PROJET AUTOBLOG


ploum.net

Site original : ploum.net

⇐ retour index

Printeurs 29

lundi 11 mai 2015 à 19:59
7165240349_af2a36bb32_z
Ceci est le billet 29 sur 32 dans la série Printeurs

Dans le commissariat où il a trouvé refuge, Nellio a sympathisé avec Junior Freeman, le policier qui lui a sauvé la vie. Ensemble, ils décident d’imprimer le mystérieux contenu de la carte mémoire qu’Eva avait implantée sous la peau de Nellio. Mais pour arriver au printeur avant Georges Farreck, il va falloir utiliser un avatar, un robot dans lequel les policiers uploadent leurs esprits.

J’ouvre les yeux et contemple étonné les murs de béton du réduit. J’avais beau m’y attendre, la sensation reste particulièrement surprenante. Un diffus sentiment de panique parcours mon corps. Mon corps ? Ou plutôt ce corps artificiel que contrôle momentanément mon esprit. Cet assemblage mécanique enfermé dans un oppressant cercueil de béton.

— La sortie est devant toi ! Ne perd pas de temps. Si nécessaire, je te transmettrai le flux vidéo de l’escadre Farreck.

La voix de Junior est étrange, tellement proche et tellement lointaine. Il a insisté pour que je prenne sa place dans l’avatar. Lui ne pourrait pas faire fonctionner le printeur sans hésitation ou guidage de ma part. Et chaque seconde peut être critique.

Je prends une profonde inspiration. Avec quel corps ? Pas le temps de répondre à cette question pour le moment. J’avance.

La marche et l’ouverture de la porte se révèle incroyablement intuitive. À peine ai-je fait quelques pas à l’air libre que l’idée d’être dans un corps artificiel disparait. Par réflexe, je tourne mon visage vers le soleil. Il fait beau. Est-ce mon imagination ou ai-je véritablement senti cette odeur de bitume ramolli, de tarmac recuit qui est la caractéristique des villes les jours de chaleur ?

— Nellio, arrête de rêvasser ! Georges Farreck se rapproche et ta copine ne l’a pas encore intercepté !

Obéissant à l’injonction, je me mets à courir dans les ruelles familières. À mon passage, les passants s’écartent craintivement sans se poser de questions. Après tout, quoi de plus naturel qu’un policier en train de courir ?

La vitesse de ma course me surprend moi-même. En quelques bonds, j’arrive à l’entrée de notre ancien repère. Traversant le petit salon et le laboratoire dévasté, je me retrouve face au frigo d’azote renversé. Sans effort, je le soulève et dégage l’entrée du réduit où Max m’avait fait passer le fameux scanner multi-modal auquel je dois vraisemblablement mon amnésie. Mais pourquoi Max aurait-il fait cela ? Au fond, était-ce bien Max ?

J’ai un éclair soudain de compréhension en revoyant les lieux : je ne suis pas amnésique ! J’ai été gardé, drogué et nourri, pendant plusieurs mois. Un autre a pris ma place, sans doute pour sous-tirer des informations à Georges Farreck. À moins qu’il ne soit lui-même complice ? Et, dans ce cas, qui avait donc intérêt à me cacher dans un endroit que Georges Farreck ne connaissait pas ? Max bien entendu ! Pour me protéger ! Georges Farreck m’a probablement fait assassiner ou, pour le moins, aura fait assassiner mon double ! Tout se tient !

— Nellio, il faut que tu voies ça. Je crois que ta copine a réussi !
Une image apparait soudain dans mon champs de vision. Elle est filmée depuis l’intérieur du véhicule policier. On y voit Georges Farreck regardant par une fenêtre. Des poings tapent sur la carrosserie.
— Georges Farreck ! Georges Farreck !
— Ils sont trop nombreux, nous n’arrivons plus à avancer.
— Mais comment ont-ils pu être au courant de ma présence ? C’est incompréhensible ?
— Cela pue le coup monté. Je vais envoyer deux-trois gars pour tenter d’identifier les meneurs, cela va aller vite.

C’est toujours ça de gagné, murmuré-je. Entrant dans la pièce aveugle, je commence à vérifier l’état du printeur. La structure est renversée mais semble intacte. Par contre, la cuve d’impression s’est cassée lors de mon réveil brutal. Je tente de réfléchir à tout vitesse. Le liquide n’est pas un problème. Il suffit de l’imprimer : il est auto-générant. Par contre la cuve est plus problématique. Elle doit être étanche et nous n’en avions pas de réserve.

— La cuve est cassée ! Pas moyen d’imprimer !

Ma voix est-elle sortie de mon avatar ou de mon corps abandonné ? Peut-être les deux ? Quoi qu’il en soit, la réponse désincarnée de Junior me parvient immédiatement.

— De quoi as-tu besoin ?
— Un récipient étanche.
— Quelle taille ?
— La taille de l’objet qui est sur cette foutue carte mémoire.
— Bref, tu n’as aucune idée.
— Non, si ça se trouve, c’est grand comme la pièce !

Une intuition subite me parcourt. Retournant dans le labo dévasté, je cours vers le minuscule coin que nous appelions familièrement « cafétéria ». La zone a été vaguement épargnée et je retrouve sans peine les restes de la table écroulée.
— Elle est toujours là !
D’un geste, je saisis la nappe. Une nappe en toile cirée inusable, du genre de celles introuvables en magasin mais qui apparaissent spontanément sur la table de votre cuisine le jour où vous avez des petits enfants. Peut-être qu’on les fournit avec le kit « tisane de grand-maman » ? Retournant dans la pièce secrète, je me mets à disposer des tables de manière à délimiter un espace fermé à même le sol. Par dessus tout, j’étend la nappe. Elle pourrait couvrir une table de huit personnes.
— Et voilà ! Une véritable baignoire de luxe.
— Nellio, j’ai une mauvaise nouvelle. Jette un œil à ce qui se passe du côté de chez Georges Farreck !
— Isabelle !

Dans mon champs de vision, je vois apparaitre une image d’Isabelle entourée de deux policiers. Elle hurle :
— Georges Farreck ! Laissez moi parler à Georges Farreck ! J’ai des révélations à lui faire.
La voix de Georges retentit dans mes oreilles, extrêmement proche.
— Amenez moi cette femme !
— Mais c’est une télé-pass hystérique, sans doute une de vos fans. Elle veut juste vous violer ou un truc du genre.
— Vous êtes capable de me protéger, non ? Cette foule qui bloque notre passage ne me semble pas un hasard.
Une main gantée apparait à l’écran et fait un signe à destination des autres policiers. Isabelle est conduite sans ménagement. Je distingue sa figure échevelée, ses joues rubicondes. Son essoufflement est visible. Elle s’arrête un instant, interdite.
— Oh merde ! Georges Farreck ! Le Georges Farreck ! J’ai la culotte qui dégouline ! Je… J’ai vu tous vos films, je vous adore !
Georges ne peut se retenir de dégainer un sourire charmeur. Ses dents étincellent.
— Merci, c’est très gentil à vous. Je suis flatté. Mais vous me parliez d’une révélation ?
— Ouais, justement, est-ce que vous allez tourner un nouveau film ici dans la ville ?
— Je ne sais pas encore, pourquoi cette question ?
— Parce que voilà, on m’a d’mandé de venir faire la fan rapport à votre film. Une obligation qu’y disaient. Mais j’suis pas conne. Je sens bien que c’est autre chose.
— Attendez, je suis pas sûr de vous suivre. Vous voulez dire qu’on vous a demandé de réunir des personnes pour m’acclamer ici ?
— C’est ça !
— Dans quel but ?
— J’sais pas. Et c’est ça qui semble bizarre.
— Et pourquoi l’avez-vous fait ?
— Ben c’t’une obligation. J’ai pas envie de perdre mes allocs. Mais je me dis que si je vous aide, vous pouvez p’têtre m’aider en retour. J’ai toujours su que j’serais une star. J’pourrais jouer dans vos films.
— Qui vous a donné cette obligation ?
— Attends mon pote, d’abord on négocie ce que j’aurais en échange !

J’éclate de rire. Sacrée Isabelle. Elle a réussit le tour de force de retarder Georges Farreck tout en lui extorquant un quelconque avantage.
— Nellio, ne traîne pas ! Isabelle nous offre un répit inespéré mais les policiers ne sont vraiment pas loin.

Mécaniquement, je remets en place le printeur. D’une pression sur le clavier, je lance l’impression du liquide d’impression. Je note mentalement d’optimiser l’algorithme pour imprimer le liquide dynamiquement, en fonction de l’objet à traiter.

— Connecte-toi à l’ordinateur que j’uploade le fichier à imprimer !
— Connecter ? Mais comment ?
— Les avatars disposent de la plupart des ports standards. Regarde dans ton torse.

C’est la première loi de l’ère électrique. Depuis qu’il est possible de brancher deux appareils entre eux, le format des prises a évolué de manière aussi explosive qu’irrationnelle. Chacun tentant de créer un format standard que tout le monde utilisera. Au final, tout terminal implémente une quinzaine de ports avec l’espoir d’une intersection avec la quinzaine implémentée par le terminal d’en face.

La seconde loi, quant à elle, stipule que c’est toujours le dernier câble que vous testez qui rentre dans le trou. Loi qui se révèle, une nouvelle fois, empiriquement exacte.

— Voilà, je suis branché !
— Fichier uploadé, en cours de transfert sur l’ordinateur.
— Quoi ? Si vite ? Mais ce n’est pas possible !
— Les avatars ne passent pas par le réseau traditionnel. Trop dangereux. D’ailleurs, la pièce où tu te trouves semble être une cage de Faraday parfaitement isolée.
— Mais…
— Chaque avatar est lié au centre par quantum entanglement. Deux photons émis au même moment. L’un est stocké dans l’avatar, l’autre au centre de contrôle, le tout grâce à des ralentisseurs de lumière. Cela permet une communication instantanée dont la vitesse n’est théoriquement pas limitée.
— Je croyais que ce n’était encore qu’un prototype !
— C’est l’avantage de travailler dans un commissariat à haut tarif !
Ébahi, je tente de me reconcentrer sur ma tâche.
— Bon, je lance l’impression !
— Merde ! Les flics ! Ils sont là, j’étais distrait ! Nellio !

Un bruit d’explosion retentit soudainement dans l’entrée du laboratoire.

 

Photo par Trey Ratcliff.

Merci d'avoir pris le temps de lire ce billet librement payant. Prenez la liberté de me soutenir avec quelques milliBitcoins, une poignée d'euros, en me suivant sur Tipeee, Twitter, Google+ et Facebook !

Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

Flattr this!

Écrire un livre ? Quelle drôle d’idée !

mercredi 22 avril 2015 à 22:28
10625096936_6c1038677e_z

Régulièrement, des lecteurs de mon blog ou des personnes assistant à une de mes conférences me demandent si j’ai publié des livres reprenant les idées que je développe.

Malheureusement, je dois répondre que non. Et ce n’est pas dans mes projets.

La raison en est toute simple : si je publiais un livre, il serait déjà obsolète avant même que vous puissiez le tenir entre vos mains.

Mes idées évoluent en permanence. Je publie des billets sur ce qui m’interpelle, sur ce qui m’intéresse. Un nouveau billet peut parfois contredire un plus ancien. Ou le compléter. Chaque billet a d’ailleurs un lectorat différent, imprévu.

Un livre fige un instant passé. Il remplit pour faire plus sérieux. Si pour la fiction ou pour les expériences intemporelles le livre peut être approprié, il ne l’est plus pour un phénomène aussi mouvant que les idées et la réflexion. Si, de plus, vous le voulez sur arbre mort, diffusé par une maison traditionnelle, son obsolescence n’en sera que plus grande. Quel serait votre intérêt de lire une version longue des idées que j’ai eu il y a près d’un an ?

Pourtant, le livre garde une aura. Publier un livre fait de vous quelqu’un d’important. Les médias font énormément de bruit autour des livres. La sortie d’un livre est un événement. Être auteur publié, c’est un gage d’autorité. C’est la garantie d’être invité comme expert sur les plateaux télé, surtout si le titre est accrocheur : Et nous cédons la parole à Ploum, auteur du remarqué « Internet et ses dangers », publié chez Plouc.

Peu importe les âneries que vous ayez écrite, peu importe que votre livre se soit vendu à 200 exemplaires, vous êtes un auteur, vous êtes un expert, vous êtes détenteur de la Vérité. Car, tout texte imprimé représente la Vérité. Un blogueur, même s’il est lu par des dizaines de milliers de lecteurs, c’est un amateur. Rien à voir avec cet auteur que personne n’a lu excepté celui chargé de rédiger la critique.

C’est entièrement logique car, comme je l’expliquais dans mon billet « Il faudra la construire sans eux », les médias appartiennent à la génération de l’information centralisée dont l’élément principal reste l’imprimerie. En publiant un livre, vous devenez un média, vous faîtes partie de leur monde, ils vous soutiennent. À leurs yeux, le web n’est qu’un outil de promotion pour leurs livres, leurs émissions ou leurs journaux.

Si je publiais un livre, je le percevrais au contraire comme un outil de promotion de ce blog ! Une simple porte d’entrée pour inviter les gens à me lire sur le web, à apprendre un mode de pensée dynamique, changeant, décentralisé.

Si je publiais un livre, ce serait pour obtenir la reconnaissance d’institutions que je juge obsolètes et délétères. Des institutions qui sont des freins au progrès.

Au fond, c’est le web qui me nourrit, me fait grandir. C’est le web qui m’apporte des idées, me fait réfléchir. C’est donc sur le web que je veux contribuer et apporter ma modeste contribution.

Moi, publier un livre de non-fiction ? Vous ne voulez pas que je l’écrive à la plume sur du vélin tant que vous y êtes ? Ça aurait son charme, je le reconnais, mais en attendant je vous encourage vivement à lire sur le web. Vous verrez, c’est un nouveau monde !

 

L’illustration s’intitule « Vanité », de Pieter Claesz et est photographiée par Thomas Hawk. Vous seriez sans doute intéressé par la lecture de La mort de la presse ? Tant mieux ! et par mes techniques pour Lire rapidement sur le web.

Merci d'avoir pris le temps de lire ce billet librement payant. Prenez la liberté de me soutenir avec quelques milliBitcoins, une poignée d'euros, en me suivant sur Tipeee, Twitter, Google+ et Facebook !

Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

Flattr this!

La liberté, c’est la poubelle !

mercredi 8 avril 2015 à 19:19
2353540461_0099f2a957_z

Comment le développement logiciel m’a appris à réfréner mes envies de consommation en jetant à la poubelle.

Il est tard, vous avez travaillé toute la journée, vous avez faim. Vous ouvrez le frigo : il contient divers récipients et une dizaine de produits variés. Non, décidément, rien. Vous vous résignez à commander une pizza.

C’est une journée importante. Vous voulez faire une bonne impression. Vous ouvrez votre garde-robe. Elle déborde. Deux t-shirts en tombent. Vous la refermez : non, décidément, vous n’avez plus rien à vous mettre. Il devient urgent d’aller au magasin. Et justement ce sont les soldes…

Le point commun de ces deux situations ? Le paradoxe du choix !

Bien connu des concepteurs de logiciels, le paradoxe du choix stipule que présenter des choix à l’utilisateur offre une mauvaise expérience. En effet, lorsque nous sommes confrontés à une décision, nous avons inconsciemment la conviction qu’il existe une solution meilleure que les autres, optimale. Nous ne voyons pas un choix comme une option mais bel et bien comme un test qui nous met au défi de retrouver la meilleure solution. Avec la crainte sous-jacente de ne pas choisir la bonne.

Le stress induit par le choix est particulièrement flagrant auprès des débutants en informatique : confrontés à une boîte de dialogue, ils paniquent au point d’être incapable de lire rationnellement. En désespoir de cause, ils ferment la boîte de dialogue en utilisant la croix afin d’éviter de faire un choix.

Ce stress du choix est omniprésent dans notre société de consommation. Des milliers de produits, des milliers de marques qui célèbrent « la liberté de choix ». Or, comme dit ci-dessus, cette liberté n’est que factice et est au contraire contraignante.

Face à tant de choix, nous préférons nous laisser guider, rôle rempli à merveille par la publicité. Plus subtilement, le fait d’avoir trop de choix au sein même de notre maison nous découragera, découragement que nous interpréterons comme un manque. Et qui nous poussera donc à remplir encore plus notre maison. Ce qui augmentera notre découragement et notre insatisfaction.

Plus nous achetons, plus nous possédons, plus nous éprouvons un manque et le besoin d’acheter !

Ayant pris conscience de cela, chaque fois que j’ai l’impression d’avoir un manque de vêtements, que j’éprouve le besoin d’acheter du neuf, je trie et je jette ou je porte à donner une grande partie (parfois jusqu’à la moitié) de mes vêtements existants. L’effet est saisissant : j’ai réellement l’impression d’avoir renouvelé ma garde-robe. Réduire mes choix me procure une impression paradoxale d’avoir désormais plus de choix.

Sans que nous nous soyons concertés, ma compagne a fait de même avec les armoires de la cuisine, jetant ce qui était périmé et non-mangeable, donnant ce que nous ne consommerions sans doute jamais, cuisinant ce qui était périmé mais mangeable. Le résultat a été également sans appel : nous avons beaucoup moins le besoin de commander ou de manger à l’extérieur. Le frigo, qui n’a jamais été aussi vide, contient toujours de quoi préparer un repas.

Jeter, c’est regagner sa liberté, ses choix ! Jeter est une véritable satisfaction et procure un réel sentiment de libération.

Par un amusant retour aux sources, j’ai réalisé que cette conclusion s’appliquait également… au développement logiciel ! J’ai vécu récemment l’exemple d’un client demandant à chaque fois des nouvelles fonctionnalités puis, après plusieurs mois, se plaignant que l’interface était trop complexe.

Il est facile de remettre la faute sur le client, de dire qu’il ne sait pas ce qu’il veut. Mais, au fond, nous sommes en tant qu’utilisateurs face à un logiciel comme face à un frigo ou une garde-robe : si nous éprouvons le besoin de rajouter une fonctionnalité, c’est que le logiciel en comporte trop. Il est temps de jeter des fonctionnalités, de le simplifier.

Finalement, faire des économies ou regagner sa liberté est assez simple : Jetez lorsque vous avez envie de consommer, simplifiez lorsque vous éprouvez le besoin de rendre complexe.

Jetez pour consommer moins !

 

Photo par Jes. Vous pourriez être également intéressé par la cueillette des biens matériels.

Merci d'avoir pris le temps de lire ce billet librement payant. Prenez la liberté de me soutenir avec quelques milliBitcoins, une poignée d'euros, en me suivant sur Tipeee, Twitter, Google+ et Facebook !

Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

Flattr this!

Je ne veux plus conduire !

lundi 16 mars 2015 à 17:04
OK, let me drive...

Je ne veux plus conduire car j’ai l’impression de perdre mon temps. Lorsque je conduis, je ne peux ni lire, ni écrire, ni admirer, ni respirer, ni rêver, ni me défouler, ni aimer, ni faire plaisir, ni me faire plaisir. 1h30 de conduite par jour, et on y est plus vite qu’on ne l’imagine, représente un sacrifice de 10% de notre temps éveillé, 10% de notre vie.

Je ne veux plus conduire car la conduite est morbide. Assis, sans pouvoir bouger, mes muscles s’atrophient, se contractent, se rigidifient. La position force mes poumons à se refermer. De toutes façons, je ne fais que respirer les gaz d’échappement de ceux qui me précèdent. Il suffit de voir la couleur que prend la neige au bord d’une route pour réaliser que nos poumons font de même. Au fond, conduire n’est pas très éloigné de la torture physique.

Je ne veux plus conduire car je n’aime pas risquer ma vie en permanence. Lancé dans un bolide de métal à des vitesses folles, mon esprit doit être en permanence alerte, aux aguets. Je dois prévoir les comportements erratiques des autres conducteurs, anticiper les conditions difficiles. Ma vie est en jeu ! Si je l’oublie et que je me détends, bercé par l’habitude d’un trajet journalier et la confiance en mes talents, je ne fais qu’ignorer un danger exacerbé par mon insouciance. Et je me transforme en criminel potentiel…

Je ne veux plus conduire car je ne veux plus soutenir le véritable culte qui entoure désormais l’automobile. D’utilitaire, elle est devenue religion. Les constructeurs les font brillantes et volontairement fragiles. L’adoration liturgique se fait dans les grands salons annuels et dans les discussions de tous les jours. Effleurer une voiture en stationnement la fera hurler, y laisser une griffe, même ténue et involontaire, vous transformera en ennemi public, en criminel haï et poursuivi. Rien que critiquer le dieu automobile fait de moi un paria.

Je ne veux plus conduire car toute notre société est aux ordres de l’automobile. Tous nos paysages sont entièrement adaptés à la conduite. Nos routes ne déservent plus nos maisons, ce sont nos maisons qui déservent les routes. De monstrueuses arches de bétons s’élèvent autour des villes et à travers les campagnes. Un grondement continu rugit et assourdit. Personne n’oserait bloquer, ne fut-ce que quelques minutes, les passages d’automobiles. Alors qu’au même endroit il n’est pas rare de laisser des trottoirs ou des pistes cyclables encombrées pendant des mois, forçant les non-automobilistes à risquer leur vie. C’est bien simple : me rendre à vélo au travail compte plus de kilomètres qu’en voiture car les voies rapides les plus directes sont strictement réservées aux automobiles.

Je ne veux plus conduire car l’automobile est devenue une guerre. J’ai vu trop de sacrifices, de jeunes vies fauchées. Les personnes que j’ai connues et qui sont mortes avant leur 50 ans ont, dans leur immense majorité, été tuées par l’automobile. Certains qui ne sont pas morts sont restés handicapés à vie. Aujourd’hui encore, malgré parfois plusieurs lustres, je revis régulièrement ces terribles secondes où j’ai appris la mort d’un proche, d’une fréquentation ou d’une vague connaissance. Je reste profondément choqué par la violente soudaineté de ces injustices. Tout en sachant que je pourrais bien être la prochaine victime ou le prochain assassin.

Je ne veux plus conduire car quand je vois des jeunes pleins de vie dilapider leur premier salaire dans l’automobile, quand je les vois faire vrombir leur moteur, faire crisser les pneus, je sais qu’un jour ils se retourneront contre nous, qu’ils nous montreront leurs blessures, leurs morts, leur terre meurtrie et qu’ils nous diront : “Pourquoi nous avez-vous enseigné cette religion ? Pourquoi nous avez-vous laissé faire ? Pourquoi avez-vous retardé toutes les innovations qui permettaient de se débarrasser de l’automobile ? Est-ce que l’industrie de l’automobile méritait une seule de nos vies ?”.

Je ne veux plus conduire car je sais que mes descendants me regarderont comme un criminel en me disant “Tout cela uniquement dans le but de se déplacer ?”. Et ils auront raison.

 

Photo par F Mira. Lectures suggérées : La proclamation, L’inauguration du RER, La voiture, 1er front de la guerre à l’innovation.

Merci d'avoir pris le temps de lire ce billet librement payant. Prenez la liberté de me soutenir avec quelques milliBitcoins, une poignée d'euros, en me suivant sur Tipeee, Twitter, Google+ et Facebook !

Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

Flattr this!

Comment pourrait-il en être autrement ?

mardi 3 mars 2015 à 22:45
768478496_5775726141_z

Les méandres de la psychologie humaine font que, du cyclisme à la politique, on peut être un honnête tricheur, un menteur qui dit la vérité et un corrompu de bonne foi. Et si ce n’était pas les hommes qui corrompaient les institutions mais bien les institutions qui, par construction, ne laissaient aucun choix aux hommes ?

 

J’ai toujours imaginé qu’un jeune cycliste qui débutait devait être idéaliste. Il devait avoir entendu parler de dopage. Peut-être même l’avoir constaté. Mais lui s’en passerait. Quitte à ne pas toujours gagner. Son talent compenserait. Et puis gagner une seule étape était l’objectif de sa carrière, pas enfiler plusieurs grands tours.

Au fur et à mesure, il avait rencontré des difficultés. Des opportunités s’étaient présentées. Suite à des conseils et à un rhume, un médicament l’avait beaucoup aidé pour la course du lendemain.

Était-ce du dopage ? Certainement pas. Et puis, au fond, qu’est-ce que le dopage ? Une liste arbitraire de produits ? Sans le médicament, les performances s’écroulaient. Mais cette substance combinée à un traitement particulier du soigneur de l’équipe avaient un effet revigorant. Sans pour autant être du dopage. Pas du « vrai ».

Et puis il y a eu cette course. La veille, il se sentait un peu patraque. Mais il y avait un gros contrat de sponsoring à la clé s’il terminait dans les dix premiers. Il y avait une prime qui couvrirait amplement les travaux de la maison pour laquelle il s’était endetté. Ce n’était juste qu’une fois. Pas vraiment du dopage comme on en parle dans les journaux avec des grosses seringues. Non, juste une aide. Juste une fois.

Lorsque la nouvelle de sa disqualification est parue dans les journaux, le cycliste a fondu en larmes. Non, il ne s’était jamais dopé. Pas « vraiment ». Pas « dopé ». C’était injuste. Et puis il était un de ceux qui prenaient le moins de produits alors qu’il obtenait des résultats. Il était honnête. Il se croyait très sincèrement victime d’une injustice.

Non il ne mentait pas ! Il était profondément convaincu. Ce n’était pas vraiment du dopage. Au fond, qu’est-ce que le dopage ? Et puis, entre nous, avait-il seulement le choix ? Comment aurait-il pu faire autrement ?

 

*

Après des années de militantisme politique et suite à un concours de circonstances impliquant plusieurs démissions, vous voilà assis dans un bureau occupant vos premières fonctions d’élu. Vous ne pouvez vous empêchez d’être fier. Idéaliste, vous voyez là enfin un moyen d’agir, de rendre le monde qui vous entoure meilleur, plus humain, plus juste.

Votre travail, vous le réalisez très vite, consiste à dépenser l’argent public. Mais attention, vous allez faire ça correctement ! En bon gestionnaire ! Même si c’est la première fois de votre vie que vous avez le pouvoir de distribuer des millions, vous ne comptez pas vous laisser éblouir.

Sur votre bureau se trouve une demande pour subsidier l’organisation d’un festival de musique ésotérique.

Vous n’avez jamais entendu parler de musique ésotérique mais vous avez l’attention attirée : l’organisateur n’est autre qu’un ami d’enfance ! Le dossier est bien ficelé et ce festival a lieu chaque année. Ça a l’air très bien. La requête n’est que de 100.000€. Une paille dans votre budget ! Bref, vous ne voyez pas de raison de refuser cela à un ami d’enfance et vous accordez le budget.

Le lendemain, votre neveu vous annonce qu’il cherche un boulot comme graphiste. Au cours de la conversation, il vous apprend qu’il puise son inspiration dans la musique ésotérique. Cela vous donne une idée. Vous passez un rapide coup de fil à votre ami d’enfance pour lui annoncer que vous avez accordé le subside. Et vous demandez si le festival, fort de ce subside, n’aurait pas besoin des services d’un graphiste. Votre ami demande les coordonnées de votre neveux.

Vous êtes satisfait, vous avez rendu service à tout le monde. Vous vous sentez utile.

Quelques semaines plus tard, vous recevez une demande pour un festival similaire. En toute honnêteté, vous refusez. Un festival de musique ésotérique, c’est bien assez. Même si, cette fois, la demande émane d’une grande société spécialisée dans l’organisation de ce type d’événements.

Le lendemain, le directeur de la boîte de production vous appelle pour demander un rendez-vous. Une fois dans vos bureaux, il demande les raisons de votre refus. Vous les exposez. Le directeur vous annonce alors qu’il a découvert que le festival dont vous parlez est organisé par un de vos amis. Et que c’est dommage de favoriser ses amis.

Vous êtes estomaqués ! Vous ne favorisez pas vos amis. C’est juste que son festival a demandé les subsides avant, des subsides deux fois moins importants et qu’il a lieu chaque année. N’est-ce pas suffisant ?

Le directeur de la boîte de production propose alors de racheter la société organisant le festival actuel. Vous organisez donc une réunion avec votre ami et ce directeur.

Votre ami argue que la structure actuelle est une organisation sans but lucratif. Le directeur propose alors de racheter les droits à l’image et le nom pour 50.000€. Votre ami sera également engagé par la société comme organisateur et touchera un bon salaire. Vous placez alors le fait que votre neveu est également employé par l’association. Le directeur vous promet de l’engager.

L’affaire est conclue et vous participez à la mise en place de tout ce processus, en dehors de vos heures de travail. Le directeur vous demande alors d’envoyer vos factures pour vos heures prestées sur ce dossier. Le directeur lui-même veut bien payer « jusqu’à 200h de travail ». Vous créez en catastrophe une société avec votre époux afin d’établir cette facture au tarif de 100€ de l’heure.

L’année d’après, vous découvrez que le subside demandé est passé à 200.000€. Mais le festival a grandi, c’est normal, vous l’accordez.

Comme vous avez gagné 20.000€ avec le festival précédent, vous prenez conscience que vous êtes doué. Le tarif n’est-il pas proportionnel à la compétence ? Dire qu’il vous fallait un an pour gagner une telle somme auparavant ! Enfin, vous avez trouvé votre voie, votre talent ! Vous proposez alors à votre ami d’organiser le lancement d’un autre type de festival afin d’également revendre le concept. Cette fois-ci, vous créez une société directement avec votre ami. Mais votre ami crée une ASBL qui sous-traitera l’organisation à la société en question. Parce qu’on ne peut pas donner de subsides à une société. Votre société s’appelle donc désormais « Festival Consult ».

Votre ami démissionne officiellement pour continuer à occuper les mêmes fonctions qu’avant mais cette fois en faisant facturer ses heures via Festival Consult. Une excellente idée. De plus, cela lui permet de payer moins d’impôts. La grande société vous demande également des conseils dans l’organisation de plusieurs autres festivals et vous pouvez facturer votre expertise.

Une feuille de chou à sensation s’empare soudain de l’affaire et vous découvrez que vous êtes accusé de corruption. Corruption ! 
Vous ? Jamais ! Quel scandale ! Vous n’avez fait que mettre vos compétences dans vos heures de loisir au service de l’organisation de festivals musicaux.

Vous ne comprenez même pas ce que qu’on vous reproche. Vous ne pouvez qu’être innocent. D’ailleurs, qu’est-ce que la corruption ? Si c’était à refaire, vous ne voyez même pas ce que vous pourriez changer ! En toute honnêteté, comment auriez-vous pu agir autrement ?

 

Photo par Coolmonfrere.

Merci d'avoir pris le temps de lire ce billet librement payant. Prenez la liberté de me soutenir avec quelques milliBitcoins, une poignée d'euros, en me suivant sur Tipeee, Twitter, Google+ et Facebook !

Ce texte est publié par Lionel Dricot sous la licence CC-By BE.

Flattr this!