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21 degrés de liberté – 05

lundi 12 février 2018 à 22:56

Hier nous pouvions facilement rencontrer qui nous voulions physiquement de façon privée et être à l’abri des oreilles indiscrètes si nous l’avions décidé. C’est devenu presque impossible aujourd’hui dans l’espace numérique.

Voici déjà le 5e article de la série écrite par Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois s’attaque aujourd’hui à la question de notre liberté de nous réunir et échanger en ligne sans être pistés.

Le fil directeur de la série de ces 21 articles, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Mais où est donc passée la liberté de réunion ?

Par Rick Falkvinge, source : Private Internet Access
Traduction Framalang : redmood, Penguin, mo, draenog, goofy et 2 anonymes

Nos parents, dans leur monde analogique, avaient le droit de rencontrer qui ils voulaient, où ils voulaient, et de discuter de ce qu’ils voulaient, sans que le gouvernement n’en sache rien. Nos enfants du monde numérique5 ont perdu ce droit, simplement parce qu’ils utilisent davantage d’outils modernes.

vue plongeante surun groupe de jeunes de 20 ou 30 ans qui échangent et discutent au cours d'un cocktail

De nombreuses activités de nos enfants ne se déroulent plus en privé, car elles ont naturellement lieu sur le net. Pour les personnes nées à partir de 1980, faire la distinction entre activités « hors-ligne » et « en ligne » n’a pas de sens. Là où les personnes plus âgées voient « des gens qui passent tout leur temps avec leur téléphone ou leur ordinateur », les plus jeunes voient un moyen de socialiser, à l’aide de leur téléphone ou de leur ordinateur.

Il s’agit là d’une distinction essentielle que nos aînés ont du mal à comprendre.

Peut-être qu’une anecdote à propos de la génération précédente pourra encore une fois mieux illustrer le propos : les parents de nos parents se plaignaient déjà que nos parents parlaient avec leur téléphone, et non avec une autre personne grâce au téléphone. Ce que nos parents voyaient comme un moyen d’entretenir un contact social (à l’aide des lignes téléphoniques analogiques de l’époque), était vu par leurs propres parents comme une obsession pour un outil. Rien de nouveau sous le soleil…

Cette socialisation numérique, toutefois, peut être limitée, elle peut être… soumise à autorisation. Au sens où une tierce personne (entité) doit donner son accord pour que vous et vos amis puissiez établir le contact social qui vous convient, ou même établir un lien social quel qu’il soit. Les effets du réseau sont forts et génèrent une pression qui se concentre sur quelques plates-formes où tout le monde se retrouve. Lesdites plates-formes sont des services privés qui peuvent donc dicter toutes les conditions d’utilisation qu’ils souhaitent sur la façon dont les gens peuvent se rassembler et entretenir leurs liens sociaux − pour les milliards de personnes qui se retrouvent ainsi.

Un exemple, pour illustrer tout cela : Facebook utilise des valeurs américaines dans les rapports sociaux, pas des valeurs universelles. Être totalement contre toute forme de nudité, même la plus discrète, tout en acceptant les discours haineux n’est pas quelque chose qui se fait partout dans le monde ; c’est propre aux Américains. Si Facebook avait été développé en France ou en Allemagne, et non aux États-Unis, la nudité sous toutes ses formes aurait été la bienvenue dans un cadre artistique et une culture de « corps libre » (Freikörperkultur) ainsi qu’une manière parfaitement légitime de créer des liens sociaux, mais la moindre remise en cause d’un génocide aurait donné lieu à un bannissement immédiat et à des poursuites judiciaires.

Ainsi, en utilisant simplement le très connu Facebook comme exemple, toute manière non-américaine de créer des contacts sociaux est totalement bannie dans le monde entier, et il est extrêmement probable que les personnes qui développent et travaillent pour Facebook n’en ont pas conscience. D’ailleurs la liberté de réunion n’a pas été limitée seulement dans le cadre d’Internet, mais aussi dans notre bon vieux monde analogique, où nos parents avaient l’habitude de traîner (et le font encore).

Vu que les gens sont constamment géolocalisés, comme nous l’avons vu dans le billet précédent, il est possible de croiser les positions de plusieurs individus et d’en déduire qui parlait à qui, et quand, alors même qu’il s’agissait d’un échange en face à face. Si je regarde par la fenêtre de mon bureau en écrivant ces lignes, le hasard fait que les vieux quartiers de la Stasi en face de l’Alexanderplatz dans l’ancienne partie Est de Berlin se trouvent dans mon champ de vision. C’était un peu comme l’Hôtel California ; les personnes qui y entraient avaient tendance à ne plus jamais en ressortir. La Stasi espionnait aussi les gens afin de savoir qui discutait avec qui, mais cela nécessitait beaucoup d’agents pour suivre en filature et photographier ceux qui se rencontraient pour se parler. Il y avait donc une limite économique dans la manière dont les gens pouvaient être suivis au-delà de laquelle l’État ne pouvait se permettre d’augmenter la surveillance. Aujourd’hui, cette limite a totalement disparu, et tout le monde peut être pisté à tout moment.

Êtes-vous réellement libre de vous réunir, quand le simple fait d’avoir fréquenté une personne – dans la réalité, peut-être avez-vous seulement passé un peu de temps à proximité de celle-ci – peut être retenu contre vous ?

Voici encore un exemple pour illustrer cela. Dans une des fuites d’informations majeures récentes, il n’est pas important de savoir laquelle, il se trouve qu’un lointain collègue à moi avait fêté un gros événement en organisant une grande fête, qui s’est déroulée à proximité du lieu où des documents étaient en train d’être copiés, il n’en savait rien et la proximité des lieux n’était qu’une coïncidence. Des mois plus tard, ce même collègue participait à la couverture journalistique de la fuite de ces documents et de la vérification de leur véracité, toujours dans l’ignorance de leur provenance et du fait qu’il avait organisé sa grande fiesta dans un lieu très proche de celui dont les documents étaient issus.

Le gouvernement, en revanche, avait parfaitement conscience de cette proximité physique ainsi que de l’implication du journaliste dans le traitement des documents et a émis non pas un, mais deux mandats d’arrêt à l’encontre de ce lointain collègue, sur la base de cette coïncidence. Il vit maintenant en exil hors de Suède et n’espère pas à être autorisé à rentrer chez lui de sitôt.

La vie privée, jusqu’au moindre de vos déplacements, demeure de votre responsabilité.

Hommage à John P. Barlow

vendredi 9 février 2018 à 13:20

Gee utilise souvent ses BD pour critiquer assez vertement les GAFAM… mais aujourd’hui, il a préféré nous résumer la vie de John P. Barlow, un grand monsieur d’Internet qui nous a quittés il y a peu.

Lire aussi :

Crédit : Simon Gee Giraudot (Creative Commons By-Sa)

Les bibliothèques sous le règne du capitalisme

mardi 6 février 2018 à 07:42

Les bibliothèques ont toujours joué un rôle de gardiens de nos biens littéraires. Mais face à la tendance croissante à l’appropriation de la culture par le marché, elles sont peu à peu devenues de véritables ovnis dans le paysage culturel nord-américain.

Gus Bagakis est professeur de philosophie à la retraite de l’Université d’État de San Francisco. Il revient ici sur ce mouvement destructeur qui vise à transformer les bibliothèques publiques en simples institutions privées à but lucratif.

Traduction Framalang : paul, Edgar Lori, Mannik, Aiseant, claire, jums, Goofy

Source : revue en ligne Truth-out : Libraries Under Capitalism : The Enclosure of the Literary Commons

bibliothèque et nombreux lecteurs

Photo Steven Ramirez (Domaine public)

 

L’une des institutions les plus subversives des États-Unis,

c’est la bibliothèque publique.

– Bell Hooks

Nos biens communs littéraires des bibliothèques publiques sont peu à peu mis sous cloche et deviennent inaccessibles au public à cause d’une série de lois de nos gouvernements – à la fois locaux, nationaux et fédéraux – qui s’inclinent devant les diktats et les priorités des entreprises. La bibliothèque publique est l’un des rares endroits où les gens peuvent entrer gratuitement, accéder gratuitement aux documents et y séjourner sans devoir acheter quoi que ce soit. La valeur des bibliothèques publiques ne réside pas seulement dans les documents qu’elles prêtent ou dans le modèle non commercial qu’elles incarnent, mais aussi dans le bien commun qu’elles représentent : un endroit public qui offre aux citoyens des espaces intellectuels libérés, propices aux dialogues et à l’organisation de la communauté.

Les bibliothèques sont en train de passer d’un modèle de service public à celui d’entreprises à but lucratif, ce qui conduit à la destruction d’un espace public.

En riposte à cet emprisonnement, le New York Times plaide pour des moyens supplémentaires en faveur des bibliothèques. Le quotidien de la Grosse Pomme présente les bibliothèques comme des lieux où les enfants pauvres viennent « apprendre à lire et à aimer la littérature, où les immigrés apprennent l’anglais, où les chômeurs perfectionnent leurs CV et lettres de motivation, et où ceux qui n’ont pas accès à Internet peuvent franchir le fossé numérique… Ce sont des refuges pour penser, rêver, étudier, lutter et – c’est le cas de nombreux enfants et personnes âgées – pour être simplement en lieu sûr, à l’abri de la chaleur. »

Un article de la revue Public Library Quarterly intitulé « Les bibliothèques et le déclin de l’utilité publique » ajoute : « [les bibliothèques] contribuent à rendre possible la sphère démocratique publique ». L’auteur alerte également sur le fait que les bibliothèques sont en train de passer d’un modèle de service public à celui d’entreprises à but lucratif qui entraînent la destruction d’un véritable espace public.
Nous avons besoin de moyens supplémentaires pour permettre aux bibliothèques publiques de survivre. Nous devons empêcher la transformation de nos bibliothèques, institutions culturelles, éducatives et communes, en entreprises privées. Afin de comprendre plus clairement d’où viennent ces problèmes, nous devons d’abord comprendre comment les bibliothèques ont historiquement été influencées par le capitalisme.

Les bibliothèques comme système de contrôle social

Lorsqu’on étudie le développement et le déclin des bibliothèques publiques, on constate que les changements sont souvent imputables à l’objectif premier du capitalisme : le profit. Si quelque chose évolue défavorablement – autrement dit, si une chose menace la possibilité de profit – celle-ci devient un bouc émissaire opportun pour réduire les moyens dans les budgets des administrations locales, nationales ou fédérales. Les bibliothèques publiques, l’éducation publique et l’espace public représentent trois victimes actuelles de l’influence du capitalisme car elles sont devenues des « dépenses inutiles » qui entravent l’accroissement des profits.

Afin de contextualiser notre étude, rappelons que le capitalisme est un système économique fondé sur une main-d’œuvre salariée (travail contre salaire), la propriété privée ou le contrôle des moyens de production (usines, machines, exploitations agricoles, bureaux) et la production de marchandises en vue d’un profit. Dans ce système, un petit nombre de personnes qui travaillent pour de très grandes entreprises utilise sa puissance financière et politique pour orienter les priorités, les financements et les mesures gouvernementales en fonction de leurs propres intérêts. Même si le capitalisme a connu des évolutions, l’une de ses composantes demeure inchangée : la lutte pour la richesse et le pouvoir qui oppose les entrepreneurs et les travailleurs. Dans la mesure où les entreprises capitalistes possèdent l’argent et le pouvoir, on peut soutenir qu’elles contrôlent la société en général.

Mais en période de dépression, la classe ouvrière, bien plus nombreuse, souffre et réagit ; elle s’organise et se bat pour de meilleures rémunérations, davantage de bénéfices et de puissance. Ainsi, la réaction des travailleurs face à la Grande Dépression qui a conduit au New Deal de Franklin D. Roosevelt dans les années 1930, a permis de réguler le capitalisme, pour mieux le préserver. La rébellion des travailleurs était due en partie à une répartition excessivement inégale des richesses durant cet Âge d’Or, période où la classe capitaliste accumulait une richesse considérable aux dépens des travailleurs. Un contexte d’inégalité d’ailleurs semblable à celui que nous vivons aujourd’hui, à l’ère de notre Nouvel Age d’Or.

Ce conflit entre les patrons et les travailleurs transparaît aussi dans l’histoire des bibliothèques publiques. Les bibliothèques font partie d’un système de contrôle social : elles fournissent des ressources et une éducation aux immigrants. Quand les patrons encouragent la création de bibliothèques, c’est qu’ils les voient comme terrain d’essai pour immigrés au service de leur industrie. Par exemple, à Butte Montana, en 1893, la nouvelle bibliothèque Carnegie a été présentée par les propriétaires de mines comme « un antidote au penchant des mineurs pour la boisson, les prostituées et le jeu » et comme un moyen de favoriser la création d’une communauté d’immigrés afin de limiter la rotation du personnel.

Andrew Carnegie, capitaliste philanthrope en son temps, offre un bel exemple de la volonté de la classe capitaliste de maintenir le système de profits et d’empêcher une révolte ouvrière. Dans son article « Le Gospel de la Richesse », publié en 1889, il défend l’idée que les riches peuvent diminuer la contestation sociale par le biais de la philanthropie. Il est préférable selon lui de ponctionner les salaires ouvriers, collecter les sommes puis les redistribuer à la communauté. S’adressant aux ouvriers avec condescendance, Carnegie expliquait : « Si j’augmente vos salaires, vous allez dépenser votre argent pour acheter une meilleure pièce de viande ou plus de boissons. Mais ce dont vous avez besoin, même si vous l’ignorez, ce sont mes bibliothèques et mes salles de concert ».

La générosité de Carnegie était bien comprise : diminuer les possibilités de révolte ouvrière et maintenir ou augmenter ses propres profits. Certes c’était un homme généreux, mais il n’était pas vraiment impliqué dans un changement de société, comme il l’a démontré par ses multiples actions autour de la ségrégation. À l’époque de la ségrégation raciale, les Noirs n’avaient généralement pas accès aux bibliothèques publiques dans le Sud des États-Unis. Plutôt que de favoriser l’intégration raciale dans ses bibliothèques, Carnegie a fondé des bibliothèques distinctes pour les Afro-Américains. Par exemple, à Houston, Carnegie a ouvert la Bibliothèque Carnegie pour Personnes de Couleur en 1909. Même si l’on doit reconnaître néanmoins sa générosité dans la construction de plus de la moitié des bibliothèques sur le territoire des États-Unis avant 1930. En outre, les bibliothèques se sont multipliées en réponse au besoin d’éducation publique, notamment pour les quelque 20 millions d’immigrés arrivés dans le pays entre 1880 et 1920,dans le but de fournir de la main-d’œuvre bon marché et de soutenir le système capitaliste.

Dans notre monde régi par le capitalisme, les guerres sont presque toujours le fait de deux classes dirigeantes (ou davantage) qui se disputent l’accès à des profits, des ressources ou des territoires. Dans ces luttes, la propagande est un outil précieux. Ainsi, durant la Première Guerre Mondiale, la vocation des bibliothèques a basculé vers une américanisation progressive des immigrés, y compris par l’élimination d’ouvrages « antipatriotiques car pro-Allemands ». Durant la Seconde Guerre Mondiale, par opposition aux autodafés nazis, les bibliothécaires américains ont considéré les livres comme des armes de guerre. Pendant la Guerre Froide (1947-1991), certaines bibliothèques publiques ont également servi d’instruments de propagande pour la politique étrangère du gouvernement fédéral : comme la loi sur l’enregistrement des agents étrangers (Foreign Agents Registration Act, FARA) qui a conduit les bibliothèques à filtrer des documents soviétiques.

À la même époque, l’association ultraconservatrice John Birch Society dépêchait ses membres dans toutes les bibliothèques publiques du pays pour vérifier si le Livre bleu de l’association était bien disponible dans leurs rayonnages. Ce Livre bleu mettait en garde contre l’ennemi qui s’apprêtait à transformer les États-Unis en état policier communiste et laissait entendre que le Président Eisenhower était un agent communiste. En 1953, au plus fort de la chasse aux sorcières, un membre de la Commission des recueils de textes de l’Indiana a dénoncé l’œuvre Robin des bois comme une œuvre de propagande communiste, et demandé son retrait des écoles et des bibliothèques au prétexte que le héros prenait aux riches pour donner aux pauvres. Fort heureusement, quelques étudiants courageux de l’Université d’Indiana ont résisté et organisé le mouvement de la plume verte (Green Feather Movement) en référence à la plume sur le chapeau de Robin des bois.

L’offensive économique contre les bibliothèques

À la fin des années 1970, la formation des travailleurs immigrés n’est plus la préoccupation des entreprises capitalistes car la main-d’œuvre ne manque plus. À partir de ce moment également, le financement des bibliothèques publiques commence à reculer. Après le 11 septembre 2001, la peur s’intensifie dans la population, tout comme s’intensifie la surveillance d’État. L’une des mesures prises par le gouvernement, conformément à la section 215 du Patriot Act, consiste à forcer les bibliothèques à divulguer des informations sur leurs usagers.

Quelques bibliothécaires courageux protestent, comprenant qu’une telle exigence représente un danger pour les libertés individuelles. Ainsi, l’association des bibliothécaires du Vermont adresse une lettre au Congrès pour s’opposer aux dispositions du Patriot Act concernant les bibliothèques. La propagande des États-Unis face à la montée des tensions au Moyen-Orient pose problème à un certain nombre de bibliothécaires qui s’alarment des symboles hyper-patriotiques affichés dans les bibliothèques juste après les attaques du 11 septembre (affiches, posters, pamphlets). Dans une lettre cosignée faisant état de leurs inquiétudes, ils écrivent : « ce type de communications inhabituelles risque de créer une atmosphère intimidante pour certains usagers des bibliothèques. »

Dès la fin du XXe siècle et au début du XXIe, la plupart des bibliothèques publiques offrent un espace commun et accueillant, qui encourage l’exploration, la création et la collaboration entre étudiants, enseignants et citoyens. Innovantes, elles combinent des supports physiques et numériques pour proposer des environnements d’apprentissage. En 1982, l’American Library Association (ALA) organise la semaine des livres censurés (Banned Books Week) pour attirer l’attention sur les livres qui expriment des opinions non orthodoxes ou impopulaires et mettent ces ouvrages à disposition de tous les lecteurs intéressés.

Mais à l’époque, la classe capitaliste est mal à l’aise et craint des « effets de démocratisation » liés à l’activisme des années 1960 : droits civiques, droits LGBTQ, sensibilisation écologique, mouvements étudiants et actions de dénonciation de la guerre du Vietnam. Les milieux d’affaires conservateurs contestent alors le capitalisme régulé hérité du New Deal et introduisent le néolibéralisme, une variante du capitalisme favorisant le libre échange, la privatisation, l’intervention minimum de l’État dans les affaires, la baisse des dépenses publiques allouées aux services sociaux (dont les bibliothèques) et l’affaiblissement du pouvoir de la classe ouvrière. Certains d’entre eux se réfèrent au Mémorandum Powell (1971), une feuille de route destinée aux milieux d’affaires conservateurs pour les encourager à s’élever et se défendre contre une prétendue attaque de la libre entreprise par des activistes comme Ralph Nader, Herbert Marcuse et d’autres qui étaient censés avoir pris le contrôle des universités, des médias et du gouvernement. À l’autre bout du spectre, les internationalistes progressistes de la Commission trilatérale publient un document intitulé La crise de la démocratie (1975), qui suggère que l’activisme des années 1960 a transformé des citoyens auparavant passifs et indifférents en activistes capables d’ébranler les équilibres en place.

Le ralentissement de l’immigration des travailleurs dans les années 1970 et le stress de l’austérité due à la montée du néo-libéralisme ont provoqué le déclin des services sociaux, dont le système des bibliothèques publiques. Certaines d’entre elles dérivent vers un modèle d’entreprise lucrative qui considère les utilisateurs comme des clients et suivent un modèle entrepreneurial. Elles utilisent les relations publiques, la marchandisation de l’information, l’efficacité, l’image de marque et le mécénat pour augmenter leurs capacités de financements. L’argent qui provenait de taxes locales, nationales et fédérales, indispensable au maintien des services publics, a été transféré dans les poches des sociétés privées, dans l’entretien du complexe militaro-industriel, ou entassé dans des paradis fiscaux. La classe moyenne s’est fait berner par les promesses de réductions d’impôt, parce qu’on lui a dit que la baisse des taxes allait augmenter les dépenses, et donc dynamiser l’économie américaine. Elle a donc suivi, à tort, les grandes entreprises, alors que la perte des institutions publiques nuit à tous sauf aux riches.

Et pourtant toutes ces attaques contre les bibliothèques publiques ont eu lieu en dépit du fait qu’elles sont un excellent investissement pour les contribuables. Par exemple, une étude de 2007 à propos de la bibliothèque de San Francisco a montré que pour chaque dollar dépensé par la bibliothèque, les citoyens avaient reçu 3 dollars en biens et services.

Bien qu’utilisées par un nombre croissant de personnes, les bibliothèques ont encore vu leurs moyens diminuer sous l’effet de la récession de 2008. En Californie, les aides d’État pour les bibliothèques ont été complètement supprimées en 2011. La Louisiane a suivi l’exemple de la Californie en 2012. Des coupes budgétaires sévères ont frappé simultanément les bibliothèques publiques de la ville de New York, la bibliothèque de Dallas, celles de l’État du Massachusetts et bien d’autres. Le budget fédéral actuel contient un plan qui élimine l’agence de support des musées et bibliothèques (Institute of Museum and Library Services) dont les ressources ont été progressivement réduites par les administrations précédentes, qu’elles soient démocrates ou républicaines.

Le renforcement des coupes budgétaires cause l’extinction de nos biens communs littéraires. Alors, comment les défenseurs des bibliothèques publiques peuvent-ils aider celles-ci à survivre et à promouvoir des valeurs démocratiques réelles et une pensée critique ? Tout d’abord, nous devons bien cerner le sort des bibliothèques publiques à la lumière de l’histoire du capitalisme. Ensuite, nous devons nous organiser et mener une lutte pour protéger les bibliothèques publiques comme espaces de lien communautaire et d’action potentielle, contre ce fléau qu’est l’asservissement au capitalisme oligopolistique.

21 degrés de liberté – 04

lundi 5 février 2018 à 07:42

Hier notre position dans l’espace géographique était notre affaire et nous pouvions être invisibles aux yeux du monde si nous l’avions décidé. C’est devenu presque impossible aujourd’hui dans l’espace numérique.

Voici déjà le 4e article de la série écrite par Falkvinge. Le fondateur du Parti Pirate suédois s’attaque aujourd’hui à la question de notre géolocalisation.

Son fil directeur, comme on peut le voir clairement dans les épisodes précédents  que nous vous avons déjà livrés, c’est la perte de certaines libertés dont nous disposions encore assez récemment, avant que le passage au tout-numérique ne nous en prive.

Le groupe Framalang a trouvé intéressant de soumettre à votre réflexion les 21 articles qu’il a publiés récemment. Nous nous efforçons de vous les traduire, semaine après semaine. Les commentaires, comme toujours, sont ouverts.

De l’analogique au numérique : nos enfants ont perdu le droit à la confidentialité de leur position

Par Rick Falkvinge, source : Private Internet Access

Traduction Framalang : mo, draenog, goofy et 2 anonymes

Dans le monde analogique de nos parents, tout citoyen ordinaire  qui n’était pas sous surveillance car suspecté de crime pouvait se promener dans une ville sans que les autorités ne le suivent pas à pas : c’était un fait acquis. Nos enfants n’ont plus ce droit dans leur monde numérique.

Même les dystopies du siècle dernier (1984, Le Meilleur des Mondes, Colossus, etc.) ne sont pas parvenues à rêver une telle abomination : chaque citoyen est dorénavant porteur d’un dispositif de localisation gouvernemental. Et non content de simplement le transporter, il en a lui-même fait l’acquisition. Même Le Meilleur des Mondes n’avait pas pu imaginer cette horreur.

Cela a commencé innocemment, bien sûr. Comme c’est toujours le cas. Avec les nouveaux « téléphones portables », ce qui à l’époque signifiait « pas de fil à la patte », les autorités ont découvert que les gens continuaient à appeler les numéros d’urgence (112, 911, etc.) depuis leurs téléphones mobiles, mais qu’ils n’étaient pas toujours capables d’indiquer eux-mêmes où ils se trouvaient, tandis que le réseau téléphonique pemettait désormais de le faire. C’est alors que les autorités ont imposé que les réseaux téléphoniques soient techniquement capables de toujours indiquer l’emplacement d’un client, au cas où il appellerait un numéro d’urgence. Aux États-Unis, ce dispositif était connu sous le nom de loi E911.

C’était en 2005. Les choses ont rapidement mal tourné depuis. Imaginez qu’il y a seulement 12 ans, nous avions encore le droit de nous balader librement sans que les autorités puissent suivre chacun de nos pas, eh oui, cela fait à peine plus d’une dizaine d’années !

Auparavant, les gouvernements fournissaient des services permettant à chacun de connaître sa position, comme c’est la tradition depuis les phares maritimes, mais pas de façon à ce qu’ils puissent connaître cette position. Il s’agit d’une différence cruciale. Et, comme toujours, la première brèche a été celle des services fournis aux citoyens, dans ce cas des services médicaux d’urgence, et seul les plus visionnaires des dystopistes s’y seraient opposés.

Qu’est-il arrivé depuis ?

Des villes entières utilisent le suivi passif par Wi-Fi1  pour suivre les gens de façon individuelle, instantanée et au mètre près dans tout le centre-ville.

Les gares et les aéroports, qui étaient des havres respectant notre anonymat dans le monde analogique de nos parents, ont des panneaux qui informent que le Wi-Fi et le Bluetooth passifs sont utilisés pour suivre toute personne qui seulement s’approcherait, et que ce suivi est relié à leurs données personnelles. Correction : ces panneaux informatifs existent dans le meilleur des cas, mais le pistage est toujours présent.

La position des personnes est suivie par au moins trois… non pas moyens mais catégories de moyens différents :

Actif : vous transportez un détecteur de position (capteur GPS, récepteur GLONASS, triangulation par antenne-relais, ou même un identificateur visuel par l’appareil photo). Vous utilisez les capteurs pour connaître votre position à un moment donné ou de façon continue. Le gouvernement s’arroge le droit de lire le contenu de vos capteurs actifs.

Passif : vous ne faites rien, mais vous transmettez toujours votre position au gouvernement de façon continue via un tiers. Dans cette catégorie, on trouve la triangulation par antenne-relais ainsi que les suivis par Wi-Fi et Bluetooth passifs qui ne nécessitent pas d’autre action de l’utilisateur que d’avoir son téléphone allumé.

Hybride : le gouvernement vous localise au moment de ratissages occasionnels et au cours « de parties de pêche ». Cela inclut non seulement les méthodes reliées aux portables mais aussi la reconnaissance faciale connectée aux réseaux urbains de caméras de surveillance.

La confidentialité de notre position est l’un des sept droits à la vie privée et nous pouvons dire qu’à moins de contre-mesures actives, ce droit a entièrement disparu dans le passage de l’analogique au numérique. Nos parents avaient le droit à la confidentialité de leur position, en particulier dans des endroits animés tels que les aéroports et les gares. Nos enfants n’auront pas de confidentialité de position d’une manière générale, ni en particulier dans des lieux tels que les aéroports et les gares qui étaient les havres sûrs de nos parents de l’ère analogique.

Aujourd’hui, comment pouvons-nous réintroduire la confidentialité de position ? Elle était tenue pour acquise il y a à peine 12 ans.

La vie privée reste de votre responsabilité.

Incroyables comestibles : les communs dans l’assiette

mercredi 31 janvier 2018 à 09:02

« Les incroyables comestibles » se définissent comme « un mouvement citoyen, une initiative de transition, visant à transformer l’espace public en jardin potager gratuit dans lequel la nourriture devient une ressource mise à disposition par tous et accessible à tout un chacun ». Voilà qui ressemble drôlement à un commun.

Avec eux, l’espace public devient un jardin potager géant, gratuit et à partager librement. On peut alors imaginer de la ciboulette sur les boîtes aux lettres avec les voisins, des courges qui grimpent aux grilles des écoles, des cornichons à côté des arrêts de bus…

Nous avions adoré les rencontrer lors de la journée In-Libe issue de l’imagination de deux amis geeks et jardiniers.

Aujourd’hui c’est Tripou qui interroge les dynamiques d’Amiens.

Salut les Amiénois·e·s !

Vous avez un site sympathique, 100 % collaboratif, et qui répertorie même les endroits où il y a des arbres fruitiers sur une OpenStreetMap pour aller les cueillir…miam ! Mais en vrai on ne peut pas se nourrir entièrement/complètement avec de la nourriture en accès libre, si ?

Effectivement, il est difficile de trouver tout ce dont on a besoin en accès libre, surtout en ville. Mais de plus en plus d’associations proposent des découvertes de plantes sauvages comestibles et c’est un bon début !

Combien de temps faut-il pour mettre en place ce type de projet ?

Le temps dépend de pas mal de facteurs aussi me semble-t-il difficile de répondre de manière précise. Le mouvement des IC est en gestation depuis plusieurs années à Amiens, où il a réellement pris son essor il y a un peu plus d’un an.

Et combien de personnes faut-il trouver pour ne pas s’épuiser à s’occuper de tous les bacs à légumes ?

Tout dépend du nombre de bacs, de leur localisation. À Amiens il y a un système de « parrainage » de bac où 2-3 personnes en moyenne prennent en charge leur observation et leur entretien courant néanmoins l’intérêt est que cet entretien ne se cantonne pas aux bénévoles du noyau dur du mouvement mais soit relayé par les habitants ou les publics rattachés aux lieux où ces bacs se trouvent.

Et le tas de compost, il est sous la mairie ?
Pas de compost sous la mairie et pas de dynamique de compostage collectif rattaché à la dynamique. Cependant le bac installé par les étudiants de l’association Nature en Fac à la Fac de Science est situé à proximité immédiate du bac à compost mis en place par les étudiants et la Fac.

Comment réagissent les services municipaux par chez vous ?
La collectivité réserve plutôt un bon accueil à la démarche et travaille également sur le sujet des jardins en ville.

Étant donné que c’est un mouvement mondial, vous êtes en lien avec les autres groupes français ou internationaux ?

Nous avons des échanges avec Incroyables comestibles France et François Rouillay. Nous avons parfois des contacts avec des habitants de la région intéressés pour instiller un mouvement sur leur territoire.

Les gens qui s’engagent dans ce genre d’actions, c’est qui ? Ont-ils un passé de jardinier par exemple ?

Les membres du collectif viennent d’horizons divers ce ne sont pas forcément des jardiniers (même s’il y en a aussi, tout le monde vient avec ses envies et les compétences ou moyens qui peuvent nourrir la démarche)

Quel est votre champ d’action ?

Il est très divers : espace public, bibliothèques, centres culturels, fac …

Les lieux d’implantations doivent être éloignés des zones où il y a des gaz d’échappement, mais en ville il y en a pas mal, non ?

Oui c’est en effet une précaution à observer et une contrainte difficile à éviter. Les bacs installés à Amiens ne bordent pas directement de voies de circulation mais sont situés pour la plupart en retrait ou dans des espaces à moindre circulation.

C’est bio ?

La priorité étant d’avoir un autre regard sur son environnement, de mettre des bacs où cela est possible et faire changer les mentalités en conséquence. C’est bio dans la mesure où ça n’est pas traité chimiquement. Les gaz ne s’arrêtent pas aux limites des chaussées et il faut faire avec en ville pour le moment.

On peut imaginer des vaches à steaks gérées collectivement, des endroits de découpe ou de transformations groupés, des haies de houblon…ça fait rêver, est-ce que c’est possible ?

Bien sur, de plus en plus de communes se penchent sur la question et des initiatives de ce genre voient le jour en France. Cela relève évidemment de la politique de la ville.

Pour moi, voir ce genre de mise en place me permet aussi de me questionner sur la manière dont je me nourris, ce que j’achète et où je le trouve, le goût des choses etc…
Vous vous fournissez comment en graines et plants ?

Nous avons eu des dons au départ (kokopelli, jardiniers amateurs…) puis les personnes qui ont pu utiliser nos graines les ont récoltées et nous les ont redonnées.A chaque événement, nous avons le plaisir de recevoir de nouvelles graines.

Vous pouvez m’aiguiller vers des producteur-trice-s locaux si après avoir pillé et mangé tous vos bacs, j’ai encore faim ?

Vous pouvez vous rapprocher des différentes AMAP présentes dans le secteur d’Amiens, les producteurs des Hortillonages sur les marchés d’Amiens et depuis quelques mois l’île aux Fruits qui proposent des fruits et légumes chaque jeudi.

illustration-gag

 

Vous faites aussi des permanences tous les mois à l’université, comment ça se passe concrètement ?

Très bien : un ordre du jour pour garder le fil et s’organiser sur les différents projets, des échanges et discussions avec tous les présents (les permanences sont ouvertes à tous) et un temps de convivialité sur le mode apéro grignote partagée.

Au fait c’est l’hiver ! Un petit conseil pour semer, une préférence de légume ?

Toujours semer plus que ce dont on a besoin. Offrir à son entourage le reste et en planter dans le bacs Incroyables Comestibles. D’abord des salades, radis au jardin, puis tomates courgettes suivront au chaud en attendant les dernières gelées.

Un dernier mot pour la fin ?

N’hésitez pas à venir visiter notre site internet : http://www.incroyables-amiens.fr/

Vous pouvez aussi nous suivre sur Facebook (hum) pour les dernières infos.

Nous sommes toujours à la recherche de bénévoles, jardiniers ou non ! Venez nous rencontrez lors de nos prochaines réunions. :)