever du truisme que ne renierait point Monsieur de La Palice. Dans la plupart des cas, un crime parfait implique donc un coupable, coupable qui ne doit pas être en mesure de clamer son innocence.

Afin de garantir une retraite paisible au meurtrier, il est hors de question d’avoir des complices ou d’acheter de faux témoignages. Ce type de comportement, auxquels cèdent beaucoup de criminels à la petite semaine, finit tôt ou tard par remonter à la surface. Il est indispensable d’agir en solitaire. Vous me direz que le crime idéal est donc d’abattre un parfait inconnu croisé par hasard dans une ruelle déserte. Effectivement. Mais si cela serait un meurtre, ce ne serait point un crime, le mobile faisant cruellement défaut. Je n’y vois donc aucune satisfaction possible. Non, croyez-moi, un crime parfait doit être un crime utile, un crime dont l’assassin profite directement.

Les bases de mon forfait étant posées, je me mis en quête d’une victime. Idéalement une personne dont je pourrais souhaiter la mort et dont je serais le principal suspect en cas de disparition. Car j’ai poussé le vice du perfectionnisme assez loin. Je souhaitais être le coupable idéal du meurtre que j’allais commettre, je désirais qu’un observateur froid et purement logique mis devant les faits accomplis ne puisse avoir le moindre doute quant à ma culpabilité. Malgré cela, nul n’imaginerait une seconde la terrible vérité. Au contraire, on me plaindrait. Force est de reconnaître que sur ce point précis, j’ai excellé et n’en suis pas peu fier.

C’est au cours de l’automne dernier que toutes les pièces se sont peu à peu mises en place. Mon oncle, richissime industriel, venait de perdre en moins d’un an son épouse adorée, la sœur de ma défunte mère, ainsi que son fils unique. Le pauvre homme, accablé par le chagrin, ne s’en remit jamais et fût emporté par une pneumonie un peu avant l’hiver. Son héritage imposant échu donc à sa belle fille, ma cousine par alliance, mère d’une souriante petite Bérénice alors dans sa quatrième année. Le pétillement des yeux de l’enfant était un véritable régal. Je leur rendais souvent visite et, en un sens, prenais peu à peu dans le cœur de l’enfant la place d’un père trop tôt disparu. Mais je vous interromps de suite, ce ne fût guère le cas dans le cœur de la mère et nos relations restèrent courtoises.

Je suis un petit écrivaillon de feuilletons et la vie n’est pas toujours facile. C’est en constatant avec effroi que mes finances ne me permettraient pas de survivre jusqu’à la fin du mois suivant sans un prêt substantiel de ma cousine, chose que je m’étais toujours refusé à faire, que je pris ma décision. J’étais en effet le seul légataire de ma cousine si l’on excepte la petite Bérénice. Que les deux viennent à disparaître et j’hériterais alors d’une fortune colossale qui me mettrait à l’abri du besoin jusqu’à la fin de mes jours.

Non, tuer ma cousine et sa fille ne me plaisait pas particulièrement. Il n’y a aucun sadisme dans ma démarche, Monsieur l’Inspecteur. Au contraire ! Ce ne fut pas de gaieté de cœur que je me lançai dans l’entreprise. Mais une telle occasion ne se représenterait pas. Deux victimes idéales qui m’étaient proches, un meurtre qui me rapporterait beaucoup d’argent et pour lequel je ne pouvais manquer d’être suspecté : le crime parfait se présentait à moi sur un plateau d’argent.

Vous devez me trouver particulièrement inhumain. Sachez que j’ai mes raisons. J’ajouterais que, avant la mort de son époux, ma cousine me considéra toujours avec un dédain à la limite de la grossièreté. J’étais l’artiste minable que l’on regarde avec mépris. Jamais je ne fus invité chez eux et, avant l’enterrement de son père, je ne vis Bérénice qu’une seule fois, le jour de son baptême. Après la mort de mon cousin, qui m’était resté fidèle et avait continué à me rendre visite en cachette de son épouse, je décidai, par bonté d’âme, de faire table rase du passé. Mais il est de ces blessures qu’un homme ne peut oublier. Le sentiment que j’éprouvais pour ma cousine n’était donc en résultante ni haine, ni amour. Tout simplement de l’indifférence. J’appréciais lui rendre visite pour le plaisir d’avoir de la compagnie et de me sentir appartenir à une famille, chose qui m’a cruellement manqué tout au long de ma vie.

Quoiqu’il en soit, je redoublai d’attention à l’égard des deux femmes, particulièrement en public. Les témoins seraient nombreux à me défendre contre une éventuelle calomnie. Et cela a été le cas, vous le savez aussi bien que moi. Afin de ne pas donner au seul mobile pécuniaire une tribune trop visible, je dépensai les derniers sous qui me restaient en un train de vie important, parlant parfois mystérieusement de la commande d’un grand journal. Comment un homme aussi aimant et aisé pourrait-il tuer pour de l’argent ?

Il me fallait à présent réfléchir au passage à l’acte, le meurtre lui-même. J’ai tout d’abord pensé à simuler un meurtrier en série. Vous savez, ce genre de criminels qui tuent sans discernement selon un mode opératoire bien particulier. Il me suffisait de commettre un ou deux crimes avant celui de ma cousine, un ou deux après, le camouflage idéal. Je pouvais même me spécialiser dans les mères seules avec un enfant.

J’ai très vite renoncé à cette idée à cause du risque. Chaque crime comporte son lot d’imprévus et, plus j’en commettrais, plus j’avais de chance de laisser derrière moi un indice compromettant ou un témoin impromptu. J’ai ouï dire qu’avec les techniques de Monsieur Bertillon, il suffit parfois d’un cheveu ou d’une simple empreinte de pouce pour confondre un suspect.

Je me concentrai alors sur les points faibles des assassinats élucidés ces dernières années. Nombre de criminels avaient préparé un plan minutieux, parfait jusque dans les moindres détails. Mais à chaque fois, un subtil grain de sable, un témoin passant par hasard dans une rue déserte, un train en retard sur l’horaire, venait enrayer la mécanique. Il fallait donc que mon plan soit insensible à ce genre de choses. Ma machination devait se suffire à elle-même et ne pas dépendre de facteurs extérieurs tout en me ménageant une porte de sortie. Et pour éviter le problème d’un témoin inopportun, je choisis l’option inverse : si vous ne voulez pas être vu, montrez-vous ! J’ourdis donc un plan qui avait ceci de particulier que plus il y aurait de témoins, mieux il se porterait.

Il me fallu plusieurs semaines pour obtenir tous les renseignements dont j’avais besoin d’une manière discrète et insoupçonnable. Je lis beaucoup et un roman de Paul Féval m’inspira un personnage de vampire. Mais c’est certainement la popularité grandissante de cet autre auteur, un Irlandais dont le nom m’échappe, qui ôta mes dernières hésitations. Qui n’a, de nos jours, entendu parler du célèbre roman Dracula ? Le mythe est dans tous les esprits et cela servait à merveille mes desseins.

Mes dernières économies furent investies dans une pompe et quelques matériels chirurgicaux. Le plus difficile fût sans conteste d’obtenir l’identité d’un obscur pigiste qui proposait occasionnellement des dépêches à l’agence Havas. Même si l’agence a pour mission principale de fournir aux journaux parisiens des nouvelles en provenance de l’étranger, il n’est pas rare qu’une nouvelle locale s’y glisse. Cette nouvelle est alors proposée aux périodiques comme toute autre nouvelle. Le journal qui publie l’information n’a aucune connaissance du rédacteur initial. D’ailleurs, bien des articles sont retravaillés pour gagner en épaisseur et en intérêt.

Usurpant le nom de ce journaliste occasionnel, je fis parvenir à l’agence Havas un courrier signalant le meurtre étrange que venait de connaître Paris. Le corps exsangue d’une jeune femme avait été retrouvé nu sur son lit. Seule deux petites blessures sur la jugulaire avait été constatées. Pas la moindre goutte de sang ne tâchait les draps immaculés. D’après certains riverains, un individu très grand et bien habillé avait été aperçu sortant de l’immeuble mais aucune trace d’effraction ne fut constatée et la porte de l’appartement, fermée de l’intérieur, avait nécessité trois vigoureux policiers pour être forcée. L’inspecteur Bondoint, en charge de l’enquête, se refusait à tout commentaire pour le moment.

C’est donc à cet instant que je vous ai mêlé à l’affaire, Inspecteur. Vous m’excuserez de cette attitude fort cavalière mais il me fallait apporter du crédit à cette affabulation.
Comme je l’avais prévu, la nouvelle fut reprise en entrefilet dans certains quotidiens, sans grands émois. Mais la ferveur populaire ne comptait pas s’arrêter là. Quelques mois plus tôt, plusieurs témoins avaient observé une chauve-souris monstrueuse. L’animal, de plusieurs toises d’envergure, aurait été aperçu flottant au-dessus du sol dans un champ de Versailles. Un journaliste, faisant le rapprochement entre les deux évènements, trouva particulièrement approprié d’en faire une ample publicité et publia une série d’article sur le sujet des vampires et goules qui, comme chacun le sait, hantent nos cités. On devait apprendre par la suite qu’il s’agissait d’articles commandités par l’éditeur de la version française de Dracula à des fins purement publicitaires. Le dernier de ces articles était justement consacrée à mon crime factice. Vos dénégations successives de l’existence d’une telle affaire parurent vite suspicieuses et le journaliste insinuait, en mots à peine voilés, que la magistrature avait reçu l’ordre de ne pas inquiéter la population afin d’éviter toute panique. Ils concluait par la phrase désormais célèbre et qui donna son nom à l’affaire : « Un vampire hante-t-il Paris ? »

Bien entendu, je ne suis aucunement lié à ces observations de chauve-souris disproportionnées bien qu’elles aient servi admirablement mes desseins. Mon esprit fortement ancré dans le rationnel me fait dire que ce monstre-là et la présence à Paris du prolifique ingénieur Ader ne sont pas une coïncidence fortuite. J’ajouterais que les rumeurs prêtent à Monsieur Ader certains contacts avec les militaires, militaires disposant justement de champs de manœuvre à proximité de Versailles !

L’explication est simple, rationnelle et séduisante. Mais nous savons que le peuple de Paris n’est pas Guillaume d’Ockham et la frénésie l’emporte bien souvent sur la raison, le thaumaturge sur le savant. Il n’y a là rien de bien nouveau sur la nature humaine et je ne suis pas le premier à en avoir tiré profit même si, je dois bien le reconnaître, j’en suis désormais plus redevable à la fortune qu’à mon talent.

J’avais prévu d’obtenir le nom d’une femme disparue la nuit du meurtre fictif et d’envoyer une seconde dépêche avec plus de détails dont l’identification précise de l’infortunée. Grâce aux essais secrets de Monsieur Ader, je n’eus même pas à prendre ce risque. Paris s’en chargeait à ma place. En ce qui concernait le meurtre, les témoignages se firent de plus en plus nombreux et précis. Tous corroborait la thèse d’un homme incroyablement grand, habillé de noir et d’une élégance rare, se déplaçant sans bruit sur les pavés. Les plus observateurs l’avaient même vu prendre son envol, la cape formant une aile géante, ce qui était une aubaine pour notre journaliste !

Vous comprenez qu’avec un tel remue-ménage, il était désormais devenu impossible de croire en une mystification. Quand bien même un esprit avisé s’en serait rendu compte, il aurait été particulièrement malaisé de remonter au discret article originel et, de là, à l’agence Havas puis au journaliste dont j’avais usurpé brièvement l’identité. Si malgré tout un fin limier remontait cette piste, elle se terminait en impasse.

Avouez Inspecteur que ma fierté est toute légitime. Comment ? Tout n’aurait pas pu se passer si bien ? Effectivement Inspecteur, vous mettez le doigt sur un point crucial : ce plan merveilleux aurait pu tomber à l’eau et reposait uniquement sur la coopération inconsciente de la corporation journalistique. C’est tout à fait vrai. Mais comme je vous le répète, j’ai eu de la chance, beaucoup de chance.

Mais celle-ci n’était en aucun cas indispensable. Avais-je commis le moindre crime ? Ma cousine était toujours en vie et tout au plus pouvait-on m’accuser d’envoi de fausse dépêche. Autant dire que je ne courrais aucun risque ! C’est bien pour cette raison que je considérais ce plan comme particulièrement insensible aux impromptus.

Trêve de digressions digne d’un hâbleur des beaux quartiers. Je m’encense, je me vante et pendant ce temps, vous languissez, je le vois à vos mimiques nerveuses !

Vu le succès populaire de mon vampire de Paris, je décidai de passer à l’action. Je dois avouer que j’étais nerveux, mes mains tremblaient. J’avais choisi de commettre mon forfait le samedi soir afin de maximiser, grâce aux noceurs et aux ivrognes de fin de semaine, le nombre d’observateurs potentiels. Contrairement à beaucoup de criminels, je recherchais activement la présence de témoins. Le samedi était également le jour de congé des domestiques de ma cousine.

J’ai donc revêtu un costume entièrement noir et chaussé des bottes à talons. Agrémentant le tout d’un haut de forme sur mes cheveux plaqués à la brillantine, j’espérais donner dans la pénombre une impression altière de prestance et de gigantisme. Je chargeai sur mes épaules un énorme sac qui, de loin, pouvait se confondre avec le flottement d’une cape.

Ma cousine s’étonna de ma visite tardive et de ma tenue excentrique mais me reçut néanmoins courtoisement. La petite Bérénice dormait déjà. Je donnai un prétexte quelconque à ma présence et nous devisâmes pendant une bonne heure. Puis, avec un calme qui m’étonne encore aujourd’hui, je sortis un flacon de chloroforme de mon sac et endormis prestement mon hôte. Afin de parer à toute éventualité, je chloroformai également la paisible Bérénice dans son sommeil. Aucune des deux n’a souffert le moins du monde, je tiens à le préciser.

Je dépliai sur le sol une grande bâche huilée et y étendis les deux corps dénudés. Je tenais à faire les choses le plus proprement possible. Étonnamment, le corps splendide de ma cousine n’éveilla en moi aucune pulsion charnelle. Je l’avais craint mais, entièrement concentré sur sa tâche, mon esprit n’était guère à la bagatelle.

Je piquai dans la jugulaire une aiguille chirurgicale et, grâce à la pompe, aspirai le sang des deux femmes, sang que je viderais ensuite dans un collecteur d’eaux usées. La tâche paraît incroyable mais, ensemble, les deux corps ne comportaient même pas une dizaine de pintes de fluide et j’avais prévu des récipients hermétiques en suffisance.

Je pris garde à piquer l’aiguille en deux endroits de la gorge, afin de donner une illusion de morsure. J’allongeai ensuite ma cousine exsangue sur son lit. Je rangeai soigneusement ses vêtements dans l’armoire et contemplai d’un œil expert le tableau. Grâce à la bâche, pas la moindre goutte de sang, pas le moindre tissu froissé n’était visible. Ma parente reposait simplement nue et exsangue sur un lit non défait.

Afin de ne pas gâcher le chef d’œuvre et de donner à la scène un cachet fantastiquement similaire au crime précédent, je me résolus à emporter avec moi le corps de Bérénice. Le sac se révéla suffisamment grand pour tout contenir. Je sortis en fermant la porte le plus simplement du monde, ma cousine m’ayant fait don, quelques semaines auparavant, de la clé de son défunt mari.

Vêtu comme je l’étais, la démarche rendue hésitante par mon fardeau, les contours flous à cause de l’obscurité, je suis persuadé que ma silhouette dû paraître surnaturelle à bien des témoins lorsque je sortis dans la rue. Claudiquant, je me rendis dans une ruelle déserte où j’abandonnai le sac dans la cave d’une maison inhabitée que j’avais remarquée lors de mes reconnaissances.

Enfin, revêtu des mes habits habituels, je rentrai paisiblement chez moi et dormis d’un sommeil sans rêve.

La suite, vous la connaissez. Une domestique trouva le lendemain le corps de sa maîtresse et appela immédiatement la police. En temps qu’unique parent, je fus convoqué et vous m’apprîtes personnellement la terrible nouvelle. Fou de tristesse et de rage, je vous proposai mon aide. Bien entendu, je fus soupçonné et ne pus fournir le moindre alibi : j’avais passé la soirée enfermé chez moi à écrire. Bon nombre de criminels tentent de se forger des alibis invraisemblables, alibis que les limiers tentent ensuite de démonter. Mais quoi de plus simple, de plus innocent qu’un honnête citoyen ayant passé la soirée chez lui ? Comment soupçonner de manigance un homme attristé qui n’a pas le moindre preuve de son emploi du temps ? Si jamais on vous avait accusé d’être l’auteur du crime, monsieur l’Inspecteur, auriez-vous pu fournir le moindre alibi ? Bien sûr que non, un honnête homme n’a jamais d’alibi !

Les journalistes se firent rapidement écho de cette terrible affaire et furent prompts à établir le lien avec le crime précédent. Le Vampire de Paris avait encore frappé ! Vous-même, Inspecteur, en vîntes à douter de la non-existence du premier meurtre. Vous vous crûtes victime d’une crise d’amnésie et vous vous inquiétâtes de votre santé mentale.

De mon côté, je déclarai publiquement que je mettrais tout en œuvre pour retrouver ce fameux vampire et que je le tuerais d’une balle d’argent en plein cœur, seul moyen de se débarrasser des ces créatures du démon. J’exhibai plusieurs fois devant les journalistes un pistolet armé de la fameuse balle, arme achetée avec mes ultimes deniers et que je garde à présent toujours sur moi.

Certes, un regard froid et scientifique me taxerait sans aucun doute d’exagération mélo-dramatique ! Mais, passionnée, Paris retenait son souffle en attendant l’issue du combat entre le justicier à la balle d’argent et le monstre, entre le Bien et le Mal.

J’étais devenu un héros, Inspecteur, et nous sympathisâmes. Suite à ma demande, vous m’obligeâtes en me prêtant votre valise personnelle contenant, entre autres, une copie des procès verbaux et des coupures de presse liés à cette affaire. Afin de pouvoir vous rencontrer seul à seul ce soir, je prétendis avoir des révélations urgentes à vous faire, vous annonçant que l’affaire du Vampire de Paris serait vraisemblablement résolue très vite. Pour éviter toute oreille indiscrète et écarter vos collègues de garde, j’ai fait parvenir ce courrier anonyme que vous connaissez bien. Oui, en effet, il était de ma plume.

Je vous avais dit que le Vampire de Paris était assis en ce moment même à ce bureau. C’est également ici que va s’achever sa courte carrière, frappé d’une balle d’argent en plein cœur alors qu’il tentait d’égorger un jeune homme éploré qui, par sa ténacité et sa perspicacité, avait fini par découvrir l’infâme vérité. Sentant que j’étais sur le point de vous démasquer, vous m’avez convoqué ici ce soir non sans avoir auparavant vidé les lieux en prétextant un courrier anonyme que vous êtes le seul à avoir vu.

Une fois que nous avons été seuls, j’ai été horrifié de voir votre visage se transformer, vos dents s’allonger de manière terrifiante ! Alors que vous vous apprêtiez à me déchiqueter, j’ai fait preuve d’un réflexe admirable et vous ai logé en plein cœur la fameuse balle d’argent grâce au pistolet qui vous tient en joue en ce moment-même.

Mort sur le coup, votre visage a aussitôt repris une apparence humaine. Je laisserai les médecins se charger d’expliquer cet étrange phénomène.

Adieu Inspecteur, je n’ai aucune rancœur particulière à votre égard, je suis profondément désolé de ce qui va vous arriver. Si cela peut vous consoler, je ne tiens pas à ce que vous souffriez.

Comment ? Non, rassurez-vous, nul ne mettra en doute ma version des faits. Pensez bien, vous fûtes le principal suspect dès le jour où vous déniâtes l’existence du premier meurtre. Il se trouvera force témoins pour parler de vos habitudes malsaines, de votre regard étrange, de votre supposée aversion du soleil. Les Parisiens sont tellement imaginatifs que c’en est amusant ! Mais ils oublient également très vite. Je crois d’ailleurs qu’on parlera bien plus longtemps de la lettre au président de la république de Monsieur Zola. L’affaire du Vampire de Paris retombera bientôt dans les limbes.

N’ayez crainte inspecteur, personne n’aura jamais le moindre soupçon !

Encore moins lorsqu’on découvrira, dans votre armoire personnelle, une valise à vos initiales contenant le cadavre exsangue de la délicieuse Bérénice, la dernière malheureuse victime du Vampire de Paris.

 

Zapopan, 11 mai 2007. Illustration par Clapagaré.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Bienvenue dans ma thébaïde

samedi 29 novembre 2014 à 23:38
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Peut-être avez-vous, comme moi, déjà éprouvé l’envie de vous retirer sur une île déserte. Ou bien dans les dunes du désert. Loin de tout, seul avec vos pensées et une pile de bouquins.

Le rêve semble inaccessible et, pourtant, j’ai découvert qu’il était à portée de main. En fait, il suffit d’un peu d’effort et de volonté pour construire une île déserte où se retirer régulièrement.

Les réseaux sociaux

La première résolution que j’ai pris est de cacher, sur les réseaux sociaux, le flux de toutes les personnes avec qui je n’ai pas des contacts réguliers. Facebook et Twitter permettent de se désabonner de vos contacts, tout en restant amis. En fait, je ne garde dans mon flux que les personnes de qui j’ai envie d’avoir activement des nouvelles, les amis pour lesquels cela me fait plaisir d’avoir des photos de vacances ou des informations du quotidien. Ceux dont je connais la vraie et véritable vie et pour lesquels je suis conscient que Facebook n’est qu’une facade.

Je cache absolument tous les autres. Après tout, s’ils postent des choses extraordinaires, comme des photos de vacances dans les Bermudes, cela va générer chez moi de la jalousie, un sentiment négatif d’avoir raté ma vie car, moi, je ne pars pas dans les Bermudes. Si, au contraire, ils postent des choses négatives, cela me déprime et m’entraîne dans une boucle d’auto-satisfaction bien peu constructive.

Les nouvelles

Je le dis et je le répète, je trouve que le journalisme est actuellement une force extrêmement négative, financée à la fois par la publicité et par les subsides dans le seul et unique but de “faire de l’audience et du sensationnel”. Je m’interdis strictement toute visite de sites généralistes.

Afin de rester informé dans les domaines qui me sont particulièrement chers, je ne garde que quelques flux RSS sélectionnés. Si un flux se révèle trop abondant, je le supprime et je pars à la recherche d’un flux mieux résumé et ne reprenant que l’essentiel. Un flux peu abondant laisse également plus de place à mes blogueurs favoris !

Les débats

Point particulièrement difficile pour moi, je tente à présent de ne plus participer aux débats. Si je cède régulièrement, je me rends compte à quel point les débats peuvent être toxiques et émotionnellement énergivores. Ma première étape dans cette direction a été de supprimer les commentaires de mon blog, ce que je n’ai jamais regretté.

Le fait de prendre du recul m’a permis de beaucoup mieux comprendre les mécanismes en œuvre. Dans l’immense majorité des cas, le débat se résume en fait à des attaques en règle depuis des positions non-discutables car purement idéologique.

Pour confronter ma vision et évoluer, je préfère dorénavant lire de véritables livres ou des articles fouillés avec lesquels je ne suis pas d’accord. J’essaie d’identifier les points de divergences, les désaccords et, le cas échéant, je fais évoluer ma vision.

La pub

La publicité est une abomination, que ce soit pour votre portefeuille ou pour votre cerveau. Je vous ai déjà dit que je bloquais les publicités sur le web et que je n’avais pas la télévision.

Mais la presse actuelle est, plus que régulièrement, un relais essentiel de la pub : on vous parle de telle enseigne qui va ouvrir une série de magasins, de tel film qui va bientôt sortir, de telle star qui a provoqué une émeute, de telle actrice qui est devenue l’égérie d’une marque connue.

Cette pub est abondamment relayée sur les médias sociaux, que ce soit sous forme de liens sponsorisés ou par vos contacts eux-mêmes ! Additionnez tous les points ci-dessus et vous remarquerez à quel point ma forteresse se protège de la publicité.

Les premiers effets

Le premier effet de ce retrait sur mon île déserte est un incroyable gain de temps. L’envie de consulter les médias sociaux est beaucoup moins forte et m’ennuie après une minute ou deux. Je ne perds plus de temps sur les sites de news : je me contente de mettre dans Pocket ce qui a l’air intéressant dans mon flux RSS. Le temps ainsi gagné est consacré… à lire mes articles Pocket ou à réfléchir, tout simplement. N’est-ce pas le but de mon île déserte ?

Le second effet particulièrement visible est la prise de recul. Je me retrouve à ignorer de nombreuses choses qui me semblaient fondamentales. Et je remarque que, loin de s’en porter plus mal, mon moral s’améliore. Mes analyses sont beaucoup moins dictées par les émotions. Je découvre avec effroi à quel point des domaines comme la politique sont déconnectés de la réalité. À force de s’intéresser au moindre micro-événement, de protester idéologiquement contre la moindre mesure, on en oublie de mesurer réellement l’effet, d’essayer d’étudier sans a priori les impacts, d’être rationnels.

Mais au fond, tout est lié. Les politiciens utilisent les médias pour obtenir de la visibilité, pour générer de l’intérêt et des réactions épidermiques. En échange, ils financent les mêmes médias et fournissent de la matière première croustillante. Ce n’est pas un hasard si les journalistes à succès finissent par faire de la politique. C’est une forme de promotion, c’est l’échelon logique suivant dans le même univers.

Il faut s’intéresser à la politique mais ce que nous voyons dans les médias n’est plus de la politique. La manière de dépenser votre argent est un acte infiniment plus politique que tous les articles que vous pourriez lire, toutes les positions que vous pourriez prendre et toutes les manifestations auxquelles vous pourriez participer. Vous voulez changer le monde ? Et bien commencez par vous-même plutôt que de dire aux autres ce qu’ils doivent faire ! Vous exigez de la collectivité quelques euros supplémentaires par mois mais vous fumez un paquet de cigarettes par jour ?

Des changements plus profonds

Mais au delà de ces simples effets, je constate une évolution bien plus subtile de ma personnalité.

Lorsque je suis face à d’autres personnes, je suis beaucoup plus attentif, beaucoup plus présent. Je ne sors pratiquement plus mon smartphone car il est nettement moins intéressant que mon interlocuteur. J’écoute avec beaucoup plus d’attention. Paradoxalement, être sur une île déserte renforce mes liens sociaux ! Et si une nouvelle importante n’est pas parvenue jusque dans mon ermitage, elle finira bien par m’atteindre justement via une rencontre ou une discussion. À ce moment-là, plutôt que de vivre l’événement dans l’instant présent, je pourrais dégoter une analyse plus fouillée ou une opinion construite a postiori résumant tout ce qui s’est passé.

Ma consommation s’en ressent énormément. Je ne suis plus tenté de manière irrationnelle, je ne fais plus d’achats compulsifs. À la place, je fais des listes de besoins, d’envie et j’étudie les solutions possibles, je pèse le pour et le contre. La possession matérielle devient un fardeau plutôt qu’une envie. Chaque visite au supermarché devient une agression sensorielle me donnant l’envie de fuir au plus vite.

Culturellement, je ne suis plus non plus attiré par le dernier film au cinéma ou par telle musique à la mode. Je redécouvre les classiques anciens, je laisse les critiques et le temps faire le tri entre ce qui vaut la peine et ce qui est périssable. L’effet secondaire amusant est que lorsque je passe devant un kiosque à journaux, je ne connais pas une seule des personnes faisant la couverture.

Les rechutes

Parfois, je craque. Je me fais une overdose de réseaux sociaux, je vais lire toutes les nouvelles, je regarde un blockbuster. Mais ces rechutes sont de plus en plus courtes et de plus en plus espacées.

C’est un peu comme lorsque, à trente ans, on retourne pour la première fois depuis dix ans au MacDo que l’on fréquentait régulièrement durant notre adolescence. On y entre en se remémorant le plaisir obscène de la malbouffe, on se dit qu’on va se faire plaisir. Et, arrivé à la moitié du hamburger, on est écœuré, dégouté par l’insipidité et la fadeur de cet ersatz de nourriture. On se dit “Mais comment j’ai pu aimer cette m… ?”.

Et bien, pour les nouvelles, les sites généralistes, les réseaux sociaux, les films du moment, l’effet est identique.

Mais si cette île déserte n’a que des avantages, pourquoi ne pas y rester ? Pourquoi ne faire cette retraite, ce régime, cette purge qu’occasionnellement ? Pourquoi ne poser que temporairement ce qui est un acte politique militant ?

N’ayant pas de réponse, j’ai décidé de prolonger mon séjour en vous y invitant cordialement. Soyez donc les bienvenus dans ma thébaïde !

 

Photo par David Marcu.

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Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

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Qui est John Galt ?

samedi 8 novembre 2014 à 12:47
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Une critique et une analyse de La grève, roman de Ayn Rand paru en 1957 et également de la journée de manifestation en Belgique de ce jeudi 6 novembre 2014.

 

Une histoire indigeste

Il y a parfois des signes qui ne trompent pas. Alors que la Belgique se remet d’une journée nationale de grève, je viens, par le plus grand des hasards, de terminer “La grève”, roman considéré comme mythique de la philosophe américaine Ayn Rand.

Autant vous le dire tout de suite, achever cette brique indigeste relève de l’exploit : plus de 1300 pages d’une histoire plate, de personnages stéréotypés à souhait, d’exagérations à la limite de la parodie et d’amphigouriques discours. Car, dans cette histoire, aucun personnage ne parle autrement qu’en longs, prétentieux et pénibles discours.

Petit mise en contexte : nous sommes dans les années 50 et Ayn Rand souhaite dénoncer l’idéologie socialo-communiste d’une économie planifiée. Le thème de son roman est donc relativement simple : dans une réalité parallèle, les États-Unis sont devenus un pays socialiste. Les entrepreneurs et autre hommes d’esprit se voient condamnés à collaborer avec une économie planifiée qui se révèle, bien entendu, catastrophique. C’est long, c’est lourd et c’est tellement peu subtil que ça en devient risible. Les bons entrepreneurs sont en effet tous des hommes et des femmes dynamiques, pleins d’énergie, qui se reconnaissent entre eux au premier coup d’œil. Ils ont face à eux les suppôts du gouvernement, incapables, lâches, veules, l’œil torve et la posture voûtée. Entre les deux, le peuple amorphe qui marque sa résignation avec l’expression “Au fond, qui est John Galt ?”, souvent accompagnée d’un haussement d’épaules. Mais les bons entrepreneurs (et, pour faire bonne figure, quelques artistes et scientifiques), se mettent à disparaître les uns après les autres. Aux deux tiers du livre, l’héroïne Dagny Taggart, directrice d’une entreprise de chemins de fer, découvre entre deux passions amoureuses ce que le lecteur a compris depuis 300 pages : les hommes dynamiques ont décidé de faire la grève de l’intelligence. D’où le titre francophone du roman. Dans un élan d’une subtilité incroyable, nos grévistes décident même de choisir le signe du dollar comme symbole sacré de ralliement.

Et Ayn Rand d’insister lourdement sur le délabrement du pays qui s’ensuit presqu’immédiatement ainsi que sur la duplicité des mauvais fonctionnaires et politiciens, appelés “pillards” une dizaine de fois par page, histoire de bien taper sur le clou, qui savent très bien qu’ils conduisent le pays à la ruine mais qui le font quand même pour d’obscures raisons d’égo, de pouvoir et d’intérêt personnel. Et parce que c’est leur métier.

Le tout se conclut sur l’incroyable discours de John Galt, personnage central de l’intrigue, tellement intelligent et entrepreneur que chacune de ses apparitions donne lieu à une page de description dithyrambique sur sa prestance, sa beauté et son regard acéré. Son discours radiodiffusé qui approche de la centaine de page dans le livre est tellement redondant, tellement lourd et pédant que j’en ai passé la lecture.

Mais ce discours frappe tous les américains qui prennent soudainement conscience de toutes leurs erreurs. Miracle ! Le gouvernement se met immédiatement en chasse pour offrir à John Galt le pouvoir suprême en lui demandant pardon et de bien vouloir sortir le pays du marasme lui qui est tellement intelligent qu’il est capable de faire un discours à la radio. Waw ! La subtilité et le réalisme atteignent ici leur paroxysme.

Une philosophie interpellante et d’actualité

À ce point-ci de mon exposé, je vous vois lever un sourcil. Si ce livre est si mauvais, pourquoi diable vous en parler aujourd’hui ? Et pourquoi prendre la peine de le terminer ?

Tout simplement car si Ayn Rand est une bien piètre romancière et raconteuse d’histoire, sa philosophie est particulièrement interpellante. Sous les dehors d’un interminable roman de gare à deux sous percent des vérités absolument confondantes à l’heure où une partie du pays descend dans la rue pour protester contre un gouvernement qu’il a lui-même élu.

Tout le roman se base sur le fait que le socialisme revient à donner au peuple selon ses besoins et non plus selon ses mérites. Et que c’est une mauvaise idée. Dans les usines, les ouvriers se mettent à réclamer des augmentations parce qu’ils en ont besoin et non parce qu’ils produisent plus. La recherche du profit des patrons est d’ailleurs perçue comme totalement immorale.

Jusqu’à ce jeudi, je trouvais le propos grossier, exagéré. Et puis j’ai lu cet interview d’une fonctionnaire qui allait manifester car elle ne savait plus vivre avec son salaire de 1650€ net par mois. Elle détaillait même ses factures, y compris 150€ par mois de téléphone, pour justifier le fait qu’elle méritait une augmentation.

J’en suis resté estomaqué. Certaines phrases de l’article était mot pour mot des répliques de “La grève”. La fonctionnaire ne se posait à aucun moment la question de son utilité dans le système. À aucun moment elle ne réalisait que beaucoup vivent avec beaucoup moins qu’elle et qu’elle avait le choix de soit diminuer son train de vie soit de trouver un travail mieux rémunéré. Et si vraiment il apparait que personne ne sait vivre avec 1650€ par mois, ce dont je me permet de douter, il reste la possibilité d’exiger que le gouvernement fournisse plus que cette somme à tous les citoyens sans exception.

J’ai alors repensé à toutes ces manifestations où les employés licenciés hurlaient, comme dans le livre, que les entreprises ne pensaient qu’au profit. Ils exigeaient un travail et un salaire de la part de ceux qu’ils injuriaient, estimant qu’il s’agissait d’une obligation morale. L’ancienne joueuse de tennis Dominique Monami a même été interpellée sous prétexte qu’elle a un jour gagné de l’argent. Comme si elle devait s’excuser d’avoir été une des meilleures joueuses mondiales et d’avoir, de ce fait, gagné de l’argent grâce à son talent.

Mais bien sûr qu’une entreprise cherche à faire du profit ! C’est son unique raison d’être. Et une entreprise embauche quand elle estime que l’employé va produire plus de valeur que ce qu’il ne coûte. Tenter d’imposer qu’une entreprise ne cherche pas à maximiser son profit revient, par définition, à trafiquer la réalité.

Selon Ayn Rand, les conséquences de ce mode de pensée sont catastrophiques. Si les citoyens reçoivent en fonction de leurs besoins et non de leurs mérites, c’est qu’il existe une entité chargée de redistribuer arbitrairement les richesses. Sans aucune valeur ajoutée, cette entité a donc un droit de vie et de mort. Et comme cette entité est composée d’humains, cela entraîne de façon mécanique, inéluctable, une société où le copinage, les relations et la flagornerie l’emportent sur la compétence, le talent et l’énergie.

Attendez une seconde !

Mais c’est exactement ce que nous vivons pour le moment. Un pays où d’obscurs fonctionnaires anonymes et non-élus décident quel projet obtiendra un subside et pour quel montant. Un pays où certaines petites sociétés emploient à temps plein une personne chargée uniquement de décrypter les arcanes des subsides gouvernementaux et de lobbyer afin de les obtenir.

Le livre est-il caricatural ou est-ce la réalité dont il s’inspire ?

À la lecture de “La grève”, je pestais en continu sur le manichéisme et l’extrême polarité des personnages. Ce clochard est un “bon”, cela se voit dans son regard énergique et il refuse l’aumône gratuite, exigeant de rendre un service utile en échange d’argent. Ce chef d’entreprise est un “mauvais”, un pillard, il a été placé par le gouvernement et conchie le fait de faire des bénéfices. Dans toute l’histoire, aucun personnage n’oscille entre l’un et l’autre ou n’évolue. Dans l’univers Randien, on est né bon ou mauvais, c’est génétique. On adore le dieu dollar ou bien on est un pillard, pas d’autre choix possible.

Absurde ? Caricatural ? Et pourtant, sur le site d’un des principaux syndicats, on apprend que le pays se divise entre les “travailleurs” (classe qui comprend les chômeurs) et les “nantis”, classe qui comprend les indépendants et les patrons de petites entreprises qui eux, ne travaillent pas, c’est un fait bien connu. Le site se permet même d’affirmer que ces derniers ne sont pas concernés par “une fiscalité juste”, s’arrogeant de fait le pouvoir moral de définir le mot “juste”.

C’est entièrement logique lorsqu’on sait que les syndicats sont financés par les cotisations des membres et par les indemnités de chômage de leurs membres. Comme les petites entreprises n’ont pas d’obligation syndicales et que les indépendants, en Belgique, n’ont pas le droit au chômage, ils représentent un manque à gagner terrible pour les syndicats. Lesquels cherchent donc à discréditer à tout prix les indépendants et les patrons qui n’ont que le profit à la bouche. Tout en exigeant d’eux qu’ils engagent à perte, y compris les personnes incompétentes ou inutiles.

Sous des dehors austères, “La grève” est donc une véritable révélation, une prise de conscience. Je me suis surpris à analyser certaines entités, certaines personnes et d’y retrouver exactement le mode de fonctionnement des “pillards”. Armé d’une simple feuille de papier et d’un crayon, j’ai tracé quelques flux financiers pour découvrir à quel point un pan entier de notre économie ne sert qu’à disperser l’argent public au sein de quelques poches grâce à des échanges de faveur, du copinage ou du trafic d’influence. La compétence et l’utilité sont parfois entièrement absentes, inexistantes. Et ces mêmes cercles se gargarisent, s’arrogent des prix et des médailles qu’ils ont expressément créés, exactement comme les pillards du roman.

Et lorsque je vois les manifestants conspuer les arrangements financiers conclus avec les états comme le Luxleaks, je réalise avec effroi qu’il s’agit tout simplement de la seconde face d’une unique et même médaille.

Car quelle est la différence entre cette fonctionnaire qui exige de l’état une augmentation car “elle en a besoin” et cette multinationale qui négocie en secret une non-imposition ? Aucune. Dans les deux cas, on demande à l’état de répondre à notre besoin tout en faisant valoir que ce besoin est plus urgent que celui du voisin. Si l’employée sus-citée obtient gain de cause et voit son salaire augmenté car elle en a besoin, pourquoi un patron multi-millionaire ne pourrait-il pas faire de même arguant qu’il a besoin d’un jet privé pour “mieux faire tourner l’économie” ? Pourquoi lui devrait-il réduire son train de vie ? Blague à part, l’histoire est pleine de millionnaires endettés jusqu’au cou ou acculés à la ruine en quelques semaines pour n’avoir pas su s’adapter à un revers de fortune. Pourquoi l’état ne les aiderait-il pas ? Après tout, ils en ont besoin !

C’est donc contre leur propre camp que les grévistes manifestaient ce jeudi. Les employés, les syndicats contre le gouvernement et ses sbires des multinationales. Si les deux sont d’accord que l’état contrôle l’argent et l’économie, le seul point de divergence consiste à savoir dans quelle poche doit aller la richesse. Question à laquelle tout le monde répond naturellement “Dans la mienne car j’en ai plus besoin que les autres !”.

Au milieu de tout ça, les indépendants et les patrons de PME qui ont bien entendu travaillé ce jeudi car chaque jour, chaque heure non prestée est une perte sèche et rend une fin de mois encore plus difficile pour une grande partie d’entre eux. Pour ceux-là, point de salut, point de chômage.

Des conclusions bien pessimistes et des solutions

Bouche bée, poursuivant tant bien que mal ma lecture, je trouvais Ayn Rand bien pessimiste sur la fin. Dans une telle société, dit-elle, les infrastructures se détériorent, la compétence disparaît. Impuissante, Dagny Taggard assiste à la déliquescence de son chemin de fer. Mais elle, envers et contre tout, refuse de faire la grève et, jusqu’au bout, préfère “collaborer avec les pillards” pour faire tourner l’économie autant qu’elle peut. Elle refuse de voir la réalité en face et maintient constamment que tout n’est pas noir chez les pillards, même lorsque le pays se disloque et tourne à la guerre civile.

Pessimiste ? Mais ne vient-on pas justement d’annoncer que la Belgique pourrait connaître des coupures de courant cet hiver ? Il y a 10, 20 ou 30 ans, cela nous aurait semblé impensable qu’un pays civilisé puisse connaître des coupures de courant programmées. Après tout, n’est-ce pas la marque des pays du tiers-monde ?

Mais Ayn Rand est-elle à ce point visionnaire dans son idéologie ?

Non car elle passe sous silence et camoufle les grosses failles de sa réflexion. Ainsi, la majorité des “bons”, les entrepreneurs dynamiques ont, comme Dagny Taggart, hérité de l’entreprise de leurs ancêtres. Ils sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche. C’est certain qu’il est bien plus facile d’être entrepreneur dans ces conditions.

D’autre part, Ayn Rand ne dit à aucun moment ce qui, selon elle, devrait arriver aux personnes incompétentes ou non-productives dans sa société idéale. Faut-il les laisser crever de faim ? Je ne le pense pas et, sur ce point, je rejoins les grévistes : le gouvernement ne devrait laisser personne dans la misère.

Mais ce que Ayn Rand dénonce justement, c’est cet amalgame entre deux objectifs non corrélés naturellement: la solidarité sociale et la promotion de l’économie. Son discours est simple : la promotion de l’économie n’est pas un acte de solidarité sociale. Le prendre comme tel détruit l’économie. Et, par effet de domino, rend impossible toute solidarité sociale. C’est pourtant ce que nous nous efforçons de faire, refusant de décorréler l’emploi du social.

Je suis me suis découvert entièrement d’accord avec elle sur ce point et c’est ce que je dénonce régulièrement avec mon expression “Creuser un trou et le reboucher”. Par contre, contrairement à Ayn Rand qui choisit d’ignorer la problématique de la solidarité sociale, j’ai une solution concrète à proposer.

Donner des allocations, des subsides, des aides selon des règles arbitraires laisse tout pouvoir à des petits chefs. Mécaniquement, cela va entraîner la création de cohortes de contrôleurs, d’inspecteurs qui vont vérifier si on ne “fraude pas”, rendant le climat encore plus délétère, encore plus arbitraire. Mais pourquoi ne pas simplement s’accorder sur une valeur à partir de laquelle on estime que tout citoyen peut vivre dignement, valeur qui pourra d’ailleurs être revue régulièrement. Et plutôt que de donner cette allocation à ceux qui en ont besoin, la définition de besoin étant arbitraire, la donner à tout le monde. Libre ensuite à chacun de tenter d’augmenter ses revenus en prouvant son utilité ou sa compétence. Ou d’adapter son train de vie. Mais tout en sachant que le minimum nécessaire sera toujours disponible.

Cela ne vous rappelle rien ? Tiens oui, c’est le revenu de base !

Enfin, Ayn Rand a une conception qui s’est désormais révélée complètement fausse du travail et de la création. Elle n’imagine pas un instant l’épuisement des ressources naturelles. Elle met en scène Hank Rearden, un chimiste qui passe 10 années de sa vie enfermé seul dans un laboratoire pour concevoir un nouvel acier puis qui devient entrepreneur en le commercialisant et en tentant de produire le plus possible d’acier. Les scènes ont de quoi faire frémir les écologistes. Le grotesque est atteint lorsque, l’usine détruite, les riverains regrettent désormais le rassurant ronronnement et l’éternel rougeoiement des hauts fourneaux. Le fait qu’un Hank Rearden ne puisse pas exister tout seul, que toute invention est le fruit d’une collaboration ne vient pas à l’esprit d’Ayn Rand. Plus grave : elle ne comprend pas que, comme les ressources naturelles, le travail est une denrée qui s’amenuise, devenant de plus en plus rare. Mais, contrairement aux grévistes d’aujourd’hui, on peut lui accorder l’excuse d’avoir écrit ce livre dans les années 50.

Une lecture beaucoup plus profonde et subtile qu’il n’y parait

En guise de conclusion, est-ce que je conseille ce livre ? La question est difficile. Long et insupportable à lire, il a néanmoins été une véritable révélation, il m’a permis de mettre des mots sur des concepts que je subodorais sans pouvoir les exprimer.

En filigrane transparait une philosophie complexe beaucoup plus profonde et réellement subtile selon laquelle l’altruisme désintéressé est une pulsion morbide, hypocrite. Au travers de la relation sado-masochiste entre Dagny Taggart et Hank Rearden, Ayn Rand dénonce l’abrutissement moral dans lequel la société nous plonge. Elle élève la raison comme valeur ultime et seul guide de l’être humain, en opposition aux émotions qui justifient l’absurde et l’injustifiable. Sa conclusion est simple : les hommes ne sont bons que lorsqu’ils raisonnent afin de favoriser leurs propres intérêts. Car il est dans l’intérêt de tout le monde de construire une société juste et heureuse. Enlevez la raison et l’homme ne se concentre plus que sur son intérêt à très court terme, ses émotions, détruisant ce qui l’entoure. Enlevez l’intérêt personnel et l’homme impose sa vision aux autres, allant jusqu’à user de la violence pour “faire le bien”.

Cela tombe bien car je sais d’avance qu’en publiant cette critique, je vais me faire traiter d’amoral, de sans cœur. La moralité et les sentiments vont être utilisés pour dénoncer ma position considérée comme anti-sociale voire inhumaine. Ce qui est amusant car c’est exactement le discours qu’Ayn Rand met dans la bouche des pillards et des hypocrites.

Si, malgré mes avertissements, vous prenez votre courage à deux mains et vous vous lancez dans la lecture, je prédis que, comme moi, vous le refermerez rageusement en vous disant : “Que de temps perdu ! C’est un ode pathétique et caricatural pour promouvoir un ultra-capitalisme de la pire espèce !”.

Et puis, la couverture à peine refermée, vous lèverez les yeux et découvrirez que le monde autour de vous est exactement celui décrit dans le roman.

Comme Dagny Taggart, vous tenterez de vous rassurer en vous disant que tout n’est pas noir chez les pillards, que c’est exagéré et qu’il est préférable de collaborer. Tout comme Dagny, vous vous direz que vous n’avez pas vraiment le choix.

Car, au fond, qui est John Galt ?

 

Photo par Antonio Ponte. Également publié sur SensCritique.

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Laissez tout tomber et lisez de la fiction !

mardi 21 octobre 2014 à 22:00
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Hier, ce blog a passé le cap de ses 10 ans. Dix années d’élucubrations, d’histoires et d’échanges. Grâce à vous ! Car ces dix années n’auraient pas été possibles sans lecteurs, sans vous, vos critiques, vos encouragements, vos corrections et… vos paiements de prix libres. Merci !

Afin de marquer l’événement, j’aimerais recevoir un cadeau. Et ce cadeau, c’est vous qui allez me l’offrir. Après tout, n’est-ce pas la coutume d’offrir un cadeau pour les anniversaires ?

Pour les 10 ans de ce blog, je souhaite que vous me fassiez le cadeau de lire plus de fiction. Tout simplement. Livres papiers ou électroniques, courtes nouvelles ou romans historiques, écrites par des blogueurs dans mon genre ou par les grands auteurs historiques, peu importe. Du moment que c’est de la fiction et que c’est écrit.

Pourquoi la lecture ?

Si vous avez déjà vu l’adaptation d’un livre au cinéma, vous savez que le livre va toujours beaucoup plus en profondeur que le film, dont le format est forcément plus limité. Le livre crée un univers dans lequel vous pouvez vous immerger durant tout le temps de la lecture : plusieurs jours voire parfois plusieurs semaines. L’univers reste présent et nous y replongeons avec délice à chaque pause lecture. Les autres supports sont beaucoup plus courts.

De plus, et cela se remarque très fortement sur les films documentaires, la brièveté et la pauvreté des contenus audio-visuels impliquent de tromper nos sens en générant artificiellement des émotions : musiques, jeux sur les couleurs, montage arbitraire. Le but d’un support visuel ou auditif est de nous injecter directement les émotions dans le cerveau. C’est plus facile à consommer mais pauvre en contenu et potentiellement dangereux car manipulateur.

À l’opposé, le contenu écrit permet un contrôle temporel total par le lecteur. Le lecteur peut s’arrêter, relire certains passages, approfondir, passer un chapitre. Les émotions qui naissent de la lecture sont vraies et générées par les situations évoquées, pas par des artifices.

Exemple typique : les conférences TED. Après 1h de conférence TED, on se sent boosté, motivé, on a l’impression d’être plus intelligent, plus aiguisé, plus informé. Deux semaines après, vous seriez pourtant bien en peine de résumer ce que vous avez vu autrement qu’en décrivant les émotions ressenties. Et si vous vous souvenez d’un thème précis et que l’idée semble claire dans votre esprit, essayez de l’expliquer à une tierce personne. Vous serez étonné.

L’écrit, au contraire, permet de faire des références précises, de retrouver des passages, de citer, de mémoriser et de comprendre.

Pourquoi la fiction

Mais si le but est de devenir plus intelligent, d’apprendre, pourquoi la fiction ?

Tout simplement car notre cerveau apprend par l’expérience. Et que plusieurs études semblent le démontrer : lorsque vous lisez un livre, par exemple d’aventures, votre cerveau a l’impression d’avoir participé réellement à cette aventure. L’histoire fait désormais partie de vos souvenirs. En lisant de la fiction, vous préparez donc votre cerveau à rencontrer des situations inconnues.

La fiction de qualité insuffle même subtilement des idées très générales en vous racontant des anecdotes. Ces idées générales, vous les déduirez vous-même, vous les construirez, parfois à l’insu de l’auteur.

Les essais, au contraire, tendent à vouloir nous inculquer des généralités mais, au bout du compte, nous perdent dans l’abstraction et notre cerveau ne retient que les anecdotes qui ne sont pas forcément pertinentes.

Mais que lire ?

Si je vous ai déjà encouragé à lire et si j’ai partagé ma méthode de lecture sur le web, je n’ai encore jamais parlé du contenu.

L’achat aléatoire de livres chez les bouquinistes n’est certainement pas le plus efficace mais j’avoue l’avoir pratiqué avec quelques succès.

Je conseille personnellement de maintenir une liste de lecture qui ne soit pas une todo-list. Il n’y a aucune obligation de lire les livres sur cette liste. Il s’agit juste d’une liste de suggestions pour les moments où j’ai envie de lire. Pour cela, mon coup de cœur va à Senscritique.com (qui ne se limite pas aux livres). Je mets dans ma liste d’envies ce que mes amis me conseillent, ce que j’ai envie de lire depuis longtemps où tous les éléments des listes qui me semblent bien construites.

J’ai récemment fait l’expérience de ne plus regarder que des films dans ma liste d’envie Senscritique, construite de la même manière, et j’ai l’impression d’avoir découvert un nouvel univers cinématographique. Le niveau des films que je regarde est monté d’un cran. Du coup, j’ai décidé d’en faire autant avec les livres.

Et puis, comme point de départ, n’oubliez pas les fictions de ce blog ! Après tout, c’est son anniversaire. Il y a forcément un epub que vous n’avez pas encore lu ;-)

Partagez vos lectures

Mais tout cela n’est possible que si vous prenez le temps de partager vos lectures, de les recommander, de faire vivre les écrits.

Oui, il y a actuellement dans les médias un véritable nivellement par le bas, une volonté, peut-être inconsciente, de limiter la lecture à Marc Levy et Dan Brown. Mais ce n’est pas comme si nous avions besoin des médias pour conformer nos désirs culturels.

Vous êtes sur Facebook, sur Diaspora, sur Twitter, sur Senscritique ou dans la rue avec des amis : parlez de ce que vous lisez, conseillez des lectures à vos collègues et à votre famille. Ouvrez votre univers, celui de votre entourage, échangez !

Lisez et partagez. Cela sera le plus beau cadeau d’anniversaire que vous puissiez offrir à ce blog. Et si vous lisez et partagez les textes que j’ai écrits, alors c’est encore un plus beau cadeau. Merci infiniment !

Alors, on repart pour une décennie ?

 

Photo par Trey Ratcliff. Relecture par Sylvestre.

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